Impasse en Italie dans le projet sidérurgique, blocage à Bejaia du projet trituration, incendie industrielle, l’année 2017 surclasse une année 2016 déjà jonchée de mésaventures.
Le début ce mois de décembre de la procédure de résiliation par le gouvernement italien du contrat de reprise des aciéries de Piombino par le groupe Cevital en 2014 clôture une année 2017 « horrible » pour son PDG Issad Rebrab. En attendant les résultats d’une procédure en justice qui promet d’être longue et couteuse, Cevital risque de perdre tout ou partie de l’investissement initial en 2014-2015 à Piombino supérieur à 100 millions d’euros.
L’année est marquée par d’autres péripéties préjudiciables pour le développement du premier groupe privé algérien. La plus importante provient de la perpétuation du blocage au port de Bejaia des opérations de débarquement des équipements destinées au projet de trituration des graines oléagineuses. Enfin, l’important incendie sur le site du complexe de raffinerie du sucre dans la nuit du 19 au 20 octobre dernier a accentué le sentiment d’une année maudite, même si l’activité productive est redevenue quasi normale dans les semaines suivantes, les principaux dégâts ayant affectés un hangar de stockage.
Ce tableau plutôt sombre des évènements contraires dans le développement de Cevital en Algérie et à l’international interpelle les analystes. Il survient après une année 2016 marquée déjà par l’avortement d’une acquisition, certes non stratégique, dans l’industrie des médias (groupe El Khabar) et par le quasi arrêt de la filiale Hyundai Algérie de distribution automobile, suite dans les deux cas à des arbitrages gouvernementaux délibérément hostiles aux intérêts de Cevital. Si l’on devait ajouter le maquis procédurier lancé depuis 18 mois par la banque d’Algérie contre le président du groupe au titre « d’infractions à la législation des changes » pour des vices de forme dans des opérations rapatriement de devises, les nuages gagnent un peu plus en noirceur dans le ciel du groupe.
Un harcèlement mais peut-être aussi des erreurs
Les évènements contraires dans le déploiement des plans de croissance de Cevital sont le fruit d’une action politique ouvertement hostile du pouvoir algérien. L’une des situations qui l’illustrent le plus est celle du traitement avantageux fait à l’investissement du groupe Kouninef disposant de deux parcelles de 16,5 ha au total, dans l’enceinte du port de Djendjen pour y implanter une activité de trituration des graines oléagineuses concurrente de celle de Cevital à Bejaia avalisé par l’ANDI plusieurs années auparavant.
L’attribution de l’activité assemblage de la marque Hyundai au groupe Tahkout par le ministre de l’industrie Abdeslam Bouchouareb au détriment du concessionnaire historique Hyundai en Algérie est une autre illustration du parti pris des gouvernements successifs, de même la procédure en annulation de l’acquisition de l’achat du groupe média El Khabar.
Cependant des experts financiers et banquiers d’affaires, évoquent des erreurs d’appréciation dans les décisions d’investissement du groupe. L’acquisition du complexe des aciers spéciaux de Piombino n’aurait pas été entourée de suffisamment de précautions pour pouvoir tenir l’engagement d’investir 400 millions d’euros en deux ans pour la relance de l’activité. «Issad Rebrab a bénéficié dans les opérations françaises de Brandt et de Oxxo d’un accompagnement de l’Etat Français à travers le fonds de résistance industrielle, qui a aidé Cevital à supporter le risque de l’investissement », rappelle une des analystes de la transaction portée en 2014 par le cabinet PWC. Il n’aurait pas insisté pour obtenir un accompagnement similaire dans le cas italien. Certes la banque d’Algérie a de son côté bloqué des exportations des devises de Cevital qui aurait été utile pour obtenir en 2016-2017 un répit plus long dans sa négociation pour trouver des solutions de financement des investissements sur le site de Piombino, notamment dans le plan de cession partielle à l’indien Jindal. En outre, la synergie industrielle à créer sur l’activité de Piombino avec l’amont brésilien (minerai de fer) et l’aval algérien et méditerranéen a été moins évidente à mettre en place que dans, par exemple, le cas de Brandt avec le site industriel de Sétif. « Une difficulté prévisible des avant la transaction de 2014 » selon la même source.
Une stratégie de l’apaisement qui ne paye toujours pas
L’Annus Horribilis 2017 de Issad Rebrab correspond à sa deuxième année de changement de stratégie de communication. Sur les conseils de Publicis, le PDG du groupe a limité ses prises de parole publiques depuis deux ans, les concentrant sur les réalisations en Algérie et les projets de développement de Cevital à l’international.
Il a tenté de montrer qu’un modèle exportateur algérien hors hydrocarbures était possible, notamment en s’appuyant sur l’acquisition d’actifs à l’étranger avec leur brevets et leurs réseaux commerciaux. Il a éliminé de sa communication le discours sur les chicanes de l’administration et sur la mauvaise orientation du climat des affaires en Algérie préjudiciable à ses affaires et à celles d’une grande partie de ses confrères chefs d’entreprise en particulier non adoubés par le clan Bouteflika.
Cevital a, il est vrai pendant ce temps, largement continué à se développer dans les différentes filières du groupe et le PDG a marqué les esprits en novembre 2016 en inaugurant la deuxième ligne de verre à plat de MFG à Larba près d’Alger. Il a évité de parler en public du harcèlement de la banque d’Algérie, des faveurs octroyées au groupe Kouninef alors que lui même est bloqué sur le même segment d’activité, de même qu’il a choisi de rapidement passer à autre chose dans l’affaire d’El Khabar après une décision de justice contraire.
Cette stratégie de l’apaisement dans la communication publique du chairman de Cevital n’a pas réussi à réduire l’agressivité du pouvoir politique vis à vis de ses plans de développement. Elle pourrait être interrogée en 2018 à l’amorce d’une année pré-électorale ou les enjeux de continuité du système Bouteflika sont sur la table. Certains observateurs estiment que Issad Rebrab pourrait être plus utile à son groupe mais aussi à la promotion du climat des affaires en Algérie, en se dégageant progressivement de l’administration stratégique de Cevital. Il endosserait plus amplement une mission d’ambassadeur de la promotion de son modèle d’affaires, basé essentiellement sur la performance de marché en Algérie et dans le monde et très accessoirement sur la commande publique. Exactement l’inverse du modèle du groupe Haddad et du groupe Kouninef, les deux grands bénéficiaires des années Bouteflika.