Les auteurs* de cette contribution, dont nous avons publié une synthèse hier, proposent une série de mesures destinées à faire face à la chute des prix du brut sur l’économie algérienne. Ces mesures s’articulent autour de quatre axes : la politique budgétaire, la politique de taux de change de la Banque centrale, la rationalisation des importations et, enfin, l’épargne.
Le prix du baril de pétrole a baissé de plus de 55 $ US entre juin et décembre 2014. Cette baisse a plusieurs implications très négatives pour l’économie du pays. Si le prix du baril se maintient en moyenne à 60 $ pour l’année 2015, nous aurons :
1- Une baisse des recettes fiscales pétrolières : 20 milliards (mds) de $.
2- Une baisse sensible de la valeur nominale du PIB : au moins 30 mds de $.
3- Une baisse des recettes fiscales ordinaires (par exemple la fiscalité liée aux importations).
4- Un recours massif au Fonds de Régulation des Recettes (FRR) pour combler le déficit budgétaire.
5- Une baisse importante des réserves de changes.
6- Une augmentation du chômage (moins d’emploi dans les secteurs publics et privés).
7- Une baisse des fondamentaux de l’économie du pays et donc une baisse du Dinar et une augmentation de l’inflation.
L’économie du pays est très dépendante des hydrocarbures. Tout le monde le sait. Les remèdes sont connus : diversifier l’économie, relancer l’industrie, améliorer le climat des affaires, développer les secteurs du tourisme et de l’agriculture, mieux former les cadres dirigeants, cibler les subventions, cesser le gaspillage des ressources énergétiques et financières, etc. Ces mesures ont été suggérées par plusieurs institutions et personnalités (Experts nationaux, Rapports ministériels, Banque Mondiale, FMI, NABNI). Pour la plupart, ces mesures nécessitent du temps pour être mises en œuvre et surtout plusieurs années pour donner des résultats.
Or l’importance du choc pétrolier, l’incertitude de sa durée et la violence de ses conséquences citées ci-dessus impliquent la prise de mesures importantes et urgentes et à effets presque immédiats. L’objectif de ce document est de proposer des solutions de court terme pour absorber le choc pétrolier actuel. Nous proposons quatre grands axes de mesures :
– Politique budgétaire du gouvernement : une meilleure allocation des subventions et une rationalisation du recours au FRR.
– Politique de taux de change de la Banque d’Algérie: diminuer la valeur du dinar.
– Rationalisation des importations : taxer différemment les produits importés en fonction de leur apport à l’économie nationale et à la satisfaction des besoins de bases de la société algérienne.
– Epargne : Augmenter les incitations pour accroitre l’épargne.
Le premier axe a pour but de diminuer les dépenses de l’Etat puisque ses recettes vont diminuer. Les second et troisième axes ont pour buts de freiner les importations et de préserver les réserves de change. Le quatrième axe a pour objectif d’inciter les citoyens à épargner plus pour d’une part reporter des dépenses à l’avenir et d’autre part diminuer les importations.
Avant d’aller plus loin, il faut noter plusieurs points importants :
– Toutes les décisions pour absorber le choc pétrolier seront des mesures d’austérité et
toucheront des intérêts. Elles recevront donc des résistances plus ou moins fortes.
– L’augmentation de l’inflation est inévitable, bien qu’elle soit destinée à être contenue dans des limites socialement acceptables.
– Un arbitrage politique entre les ampleurs du chômage et de l’inflation devra être fait par le Gouvernement. Ne pas baisser les subventions implique plus de chômage ; baisser les subventions implique de l’inflation.
– L’accompagnement politique des mesures d’austérité est crucial. La lutte contre la corruption est un ingrédient majeur de cet accompagnement.
– Les périodes de récessions et de chocs adverses sont propices pour mettre en œuvre des réformes économiques. Les économistes parlent de l’ « effet nettoyant » (cleansing effect) des récessions et autres chocs adverses : c’est en basse conjoncture que le coût d’opportunité (économique et politique) des ajustements de politique économique est le plus bas.
