"L'Algérie doit faire son propre Desertec" (Boukhalfa Yaici) - Maghreb Emergent

“L’Algérie doit faire son propre Desertec” (Boukhalfa Yaici)

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Le directeur général du Cluster Energie Solaire, Boukhalfa Yaici nous parle, dans cet entretien, de la situation du secteur des énergies renouvelables, en Algérie. Il donne également sa vision du futur pour une meilleure exploitation de ces ressources.

Maghreb Emergent: pouvez-vous nous présenter succinctement l’organisme que vous dirigez ?

Boukhalfa Yaici: Le Cluster Energie Solaire est un groupement sans but lucratif créé en mai 2017 à l’initiative des opérateurs économiques nationaux. C’était une réponse à l’action unilatérale des autorités qui voulaient lancer le projet de 4050 MW en 2017 sans tenir compte des investissements initiés par les opérateurs nationaux dans le panneau photovoltaïque, les structures, l’ingénierie et le service en général.

Ceci pour dire que les acteurs locaux ont fait confiance aux autorités algériennes qui avaient lancé le programme de 22.000 MW en 2011. Depuis, nous appelons régulièrement les autorités à mettre en place un plan de déploiement des énergies renouvelables et à faire participer les opérateurs locaux dans toutes les initiatives allant dans le sens du renforcement du tissu industriel local.

Pouvez-vous faire un état des lieux de la stratégie des Energies renouvelables (EnRs) en Algérie en 2020 ? Quelles sont les prévisions sur le court et moyen termes ?

Le plan d’action du gouvernement intègre les énergies renouvelables selon deux dimensions : la transition énergétique et le développement durable. Elles sont complémentaires dans l’acceptation des termes puisque l’une marche bien avec l’autre en vue d’assurer un développement harmonieux du pays tout en respectant l’environnement.

Ce qui l’est moins, c’est la définition donnée dans le chapitre consacré à la ‘’Transition Energétique’’ qui regroupe les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, les hydrocarbures conventionnels et les hydrocarbures non conventionnels. Avec ce document officiel, on connait dorénavant la signification de la ‘’Transition Energétique’’ en Algérie.

Dans le plan d’action du gouvernement, la référence du programme initial de 2011 révisé en 2016 de 22.000 MW a été abandonnée sans fournir d’explications.

Les deux ministères en charge des énergies renouvelables ne sont d’accord ni sur les projections chiffrées ni sur l’horizon de référence. Ainsi, le ministère de l’Energie (ME) parle d’une projection de 15.000 MW à l’horizon 2035 alors que le ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables (MEER) vise 1.000 MW en 2030.

Le détail de ces déploiements différenciés n’est pas donné non plus avec des projections à fin 2024 de 4.500 MW dont 4.000 MW à la charge du ME. C’est en quelque sorte le projet de 2017 qui refait surface. J’espère que cette fois-ci, on le fera avec les opérateurs locaux.

– Pensez-vous que les EnRs sont une alternative sérieuse aux hydrocarbures en Algérie? Dans quelle mesure contribue ce modèle dans le mix énergétique du pays?

Le recours aux EnRs jumelées à l’efficacité énergétique (EE) va avoir pour effet de substituer à la production d’électricité actuellement à 98% issue du gaz naturel, l’électricité verte et de réduire la consommation d’énergie, économisant du gaz qui pourra compenser le déclin de production constaté depuis plusieurs années.

Sur la base de 15.000 MW, il est possible d’économiser 8 milliards de m3/an ce qui correspondrait à 25% de la quantité de gaz naturel exporté. Dans d’autres pays, des niveaux de contribution très appréciables de l’ordre de 30% à 50% sont projetés d’ici 2030. Chez nous, on peut escompter un niveau appréciable si un programme ambitieux et soutenu est mis en œuvre. Pour l’Algérie, le choix des EnRs est une affaire de sécurité nationale et consolidera sa place de puissance régionale dans le domaine de l’énergie. Aujourd’hui c’est le gaz, demain ce seront les EnRs.

