La 27e édition du Salon International du Livre d’Alger (SILA) a fermé ses portes, révélant un paysage culturel en profonde transformation. Avec 4 millions de visiteurs, contre 2,791 millions en 2023, le salon confirme sa position majeure dans le paysage culturel maghrébin et international, se hissant au quatrième rang mondial des salons du livre en termes d’engagement numérique, derrière la prestigieuse Foire de Francfort.
Le succès est indéniable : plus de 1000 articles publiés, 400 invités médiatiques, 110 émissions et 2,1 millions de vues sur Facebook. Pourtant, cette édition 2024 a connu une baisse significative du nombre d’exposants, passant de 1 283 maisons d’édition en 2023 à 1 020 cette année, représentant seulement 41 pays contre 60 l’année précédente.
L’émergence d’une nouvelle dynamique littéraire
L’une des révélations majeures du SILA 2024 a été l’émergence d’une nouvelle vague littéraire arabe qui rompt radicalement avec les codes traditionnels. S’éloignant des thématiques religieuses ou conservatrices souvent associées à l’édition du monde arabe, cette littérature explore des territoires narratifs modernes et audacieux.
Le phénomène est parfaitement illustré par le succès fulgurant du romancier saoudien Oussama, dont la trilogie “Khawf” (Peur) a écoulé près de 1000 exemplaires en seulement deux heures, malgré un prix élevé de 5000 DA. Cette nouvelle génération d’auteurs arabes propose une littérature contemporaine qui mêle fantasy urbaine, modernité et références culturelles proche-orientales, créant ainsi un pont entre tradition et innovation.
Les jeunes lecteurs algériens, en quête d’une littérature qui les représente, ont massivement adhéré à ces nouvelles voix. Les maisons d’édition comme Aser Al-Kotob ont su capter cette évolution en développant des stratégies marketing innovantes sur les réseaux sociaux, comprenant que cette littérature répond à une soif de renouveau narratif dans le monde arabe.
Une absence controversée
L’absence remarquée de certaines maisons d’édition de renom, notamment Gallimard, a particulièrement alimenté les débats. Cette absence serait liée à la publication de “Houri” de Kamel Daoud, un roman traitant de la décennie noire. La situation est d’autant plus notable que l’auteur vient de recevoir le Prix Goncourt 2024, une première pour un écrivain algérien.
Dans une analyse pour le site histoirecoloniale.net, Christiane Chaulet Achour, professeure de littérature comparée à l’université de Cergy-Pontoise, voit dans cette récompense le témoignage “de la difficulté hexagonale à regarder en face l’héritage impérial et de l’avidité à s’emparer d’une représentation partielle de l’Algérie, exonérant la France de toute responsabilité dans la transmission de la violence”.
La controverse s’inscrit dans un contexte plus large que la simple thématique de la décennie noire – d’autres auteurs ayant traité ce sujet restent présents au salon. Elle reflète plutôt les tensions autour des positions politiques de l’auteur et sa réception différenciée en France et en Algérie.
Le SILA 2024 reflète ainsi les contradictions d’un marché du livre en pleine transformation : d’un côté, une affluence record et un dynamisme certain dans certains segments, de l’autre, un recul de la diversité internationale et des questions persistantes sur les critères d’admission des éditeurs.
L’avenir dira si ce nouveau modèle économique, porté par les réseaux sociaux et une génération Z hyper-connectée, parviendra à coexister harmonieusement avec une vision plus traditionnelle du livre et de la lecture. Pour l’heure, le SILA confirme sa position de miroir des transformations profondes qui animent la société algérienne contemporaine, révélant tant ses dynamiques culturelles que ses tensions politiques.