I. Politique budgétaire du Gouvernement
Cette politique est excessivement pro-cyclique comme dans la plupart des pays dépendant des ressources naturelles. Ce défaut systémique s’est trouvé lourdement aggravé par les décisions post Printemps arabe. Une multitude de concessions salariales et subventions grèvent le budget de l’Etat, qui conjuguée au choc adverse sur les termes de l’échange actuel, peut rapidement déboucher sur une impasse budgétaire, avec un FRR rapidement épuisé. Dans ce contexte politiquement et économiquement propice aux ajustements en profondeur, il est paradoxal de constater que le gouvernement renonce apparemment au levier budgétaire hormis le gel de certains recrutements et le report de projets. Or, certaines subventions sont à un niveau si élevé qu’elles peuvent être raisonnablement rognées sans pour autant rompre l’équilibre politico-social, et tout en améliorant durablement les perspectives budgétaires. La fiscalité des biens énergétiques, entre autres, s’inscrit pleinement dans cet angle d’analyse. L’idéal étant de cibler les subventions, c’est-à-dire de remettre l’argent directement aux ménages nécessiteux. Une dépêche de l’APS datée d’avril 2014 nous informe qu’à l’ouverture de la 5e session ordinaire du conseil des ministres arabes qui a eu lieu à Tunis, l’ancien Ministre des Finances, Monsieur Karim Djoudi, a recommandé aux pays de la région la « rationalisation de l’action à travers des formules de subvention plus performantes afin de cibler les catégories nécessiteuses et de remédier à certains dysfonctionnements structurels avec l’objectif d’améliorer l’efficacité en matière de distribution des ressources et de renforcer la rigueur financière ». Il est temps de passer à l’action. Il faut mettre dès à présent les textes et les mécanismes pour implémenter le système des subventions ciblées. C’est le plus grand défi économique des prochaines années.
Les montants des subventions énergétiques qui sont essentiellement implicites, c’est-à-dire non incluses dans le budget de l’Etat, sont ahurissantes. Le Ministère des Finances a divulgué fin 2013 le montant de ces subventions indirectes pour l’année 2012 : 775 mds de DA pour le carburant, 600 mds pour le gaz et autant pour l’électricité, soit 1975 mds de DA. Puisque la consommation énergétique augmente de 10% par an, le montant de ces subventions pour l’année 2014 devrait avoisiner les 2400 mds de DA, soit le tiers du budget de l’Etat de l’année 2014. En prenant le taux de change de fin décembre 2014, soit 87,6 DA pour un $, nous obtenons 27 mds de $. Ce montant est calculé à partir d’un baril de pétrole à 110 $ et devient 14,7 mds de $ pour un baril à 60 $. Il représente 60% de la baisse des recettes pétrolières de l’année 2015 si le prix du baril de pétrole se maintenant à 60 $ (24 mds de $ de baisses).
La subvention du carburant est antiéconomique et antisociale. Une bonne partie de cette subvention passe chez les pays voisins à travers la contrebande et de fait finance une partie du terrorisme. De plus, ce sont les ménages les plus aisés qui en profitent car ils disposent de plusieurs voitures et souvent énergivores. Une étude de l’ONS sur la consommation des ménages de l’année 2011 montre que les ménages les plus aisés (10% les plus aisés) allouent pour le poste Transports et Communications vingt-neuf fois plus (oui 29) que les ménages les moins aisés (10% les moins aisés) et un peu plus que tout le reste de la population (90%). La wilaya d’Alger se taille une part substantielle de ces subventions puisque les statistiques de l’ONS indiquaient qu’en 2012 la proportion d’immatriculations de cette wilaya était de 26%.
