La 19ème Tripartite (gouvernement, syndicats et patronat) faisant suite à la 18ème tenue le 14 octobre 2015, aura lieu le 05 juin 2016 et sera consacrée à l’étude des moyens de dynamiser et d’améliorer l’économie nationale ainsi qu’à l’examen du nouveau modèle économique 2016-2019 selon le premier ministre.
Comme sera abordé l’épineux dossier des retraites afin de renflouer la Caisse nationale des retraites (CNR) qui connaît un énorme déficit et probablement le nouveau code de travail, loi, maintes fois reportée. Mais face aux expériences du passé, cette Tripartie sera-t-elle encore une nouvelle réunionite ? Des décisions concrètes seront-elles prises afin de réhabiliter la bonne gouvernance, l’économie de la connaissance et l’entreprise créatrice de richesses, publiques et privées locales/internationales comme le stipule la nouvelle Constitution, sans distinction, face à un cours des hydrocarbures faible qui risque de durer dans le temps?
1.- Le gouvernement doit éviter quatre écueils s’il veut apporter des solutions positives face à la crise financière que traverse le pays et susciter l’adhésion à la nécessaire nouvelle politique économique.
Premièrement, pour un véritable dialogue social, il serait souhaitable de convier d’autres organisations syndicales autonomes avec lesquelles notamment les ministres du Travail, de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Santé sont déjà en contacts permanents. La composante est la même depuis plus de deux décennies alors que l’environnement économique et social algérien a profondément changé, ce qui explique que les anciennes Tripartites ont eu peu d’effets face aux tensions sociales. D’autres forces sociales et économiques sont apparues depuis, devant en tenir compte, faute de quoi cela s’apparenterait à un monologue du pouvoir avec lui-même, sans impact pour la résolution concrète des problèmes économiques et sociaux.
Deuxièmement, le gouvernement doit se démarquer d’une vision culturelle largement dépassée des années 1970, tant sur le plan politique, économique qu’en matière diplomatique. Nous sommes en 2016 avec des mutations géostratégiques considérables entre 2016/2020 qui préfigurent de profonds bouleversements géostratégiques.
Troisièmement, éviter que la Tripartite soit un lieu de redistribution de la rente (parts de marché et avantages divers supportés par le Trésor public de ceux présents via la dépense publique) en fonction d’intérêts étroits. Car lorsqu’un pouvoir agit bureaucratiquement, sans concertation, sans tenir compte de la réelle composante sociale, la société enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner en dehors de l’Etat officiel, se traduisant alors par un divorce croissant Etat/citoyens.
Quatrièmement, on ne relance pas l’activité économique par décret ou des lois d’investissement sans objectifs stratégiques et une nette volonté politique, (combien de codes d’investissement depuis l’indépendance politique) ou par le volontarisme étatique, vision de la mentalité bureaucratique rentière. C’est l’entreprise libérée de toutes les contraintes d’environnement (la liberté d’entreprendre avec un rôle stratégique à l’Etat régulateur fort, mais fort de sa moralité), et son fondement, le savoir, au sein d’une économie de plus en plus mondialisée à travers des stratégies de segments de filières internationalisées que l’Algérie peut créer une économie productive à forte valeur ajoutée. L’on ne doit pas, en ce XXIe siècle avoir une vison matérielle, (l’ère strictement mécanique étant dépassée) mais inscrire l’ensemble des segments économiques industrie/agriculture/tourisme, y compris la culture, tenant compte des nouvelles technologies qui révolutionnent tant le management politique qu’économique, au sein de nouvelles filières qui s’internationalisent de plus en plus, étant à l’ère de la mondialisation qui est une réalité concrète et non une utopie.
2.- Le tissu industriel algérien, sur lequel tous ces gouvernements souhaite fonder la relance économique est en réalité insignifiant, 83% de la superficie économique étant constituée de petits commerce/services, la sphère informelle notamment marchande accaparant plus de 50% de la superficie économique et le secteur industriel pèse moins de 5% du PIB. Les entreprises publiques en majorité sont empêtrées dans de graves difficultés financières et managériales. En majorité sont sans envergure, plus de 95 % étant des PMI/PME, à majorité à organisations familiales personnelles ou de petites Sarl selon les données du registre du commerce (plus de 96%, les sociétés par actions étant presque nulles), ne maîtrisant pas le management stratégique, éprouvant d’énormes difficultés à se maintenir en vie, souvent endettés vis-à-vis des banques. Tout en reconnaissant récemment l’émergence récente de véritables entreprenants, mais soumis à d’innombrables contraintes bureaucratiques. Il faudrait plus de deux millions de PMI/PME concurrentielles en termes de couts/qualité dans le cadre des valeurs internationales. Dans ce cadre, force est de constater que les différentes Tripartite depuis plus de 16 ans ont apporté peu d’éclaircissements et de solutions opérationnelles sur la stratégie de développement à moyen et long terme de l’Algérie. Toujours 98% d’exportation directement et indirectement (via la dépense publique) provenant des hydrocarbures dont 3% de dérivées et 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% provient de l’extérieur. Les entreprises privées contribuent à moins de 1% des exportations totales en devises, excepté quelques unes. La raison principe est l’environnement contraignant du monde des affaires, bureaucratie, système financier, système