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Tunisie

« 2015 sera une année difficile pour l’économie tunisienne » (Mondji Mokaddam, économiste)

Par Yacine Temlali
décembre 21, 2014
« 2015 sera une année difficile pour l’économie tunisienne » (Mondji Mokaddam, économiste)

Pour ce professeur d’économie à l’université de Tunis, « il faudrait exclure toute possibilité d’emprunt extérieur » et compter sur les « ressources financières internes ». Celles-ci, explique-t-il, pourraient être « de nature fiscale (ce que doivent les riches à l’Etat) » ou « non fiscale (l’épargne) ».

 

Maghreb Emergent : Les Tunisiens se plaignent de la situation économique après la révolution, de l’augmentation du chômage et de la pauvreté. Peut-on parler d’une crise économique actuellement en Tunisie ?

 

Mondji Mokaddam : Effectivement, on peut parler d’une crise économique terrible, étant donné que l’ensemble des indicateurs économiques sont au rouge : chômage, baisse du niveau de vie, du pouvoir d’achat, inflation, déficit de toutes les balances, endettement, etc. Le pays nécessite actuellement une grande politique pour « sauver les meubles », car les trois années du gouvernement de la troïka ont provoqué un déséquilibre total dans l’ensemble des secteurs économiques.

 

Des réformes économiques ont été lancées cette année. Pensez-vous qu’elles ne seraient pas en mesure de débloquer la situation ?

 

Il faudrait savoir que toutes ces réformes ont été faites sur recommandation des institutions financières internationales, telles que le FMI et la Banque Mondiale. Nous savons tous que ces institutions poussent les Etats à libéraliser davantage leur économie. La plus grande partie des réformes recommandées n’a pas été réalisée, car bloquée par le Parlement. Le gouvernement sait très bien qu’il ne peut pas procéder à ces réformes en temps de crise sociale et économique. Nous comptons déjà plus de 700.000 chômeurs, dont 200.000 diplômés. Cette année a été terrible en matière de créations d’emploi et d’efficacité économique, et l’année 2015, sera encore plus difficile.

La relance de l’économie tunisienne nécessite des réformes profondes, qui impliqueraient des concessions de tous les acteurs de la vie économiques, syndicalistes compris. Or, il serait difficile d’avoir l’adhésion de tout le monde compte tenu de la complexité de la situation.

 

L’arrivée de capitaux étrangers ne pourrait-elle pas aider l’économie tunisienne à se renflouer ?

 

Vous me parliez de réformes tout à l’heure, et je voudrais vous dire ici que la réforme la plus urgente doit s’opérer sur le plan financier. La plupart des banques sont au bord de la faillite. Les trois principales banques en Tunisie, qui représentent 40% du chiffre d’affaires de l’activité bancaire, ont sollicité des subventions de l’Etat. Les parlementaires ont refusé, sachant que les citoyens n’accepteront pas que l’argent des contribuables soit versé pour financer des projets privés et non pas être réinvestis dans des projets publics. Au lieu d’aider les caisses de l’Etat, les banques attendent l’aide de celui-ci, faute de dynamisme économique.

 

Le tableau que dressent les spécialistes sur l’économie tunisienne après 2011 est souvent terne. Pourtant, la croissance économique en 2014 n’est pas négative : elle est de 2.6%. Il y a donc des secteurs qui résistent à cette morbidité ?

 

Il y a, bien entendu, des secteurs qui continuent à fonctionner tels que l’agriculture, favorisée par les bonnes conditions climatiques du pays, certaines industries à l’instar de l’industrie électrique et mécanique (en dépit du recul de leurs exportations) et le secteur tertiaire, représenté par les technologies de l’information et la communication, les transports et l’hôtellerie. On ne peut évidemment pas inclure ici le tourisme car, comme chacun sait, il est tributaire des conditions sécuritaires.

 

Ne pensez-vous pas que les microprojets pourraient permettre le démarrage d’une économie à petit échelle ?

 

Beaucoup de miro-projets ont été lancés, notamment dans les régions reculées, comme les villes du sud, pour permettre aux personnes les plus pauvres d’assurer de modestes revenus. Mais ces projets émanent des associations, des organes locaux et régionaux et des ONG. Il n’existe hélas pas de véritable politique micro-économique. Cela aurait pu être un investissement solide et durable, mais cela va venir. Il ne faudrait pas oublier que nous sommes en transition économique, et comme nous avons réussi au niveau sécuritaire, nous réussirons au niveau de l’investissement. C’est une question qui demande beaucoup de temps.

 

Quelles seront, selon vous, les mesures à court terme que doit prendre le prochain gouvernement pour réussir cette transition économique ?

 

Au vu de la nouvelle Constitution, le président de la république n’a pas de pouvoir sur l’économie. Ce sera donc au prochain gouvernement de commencer à discuter avec tous les acteurs du secteur, et à leur tête les Syndicats des travailleurs qui regroupent 700.000 personnes. Puis, il faudra lancer les grands chantiers pour résorber le chômage et améliorer le pouvoir d’achat des Tunisiens, car c’est le couffin des Tunisiens qui constitue la principale préoccupation du moment. Il faudrait aussi réduire les inégalités criantes entre les régions du Sud et de l’intérieur, d’un côté, et celles du littoral, de l’autre. Cela passera par l’engagement de grands chantiers, de grands travaux d’infrastructures. Il faudrait les entamer tout de suite.

 

Mais comment pourrait-on financer ces grands projets en temps de crise financière ?

 

Puisque le monde traverse une crise économique, il faudrait que nous excluions toute possibilité d’emprunt extérieur. Il ne nous restera ainsi qu’un seul choix : compter sur les ressources propres internes. Ces ressources pourraient être de nature fiscale (ce que doivent les riches à l’Etat) ou non fiscale (l’argent de l’épargne…). J’estime que ces ressources propres dont nous disposons seront suffisantes et à même de financer ces grands projets. Le dernier rapport du FMI, prévoit une croissance de 3% pour l’année prochaine en Tunisie.

Propos recueillis par Selma Kasmi

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