Le rapport financier de la Sonatrach de l’année 2011 indique que le prix de vente de l’essence était le cinquième du vrai prix, soit 110 DA au lieu de 22 DA. Pour un baril à 60 $ et un $ à 87.6 DA, ce prix devient 70 DA, soit plus que trois fois le prix de 22 DA. Il parait donc clair qu’il est possible d’augmenter le prix de l’essence sans toucher au contrat social.
Une augmentation de 10 DA du prix de l’essence rapporterait un milliard de $, c’est-à-dire 87 mds de DA. Ce montant représente la masse salariale de 290 000 personnes dont le salaire mensuel brut est de 25 000 DA.
D’un autre côté, une augmentation de l’essence aura évidemment un impact sur l’inflation. Nous reviendrons plus loin sur ce point. Mais il est utile de mentionner que le poste Transports et Communications représente 16% de l’indice des prix de l’ONS. Les sous-postes Transports et Autres dépenses pour véhicules (qui contiennent l’essence) représentent 5,3% de l’indice des prix. L’ONS dispose du poids réel de l’essence dans le calcul de l’indice des prix. En supposant que l’essence représente 2% de cet indice, doubler le prix de l’essence aura un impact direct de 2% sur l’indice des prix, c’est-à-dire que l’inflation annuelle augmenterait en impact de 2%. De la même manière, augmenter le prix de l’essence de 10 DA augmentera l’inflation de 1%
Ceci illustre l’arbitrage politique que le Gouvernement doit faire puisque augmenter le prix de l’essence de 10 DA va évidemment augmenter l’inflation de 1% pendant une année (si le poids de l’essence dans l’indice des prix est 2%) mais il pourrait permettre d’embaucher 290 000 personnes de manière permanente
Il faut noter qu’il est urgent d’augmenter le prix de vente de l’essence pour qu’il se rapproche de son vrai prix qui est actuellement bas (70 DA au lieu de 110 DA). Ce prix serait du coup proche des prix du carburant chez nos voisins. En conséquence, la consommation d’essence baissera fortement non seulement sous l’effet prix mais aussi parce que les quantités actuellement captées par la contrebande seront nettement réduites.
Nous recommandons d’augmenter de manières progressive mais substantielle le prix de l’essence.
Une augmentation de 20 à 30 DA par tranche de 10 DA est recommandée pour l’année 2015.
Une autre subvention aux effets très négatifs est celle du sucre. Une bonne partie des produits subventionnés est captée par la contrebande qui atteint un niveau ahurissant comme l’indique l’augmentation des importations de lait des onze premiers mois de l’année 2014 (+43,5%). Mais la subvention du sucre est vraiment différente des autres subventions alimentaires. Elle est détournée pour produire toutes sortes de friandises, profitant aux plus aisés. Plus grave, elle incite à la surconsommation de produits sucrés qui se manifeste par le développement de l’obésité et du diabète. Nous faisons face à un problème de santé publique.
Nous recommandons de réduire puis supprimer la subvention du sucre de manière permanente.
Enfin, le déficit va être financé par le FRR pendant plusieurs années. Il a fallu plus d’une décennie pour accumuler les 70 mds de $ du FRR. Il serait déraisonnable de le dépenser en une période courte. Nous pensons qu’il faut limiter ex-ante le montant annuel de la ponction du FRR. Le montant de cette ponction pour l’année 2015 pouvant être plus élevée car la Loi de Finance 2015 est déjà en vigueur.
Nous recommandons que le montant maximal d’une ponction du FRR soit de 6 mds de $ par année, et que ce montant maximal soit de 10 mds de $ pour l’année 2015.