socio-éducatif et le foncier qui entravent la liberté d’entreprendre. Le développement dans la majorité des pays développés repose sur les PMI-PME, selon les déclarations officielles tant européennes qu’américaines, la règle des 49/51% est l’obstacle majeur pour un partenariat gagnant-gagnant avec les opérateurs locaux des PMI-PME. Cette règle qui peut être appliquée aux segments stratégiques, qu’il s‘agit de définir et faire un bilan objectif de cette règle instaurée depuis 2009, mais généralisée, l’Algérie supporte tous les surcoûts et permet, sous un faux discours nationaliste, de sauvegarder des intérêts de rente. Aussi, qu’en sera t-il de la prochaine Tripartie : réformes structurelles privilégiant les intérêts supérieurs du pays ou simplement encore des discours et des luttes pour le partage de la rente qui ne peut que conduire, avec la baisse du cours des hydrocarbures, qui sera de longue durée, au suicide collectif. Aussi, en cas de non réorientation de la politique économique actuelle fondée sur l’économie de la connaissance et l’entreprise, devant démystifier l’entreprise privée nationale et internationale, encouragée même en Chine et la Russie, fondateurs du communisme, le fonds de régulation des recettes s’épuisera début 2017 et les réserves de change qui risquent de fondre comme la neige au soleil vers 2018/2019. Face à cette situation socio-économique inquiétante pour le devenir de l’Algérie, au -delà de l’État, l’ensemble des acteurs de la société doit être mobilisé si l’Algérie veut renouer avec une croissance durable hors hydrocarbures. Mais cela suppose la conjugaison de différents facteurs avec un dénominateur commun, le développement DES LIBERTES: dédioboliser le secteur privé créateur de richesses ainsi que le secteur d’Etat performant(1), développer le savoir et le gout du risque et introduire des innovations technologiques sans cesse actualisés, le combat contre toute forme de monopole néfaste, une concurrence efficace, un système financier rénové capable d’attirer du capital et une ouverture à l’étranger. Ces réformes passent fondamentalement par une démocratie vivante, une stabilité des règles juridiques et l’équité, les politiques parleront de justice sociale.
3.- L’Algérie n’est pas en faillite selon des discours totalement négatifs pour des raisons politiques et idéologiques, tout en reconnaissant qu’elle traverse une situation difficile. Elle peut réussir sa transition économique dans un délai raisonnable, le monde ne nous attendant pas et toute Nation qui n’avance pas recule forcément. Retarder les réformes ne peut que conduire à la désintégration lente, à l’appauvrissement, une perte de confiance en l’avenir puisqu’ avec l’épuisement de la rente des hydrocarbures, l’Algérie n’aura plus les moyens de préparer ces réformes et vivra sous l’emprise de la peur, voyant partout des menaces où les autres voient des chances. Pour s’inscrire dans la croissance mondiale, l’Algérie doit d’abord mettre en place une véritable économie de la connaissance, faciliter la concurrence, la création par la mise en place de moyens modernes de financement, revoir le code de travail conciliant flexibilité et sécurité, favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs clés, dont le numérique, la santé, la biotechnologie, les industries de l’environnement, les services à la personne avec le vieillissement de la population. Pour mener à bien ces réformes, l’État et les collectivités locales doivent être très largement réformés. A ce titre, lors de différents conseil des ministres, il a été recommandé que les membres du gouvernement et l’ensemble des pouvoirs publics doivent tenir un langage de vérité et expliquer davantage à la population la gravité de la conjoncture financière que traverse notre pays ainsi que le caractère unique au monde des dépenses publiques d’investissements et des transferts sociaux. Car c’est grâce à une parfaite compréhension de la situation que le peuple algérien adhérera aux efforts nécessaires pour préserver l’indépendance de décision économique du pays, laquelle est indispensable à la poursuite d’une politique conforme à nos valeurs de justice sociale réelle et de solidarité nationale effective. Pour réaliser ces objectifs nobles, personne n’ayant le monopole du nationalisme, un minimum de consensus social, ne signifiant nullement unanimisme signe de la décadence de toute société, est fondamental surtout en ces moments de grands bouleversements géostratégiques au niveau de la région qui devrait inciter non pas au statut quo mais à plus de réformes structurelles. A ce titre, je me désole avec de nombreux amis, hommes politiques responsables tant dans le pouvoir que dans l’opposition, entrepreneurs privés et publics, intellectuels, de toutes les régions du pays, Est-Centre-Sud Ouest, de voir ces querelles étalées en plein jour, sans débats productifs, mais tournant autour de discours malsains avec des attaques personnalisées, qu’on aurait pu éviter tant par le dialogue, outil privilégié de la bonne gouvernance, portant un large préjudice tant à l’économie qu’à l’image de l’Algérie qui a besoin de rassembler et non de diviser.
*Professeur des Universités, Expert international en management stratégique
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(1)- Le professeur Abderrrahmane Mebtoul a dirigé la première audit sur le secteur privé et l’introduction de nouvelles méthodes de gestion universelles des entreprises publiques par leur autonomisation, au moment du parti unique, pour le compte du Comité Central du FLN en 1980, assisté d’économistes, de démographes , de sociologues, et d’ingénieurs (8 volumes 760 pages)