– Le plan du gouvernement prévoit la mise en place d’une stratégie jugée ambitieuse, en vue de développer l’industrie du renouvelable, alors que dans le même temps, le président parle de “nécessité” d’avoir recours à l’exploitation du gaz de schiste. Pouvez-vous nous dire si ces deux objectifs sont  conciliables ?

Nous croyons qu’un débat entre tous (experts, citoyens, académiciens, etc.) sans passion est nécessaire pour discuter d’une transition énergétique qui allie les impératifs de sécurité nationale, le basculement graduel vers les EnRs  (y compris le développement industriel de la filière) qui doivent se faire dans le cadre d’une diversification économique pensée, soutenue et réussie.    

 – Depuis quelques semaines, le dossier Desertec revient avec insistance dans le débat public. Que pensez-vous de ce projet ?

Ce qui est curieux c’est de voir que ce dossier a été déterré uniquement en Algérie et maintenant. On peut se poser la question pourquoi ? Les conditions qui étaient à l’origine de la création de DII (Desertec Industrial Initiative) ne sont plus les mêmes avec la nouvelle entité (Dii-Desert Energy), leurs modes d’intervention ont changé et les pays de la région MENA ont fait beaucoup d’efforts pour déployer les EnRs (Egypte, Jordanie, Maroc, Tunisie, etc.). Il n y a pas de financements à espérer ni de projets à implémenter car la demande d’énergie est dans la région MENA et non au sein de l’Union Européenne. Chaque pays essaie de faire son propre ‘Desertec’. A nous de commencer le nôtre.

– Suite au retrait de toutes les parties prenantes, Desertec a été abandonné. D’un point de vue technique, à quoi selon vous est dû l’avortement de Desertec ?

DII avait travaillé comme facilitateur en aidant beaucoup de pays -dont l’Algérie- à travers des études pour imaginer des déploiements massifs. C’est le résultat le plus tangible de l’action de DII.

Sur un autre plan, DII devait faciliter l’accès des électrons venus de la région MENA pour être commercialisés au niveau de l’UE. Les pays de l’UE ont opposé un Niet à cette option car beaucoup d’entre-eux avaient et font (encore) beaucoup d’efforts pour réussir leurs transitions énergétiques. De plus, la consommation en énergie stagne au sein de l’UE et ils n’ont pas besoin d’acheter de l’énergie même verte. C’est là où DII avait failli et avait vu le départ de la presque totalité de ses membres en 2014.     

Quel serait le type de partenariat économique idéal pour développer un projet comme celui de Desertec ? Pensez-vous que cela peut donner une vie à une industrie du photovoltaïque en Algérie ?

Les expériences en cours dans beaucoup de pays de la région MENA peuvent constituer uniquement des références à étudier et on ne peut pas en reproduire une à l’identique. Certains pays explorent de grandes capacités en un seul endroit, d’autres des complexes avec plusieurs technologies, d’autres un mélange de centrales de moyenne puissance avec des systèmes de petite puissance. Les acteurs aussi sont différents, dans certains pays ce sont les grands acteurs d’énergie qui activent, dans d’autres des producteurs locaux et même de simples citoyens. Mais tous ces modèles ont en commun un besoin de financement qui, souvent, vient des bailleurs de fonds internationaux.

 – Encouragez-vous les investisseurs et les bailleurs de fonds privés algériens à soutenir le développement des EnRs en Algérie au détriment des hydrocarbures ?

Chaque type d’énergie a ses propres usages, des contraintes, et des effets (ou pas) sur l’environnement. Il faut privilégier l’usage noble de chaque énergie. Pour le moment, les hydrocarbures liquides doivent aller au transport, le gaz à la pétrochimie et les énergies renouvelables à la production d’énergie électrique et de la chaleur.

Les énergies renouvelables sont inépuisables et participent à réduire les impacts des changements climatiques sur notre pays. C’est une lame de fond qui touche le monde entier. Nous avons encore une chance de participer à ce changement planétaire avant qu’il ne se fasse sans nous et avec le risque qu’il se fasse contre nous.    

Kheireddine Batache

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