II. Politique de taux de change de la Banque d’Algérie
Le Dinar est surévalué. Dans sa Note de Conjoncture du premier semestre de 2014, La Banque d’Algérie (BA) nous informe que selon son modèle, la valeur réelle du DA (c’est-à-dire hors différentiel d’inflation) est surévalué de 4%. Les deux précédentes Notes de conjoncture trimestrielles donnent la même information. Cette surévaluation est nuisible à l’économie du pays puisqu’elle subventionne les importations au détriment de la production nationale et de fait diminue les recettes en DA de la fiscalité pétrolière. La BA a probablement surévalué le DA pour lutter contre la forte inflation de l’année 2012. La politique de taux de change est un des outils de la politique monétaire de la BA et il n’y a rien à dire de ce côté-là. Par contre, l’inflation a nettement baissé depuis presque deux ans et il est incompréhensible que la BA ait maintenu la valeur du DA au-dessus du prix d’équilibre de son modèle.
Fin juin, un $ valait 78,87 DA et il valait 87,95 fin décembre alors que l’Euro est passé de 107,62 à 106,97 DA. Si on prend un portefeuille de 2$ et 1 Euro, qui donne une bonne approximation de la variabilité du DA, on en conclut que ce portefeuille valait 264,36 DA fin juin et 282,87 DA fin décembre. La valeur nominale du DA a donc baissé de 7%. Pour l’inflation, en novembre 2014, elle était de 2,6% en Algérie, 1,3% aux USA et 0,3% en Europe, ce qui donne un différentiel annuel d’inflation de 1,6%. La valeur réelle du DA a donc baissé de 6,2% entre juin et décembre 2014. C’est 2,2% de plus que ce qu’indiquait la Note de Conjoncture du second trimestre de la BA.
Le calcul précédent fait l’hypothèse que les fondamentaux de l’économie du pays et des partenaires commerciaux n’a pas changé. Or depuis fin juin, les fondamentaux de l’économie du pays ont nettement baissé. D’une part le prix du baril de pétrole a perdu 55$. Comme indiqué ci-dessus, sur une année pleine, ce choc implique une baisse de 24 mds de $ de recettes pétrolières et plus pour le PIB. Dans le même temps, la situation économique de plusieurs pays partenaires de l’Algérie s’est détériorée. La BA a émis un communiqué de presse le 29 décembre 2014 où elle affirme que « le taux de change effectif réel du dinar s’est apprécié au cours des onze premiers mois de l’année 2014 de 5,11 %, en moyenne, en situation de forte dépréciation des monnaies des pays partenaires vis-à- vis du dollar. » Autrement dit, la valeur de plusieurs monnaies de pays partenaires a baissé par rapport au $ et beaucoup plus que la baisse du DA par rapport au $. Le communiqué de la BA évite soigneusement de nous informer où en est la valeur réelle du DA par rapport à son prix d’équilibre que lui donne son modèle. Il est probable que le DA soit encore surévalué, ce qui est très mauvais pour l’économie du pays, en particulier face au choc pétrolier actuel.
Les recettes en devises de l’Algérie sont obtenues presque entièrement par la vente des hydrocarbures. Certains économistes comme l’américain Jeffrey Frankel recommandent de fixer purement et simplement la valeur de la monnaie nationale par rapport au prix de la ressource dominante dans les exportations que sont les hydrocarbures en Algérie. Si c’était le cas, le DA aurait perdu 50% de sa valeur depuis fin juin, alors qu’il n’a perdu que 11%. La Russie dont la structure des exportations est similaire à celle de l’Algérie a vu la valeur de sa monnaie (fixée librement par le marché) baisser de près de 40% malgré les interventions répétées et massives de la Banque Centrale Russe pour soutenir le Rouble. Les sanctions contre la Russie n’aident en rien l’état du Rouble russe mais c’est le prix du pétrole qui est la principale raison de sa baisse. Notons aussi que la Couronne Norvégienne (fixée librement par le marché) a perdu 21% entre juin et décembre, soit presque le double de la baisse du DA.
Nous ne sommes pas favorables à indexer le DA à la valeur du baril du pétrole ni à sa convertibilité, mais les variations du prix du pétrole doivent se retrouver peu ou prou dans celles du DA. Observer une baisse de 50% du prix du baril et une appréciation de 5.11% de la valeur réelle du DA est une aberration économique aux conséquences dramatiques pour le pays.
