Gaz de schiste : un gouffre économique et écologique - Maghreb Emergent

Gaz de schiste : un gouffre économique et écologique

Facebook
Twitter

Rentabilité du gaz de schiste

Si les conséquences environnementales de l’exploitation du gaz de schiste sont aujourd’hui avérées, la question de sa rentabilité fait rarement objet de débat en Algérie. Ce problème est pourtant soulevé partout ailleurs et particulièrement aux USA, où l’extraction de pétrole et de gaz de schiste – désignés comme des ressources « non-conventionnelles » – a atteint son pic, faisant de ce pays le premier producteur de pétrole et de gaz de schiste dans le monde. Il est établi que les coûts de production du gaz de schiste sont nettement plus élevés que ceux du gaz conventionnel, en raison des dépenses liées au forage horizontal sur plusieurs kilomètres, de la fracturation hydraulique.

À ces dépenses vient s’ajouter le coût du transport par camion-citerne du gaz extrait, la durée de vie du puits ne permettant pas de construire des gazoducs. Une enquête publiée par le Wall Street Journal en décembre 2018 révèle qu’au cours des dix dernières années, les 29 producteurs actifs dans le secteur du pétrole et du gaz de schiste ont dépensé 112 milliards de dollars de plus qu’elles n’en ont gagné. Généreux les premiers mois, les puits déclinent en effet très rapidement, ce qui pousse les entreprises exploitantes à forer d’autres puits pour maintenir un niveau élevé de production et à s’endetter pour financer ces nouveaux forages.

Ainsi, aux USA, dix ans après le boom de cette ressource non-conventionnelle, plus des trois quarts des compagnies –petites entreprises ou grands groupes spécialisés – continuent à investir plus qu’elles ne gagnent. En cause : la déplétion ou le déclin des puits dès la première ou, au mieux, à partir de la deuxième année d’extraction. Cette situation est aggravée par l’instabilité et la tendance baissière des prix du pétrole et du gaz sur le marché international, et ce en raison du recul de la croissance mondiale qui s’installe dans la durée.

Malgré ces pertes colossales, ce secteur est maintenu à flot grâce à l’achat de ses actions sur les différentes places boursières. Mais ceci pourrait s’arrêter à n’importe quel moment, ce qui fait dire à des spécialistes financiers qu’une « bulle » pétrole et gaz de schiste est tout à fait prévisible, comparable à la bulle immobilière de 2008. Sans compter le coût écologique et l’impact sur la vie des populations où l’exploitation de ce gaz est autorisée. À titre d’exemple, l’exploitation du gisement de la Vaca Muerta (Patagonie) en Argentine oblige le gouvernement argentin à subventionner le prix du gaz à la sortie du puits jusqu’à plus de 7 dollars le million de BTU (British thermal unit), soit plus de trois fois le prix mondial.

Gaz de schiste : réchauffement de la planète et séismes à répétition

Les réserves mondiales de gaz de schiste sont estimées à plus 207 000 milliards de m3, principalement localisées et dans l’ordre décroissant dans ces pays : Iran, Russie, Qatar, Turkménistan et USA. C’est dans ce dernier pays que la production est le plus développée. La méthode utilisée est la fracturation hydraulique, nécessitant pas moins de 15 millions de litres d’eau par puits et des tonnes de produits chimiques, biocides, lubrifiants pour permettre au sable de pénétrer les micros fractures, ainsi que des détergents pour améliorer l’extraction du gaz.

En plus de la pollution des nappes phréatiques, surtout quand les gisements sont assis sur une nappe gigantesque comme l’albienne en Algérie, le gaz de schiste peut s’échapper dans l’air lors de son extraction. Le méthane est connu pour être un gaz à effet de serre beaucoup plus élevé que le CO2. D’après une étude menée par l’université de Cornell (USA), le gaz de schiste contribuerait deux fois plus à l’effet de serre que le charbon.

L’instabilité des sols, provoquée par l’injection de quantités énormes d’eau pour fracturer les roches, est également à l’origine d’une forte séismicité. L’état de l’Oklahoma, passé de trois à plus de 900 séismes par an de magnitude supérieure à trois, est souvent cité en exemple.

La transition énergétique : le vrai débat

L’option du gaz de schiste révélatrice d’une pensée « fossile » incrustée, continue de prévaloir en Algérie et occulte ou fait reculer le débat, essentiel, de la transition énergétique.  Le vieux modèle rentier reste la règle, que la dernière loi sur les hydrocarbures consacre par le partage de la production de ressources conventionnelles et non conventionnelles avec les investisseurs étrangers.  

Selon Mourad Preure, expert international en énergie, la nouvelle loi sur les hydrocarbures doit être accompagnée d’une loi organique de transition énergétique qui devra mettre en place un modèle de consommation et d’efficacité énergétique.

Alors que la tendance mondiale est tournée vers les énergies renouvelables, l’Algérie ne dispose pas encore d’une stratégie de transition énergétique.

Tous les experts insistent sur le potentiel inestimable dont dispose l’Algérie dans le domaine solaire. Mourad Preure qualifie l’Algérie de « pile électrique à ciel ouvert ». Avec un potentiel de production représentant dix fois la consommation électrique mondiale, selon Tewfik Hasni, disposant d’espaces immenses où les fermes solaires peuvent essaimer, et avec un temps d’ensoleillement record (3500 heures par an au Sud contre 2650 au Nord et entre 1100 et 1400 heures en Europe), l’Algérie peut selon Preure, exercer un effet de levier pour les fabricants européens d’équipements solaires qui n’arrivent pas à faire de volume. Ces entreprises pourraient s’installer en Algérie et être même, selon lui, majoritaires dans le capital.

C’est sur le développement de ces énergies inépuisables, sans impact négatif sur l’environnement en plus d’être plus rentables à long terme, que l’accent doit être mis. Ce choix stratégique permettrait d’assurer un développement harmonieux de toutes les régions et ainsi garantir la stabilité du pays.

Cette dernière ne saurait en effet reposer sur les seules dépenses militaires, lesquelles dépassent les dix milliards de dollars par an, et font de l’Algérie le premier importateur d’armement en Afrique et le 17ème dans le monde, et ce au détriment du développement de ses territoires.

Abdenour Haouati

Facebook
Twitter