Nous recommandons de baisser la valeur du Dinar au niveau de sa valeur d’équilibre ou en dessous. Nous recommandons une baisse d’au moins 10%.
On ne peut éviter de discuter du change parallèle. En effet, la situation économique actuelle et la peur de voir la valeur du Dinar diminuer va d’une part inciter fortement les citoyens à échanger leur monnaie nationale contre des devises et d’autre part inciter les possesseurs de devises à les garder.
Comme tout le monde le sait, la valeur d’un Euro est proche de 160 DA sur le marché noir, soit près de 50% de plus que la cotation du marché officiel. C’est aussi le cas du $. Cette situation dure depuis plusieurs décennies. Rien n’est entrepris pour lutter contre ce fléau.
La BA d’Algérie estime que ce n’est pas son affaire et elle estime que ce problème relève des affaires de police et de justice. L’ancien Ministre de l’Intérieur, Monsieur Daho Ould Kablia, a publiquement dit que le citoyen y trouvait son compte (financement des études, des soins et des loisirs à l’étranger), ce qui est incontestable. Il serait naïf de penser que ce fléau peut être régler par des répressions policières et judiciaires. Ces répressions aboutiraient à l’augmentation de la valeur des devises sur le marché parallèle pour rémunérer la prise de risque de l’échange et à l’apparition de faux billets. La solution doit être économique et elle est en bonne partie entre les mains de la BA.
Le marché parallèle a deux côtés, la demande et l’offre de devises. La demande de devises provient principalement de personnes qui veulent étudier, se soigner ou passer des vacances à l’étranger, et enfin acheter de biens immobiliers. L’allocation de devise est très faible (elle est de 6000 Dinars/an en Tunisie, soit 2800 Euros, pour les adultes et la moitié pour les mineurs ; elle est de 40000
Dirhams/an, soit 3600 Euros). Il n’y a pas de possibilité de transférer de l’argent pour financer des études (ce montant est de 1000 Euros par mois en Tunisie et 915 Euros au Maroc). Au même moment, et de manière surprenante, la législation permet de financer ses vacances à l’étranger dans des hôtels cinq étoiles (en passant par les agences de voyages) ou de faire la Omra chaque année, c’est-à-dire une législation au service des plus aisés.
Quant à l’offre de devises, il y a évidemment la diaspora qui en fournit une bonne partie et profite de l’existence du marché parallèle. Une autre partie provient des facturations illicites et de la contrebande. Cette seconde partie doit être combattue et elle est du ressort des services de sécurité et de justice. Ne perdons pas de vue qu’une diminution de l’offre de devises du marché parallèle aboutirait à la baisse du Dinar sur ce marché si la demande de devises est inchangée.
En résumé, comme indiqué ci-dessus, la peur de la baisse de la valeur du Dinar va inciter les citoyens à acheter des devises et les possesseurs de celles-ci à les garder. Si rien n’est fait sur la demande et l’offre de devises, nous allons observer une forte baisse de la valeur du Dinar sur le marché parallèle, ce qui risque d’avoir des conséquences politiques et économiques importantes.
III. Rationalisation des importations
Rationaliser les importations est en effet une urgence absolue pour un pays comme l’Algérie, qui vit actuellement nettement au-dessus de ses moyens si l’on adopte la perspective inter-temporelle qui convient. Mais qu’est-ce que rationaliser les importations ? Une première lecture consiste à étudier la composition sectorielle (ou plus fine) des importations algériennes et identifier les sources du glissement actuel. Pour autant, il ne s’agit pas de « couper tout ce qui dépasse ». Une structure optimale des importations dans un pays en transition comme l’Algérie consiste à privilégier les filières d’importation à haute valeur ajoutée, c’est-à-dire contribuant à la remise à niveau technologique du pays. Or, cet objectif maintes fois clamé par les pouvoirs publics est très loin d’être atteint. Une récente dépêche de l’APS montre par exemple que les accords d’association avec l’Union Européenne ont coûté près de huit milliards de dollars en recettes douanières sans aucune contrepartie en termes de remise à niveau en dépit d’accords signés dans ce sens, ce qui en dit long sur la nature de ces importations (la mise à niveau des entreprises nationales n’a couté à l’Union Européenne que 60 millions d’Euros pour obtenir l’ouverture du marché algérien !). Ainsi, l’Algérie s’est convertie en une sorte de vache à lait pour les états dépressifs du nord de la méditerranée. Il ne s’agit pas ici de revenir sur ce qui a été signé mais au contraire de faire valoir ce qui a été signé en matière de transferts technologiques. C’est en corrigeant durablement ce genre de dérives que l’on rationalise vraiment les importations : non seulement on pourrait ainsi améliorer la balance commerciale en période de choc adverse sur les termes de l’échange, mais on peut asseoir par ce biais une réelle modernisation du pays avec une définition claire et précise de filières d’importation préférentielles.
Cette modernisation doit aller de pair (et ne peut être autrement) avec un autre versant, encore plus crucial, de la rationalisation des importations, la mise au pas des lobbys et autres groupes influents qui se partagent le gâteau de ce secteur dans une atmosphère fiscale excessivement favorable. Les économistes américains Philip Lane et Aaron Tornell ont fait l’essentiel de leur réputation sur ce qu’ils ont appelé l’ « effet de voracité ». Dans le contexte d’une économie dépendant des ressources naturelles, ces deux chercheurs montrent que l’existence d’un nombre limité de groupes de pression suffit à distordre la politique économique, notamment fiscale, conduisant à la surconsommation (voracité) au détriment de la croissance. Rationaliser les importations c’est d’abord mettre fin à l’oligarchie qui met en coupe réglée l’économie nationale par son maillon faible, les importations. Le meilleur moyen d’y arriver c’est de mettre en œuvre une loi anti-concentration adaptée et l’appliquer dans les meilleurs délais et la plus grande transparence. De ce point de vue, baisser le taux d’impôt sur les bénéfices (IBS) des sociétés importatrices et augmenter celui des sociétés productrices pour les aligner est choquante quant aux arguments donnés (simplification des procédures fiscales), surprenante puisqu’au même moment le Gouvernement doit défendre la production nationale et enfin elle est révélatrice de la puissance du lobby des importateurs.
Il faut donc favoriser les produits à forte valeur ajoutées. Il faut favoriser les produits qui peuvent le plus facilement être substitués par la production nationale selon des méthodologies éprouvées, et dont l’impact est le plus élevé. Pour cela il existe quatre types d’instruments que nous allons décrire ci-dessous.
Notons que pour le moment l’Algérie n’est pas membre de l’OMC et en conséquence nous n’avons pas à nous préoccuper de la compatibilité des mesures avec les règles de l’OMC. Rentrer à l’OMC dans l’état actuel de l’économie nationale est suicidaire. Evidemment, l’Algérie ne peut rester éternellement en dehors de l’organisation mondiale du commerce. La philosophie de nos recommandations est que dans l’état actuel des choses, il s’agit de prendre des mesures résolues de protection de l’économie nationale quitte à heurter les règles de l’OMC mais parallèlement prendre les mesures économiques et institutionnelles de convergence nécessaires.
1. Des instruments administratifs. C’est l’instrument favori du Gouvernement et ce depuis plusieurs années: mise en place de toute sorte de freins pour ralentir les importations (crédit documentaire, augmentation de capital des importateurs, etc.). La BA vient aussi de s’y mettre en doublant le ratio capital sur encours de crédit à l’importation des banques. Les résultats de cet instrument sont très limités.
2. Les contingentements d’importation. Le Gouvernement pourrait limiter les quantités importées. Il pourrait par exemple décider d’importer au maximum 100 000 voitures par an. C’est le contingentement des importations. Dans ce cas, il faudrait décider comment répartir ces quantités entre les importateurs. La manière la plus efficace et la plus transparente est de le faire par un mécanisme d’enchères pour de petits lots (par exemple des lots de 5000 voitures en fonction de la puissance). Une autre façon de le faire est d’adopter la règle du « premier arrivé premier servi ». L’OMC est contre ce type de méthode sauf pour des cas exceptionnels. Une baisse de 50% des revenus extérieurs est un cas exceptionnel, et l’Algérie n’est pas membre de l’OMC. Le but de cette procédure serait de protéger les réserves de change. Elle pourrait être mise en œuvre sur une durée limitée.
3. Les contingentements tarifaires. Comme l’OMC interdit les contingentements d’importation, certains pays ont mis en place des contingentements tarifaires sous forme de plusieurs tarifs douaniers pour certains produits en fonction de la quantité globale importée. Par exemple, au-dessous d’une certaine quantité (par exemple 100 000 voitures), les produits importés sont imposés à un tarif donné. Au-delà de cette quantité, le tarif augmente à un niveau bien plus élevé sans limitation de quantité (sauf à introduire un troisième tarif et une seconde quantité). Le Canada utilise beaucoup ce système pour protéger son agriculture. La répartition de la première quantité est souvent faite par la règle du « premier arrivé premier servi ». Les règles de l’OMC n’empêchent pas les contingentements tarifaires.
4. Différencier la TVA. Une manière très efficace de baisser et de cibler les importations est de différencier le taux de TVA selon les produits. Par exemple, augmenter la TVA pour les produits de luxe, les voitures puissantes et les produits énergivores. Cette méthode est simple à mettre en œuvre et elle aurait des résultats immédiats et durables puisque les règles de l’OMC n’empêchent pas de différencier la TVA entre produits.
Nous recommandons d’établir des contingentements tarifaires et de différencier la TVA sur des produits à déterminer pour protéger les réserves de change et la production nationale et ralentir la consommation d’énergie.
Inflation
L’augmentation de l’inflation est inévitable en cas de réduction des subventions ou de baisse de la valeur du Dinar ou de restrictions sur les importations. Le pays a connu ce phénomène de manière dramatique au cours des années 90. Toutefois, l’inflation restera contenue. En effet, la situation économique du pays est très différente actuellement de celle des années 90 pour plusieurs raisons :
– La magnitude du choc n’est pas la même d’une part et d’autre part le pays dispose de ressources financières lui permettant de lisser dans le temps la baisse des subventions et du Dinar.
– L’autre aspect positif de la situation actuelle est le niveau des prix au niveau international. L’inflation mondiale est très basse. Elle va diminuer encore plus suite à la baisse du prix du pétrole. L’Europe va peut-être connaitre une déflation (i.e. baisse des prix) en 2015. La Chine aussi connaît une baisse sensible de l’inflation puisqu’elle était de 1,6% en novembre et surtout l’indice des prix de la production est en baisse continue depuis plus de trois ans (moins 10% depuis 2011), baisse qui va s’amplifier avec les cours actuels du pétrole. Certains spécialistes de la Chine n’excluent pas une baisse de sa monnaie. Enfin, les prix des produits agricoles sur les marchés internationaux sont plutôt stables voire à la baisse. Autrement dit, l’inflation importée sera très faible en 2015 voire négative.
Nous sommes donc dans une période propice pour faire baisser les subventions et la valeur du Dinar car il n’y aura pas d’effets externes qui se rajouteront. Il faut le faire rapidement car cette fenêtre de très faible inflation importée ne va pas forcément durer. En effet, Il est question que la Banque Centrale Américaine commence à augmenter graduellement ses taux d’intérêts au cours du second semestre de 2015 et que la Banque Centrale Européenne lance très prochainement un très grand programme de « Quantitative Easing » (c’est-à-dire faire fonctionner la planche à billets), ce qui risque d’affecter l’économie mondiale et d’augmenter l’inflation importée.
Evidemment, le gouvernement doit veiller à ce que les populations les plus démunies continuent de profiter des subventions des produits de premières nécessités. Mais ces subventions doivent profiter aux plus démunis seulement, et non pas au plus aisés et à la contrebande. La solution est bien connue : les subventions ciblées mentionnées ci-dessus.
Enfin, nous pensons que l’ONS devrait rapidement publier un indice d’inflation hors énergie pour pouvoir faire la comparaison avec le passé. Il est standard de publier plusieurs indices des prix, l’un global et les autres excluant certains produits volatiles (énergie et agriculture).
IV. Epargne
En anticipant une baisse du DA et une forte inflation, les citoyens disposants de liquidités seront fortement inciter à se départir de leur DA. Ils ont deux solutions. Comme indiqué ci-dessus, la première solution est de les échanger contre des devises. La seconde consiste à acheter des biens durables et à anticiper des dépenses futures (électroménager, meubles, voitures, travaux domestiques). Comme la production nationale est faible, c’est l’importation qui en profiterait. Il est donc impératif et urgent d’agir pour que les citoyens gardent et si possible augmentent leur épargne.
Il y a deux manières d’augmenter l’épargne. La première est liée au financement des projets de logement lancés par le Gouvernement. La seconde est liée à la rémunération des dépôts à vue.
1. Montants des premières tranches des programmes de logements (AADL, LPP et LPA)
Réclamer dès le début du programme un paiement substantiel du prix du logement a été une très bonne initiative du Gouvernement. Cette action est probablement la principale raison à la baisse de l’inflation en 2013 et 2014. Il faut la poursuivre et nous proposons de l’amplifier pour inciter les citoyens à épargner. Nous pensons qu’il faut permettre aux citoyens de payer le montant qu’ils souhaitent (au-dessus d’un montant minimum) et indexer les montants restants sur l’inflation. Comme les citoyens anticiperont que l’inflation va augmenter, ils auront intérêt à payer le maximum dès maintenant, surtout que la rémunération des banques est faible.
Nous recommandons de ne pas fixer de montant maximal des premières tranches des programmes de logements (AADL, LPP, LPA), de maintenir des montants minimaux, et d’indexer à l’inflation les paiements ultérieurs.
2. Taux d’intérêts
La seconde manière d’augmenter l’épargne est d’augmenter la rémunération des dépôts à vue. Les taux d’intérêts des dépôts à vue est très faible en Algérie depuis une longue période. Ils sont autour de 2% et donc inférieurs à l’inflation (2,6%). La BA a une responsabilité de premier ordre puisque c’est elle qui fixe les différents taux, depuis longtemps pour le cas des banques publiques et depuis plus d’une année pour les banques privées. Nous pensons que la BA doit modifier le taux de rémunération des dépôts à vue à une année. Il doit être supérieur à l’inflation anticipée sur une année.
Nous recommandons que le taux de rémunération des dépôts à vue à une année soit légèrement supérieur à l’inflation anticipée sur une année.
Conclusion
Pour conclure, il est important de rappeler que les mesures suggérées ci-dessous sont pour le court terme et que lancer des réformes structurelles est une urgence absolue. Ce sont les réformes structurelles qui vont améliorer l’économie du pays et diminuer son lien avec le prix du baril de pétrole, prix qui est décidé sur les marchés financiers mondiaux et à Riyad.
Il est aussi important de rappeler que les efforts de gestion efficace des subventions, des réserves de change, et plus généralement de la politique économique nécessitent l’adhésion de la population. Cette adhésion est impossible à obtenir sans une lutte déterminée contre la corruption.
(*) Raouf Boucekkine est professeur d’économie et directeur scientifique à l’Aix-Marseille School of Economics. Nour Meddahi est professeur d’économie au Toulouse School of Economics.