Pour les deux reporters de Reuters, en dépit du soutien aérien américain, la reprise de Syrte par les forces gouvernementales sera bien plus difficile qu’il n’y paraît.
Au lendemain des premières frappes américaines sur le fief de l’organisation Etat islamique (EI) en Libye, Syrte, les combattants anti-EI saluent l’engagement de Washington mais restent prudents dans une ville où les mines et les tireurs embusqués ralentissent toujours leur avancée.
Les frappes de lundi ont initialement visé un char ainsi que deux véhicules de l’EI à Syrte, ville côtière contrôlée depuis l’année dernière par la branche libyenne de l’organisation djihadiste.
Les combattants de l’EI sont désormais assiégés par les forces libyennes, qui occupent des tranchées creusées dans le sable ou se retranchent derrière des murs de béton après des combats menés rue par rue, au lourd bilan humain.
« Si les Etats-Unis sont sérieux avec ces frappes, nous sommes très contents, et cela va nous aider sur le terrain », commente Hossam Bakouch, un combattant de la brigade de Marsa, une ville située plus à l’Est.
La bataille de Syrte illustre la difficulté à mettre fin à l’implantation de l’EI en Libye, où l’organisation n’a obtenu aucun réel soutien local mais a réussi à tirer profit du chaos qui a suivi la chute de l’ancien dictateur Mouammar Kadhafi en 2011.
Le pays reste profondément divisé et le gouvernement d’accord national (GNA), soutenu par les Nations unies, a longtemps hésité à demander l’aide militaire des Etats-Unis.
Pour les combattants sur place, ces hésitations ont été source de frustrations. « La plupart de mes amis sont contents, mais ils demandent pourquoi cela n’est pas arrivé plus tôt », souligne Hossam Bakouch.
Abdallah Ali Ibrahim Ismail, un autre combattant de la brigade de Marsa, estime que les frappes pourraient faire basculer la situation. « Je pense que les frappes américaines vont beaucoup aider les troupes au sol (…) J’espère que quand nous lancerons un nouvel assaut sur les positions de l’Etat islamique, les avions américains nous couvriront », dit-il.
« Le moral des troupes est bien meilleur, nos hommes ont fait la fête la nuit dernière », ajoute le combattant, interrogé mardi dans les faubourgs de Syrte.
L’EI pourrait rassembler ses troupes
L’organisation djihadiste a reculé en Syrie et en Irak sous la pression des campagnes militaires soutenues par les Etats-Unis. A Syrte, ville natale de Kadhafi qu’elle contrôlait un temps, elle ne compte plus que quelques centaines d’hommes.
Face à eux, les frappes aériennes en Libye seront d’une « durée indéterminée », mais chacune d’entre elles sera décidée avec le gouvernement d’accord national (GNA), ont annoncé lundi des responsables américains.
« Nous avons demandé l’aide des Etats-Unis pour que l’opération puisse progresser rapidement et que nous ne perdions pas davantage de combattants », explique Mokhtar Fakron, porte-parole des forces aériennes à Misrata, d’où partent les avions de combat.
La bataille de Syrte se concentre désormais sur le centre de conférence Ouagadougou, un bâtiment blanc sur lequel flotte le drapeau noir de l’organisation djihadiste, ainsi que les rues autour d’un hôpital et de l’université de la ville, presque entièrement vidée de ses habitants.
Lundi, les bombardements ont frappé à proximité du centre de conférences et du quartier appelé « Dollar », à environ 1,5 km du cœur de la ville, repris par les combattants anti-EI samedi, indique Fathi Bachagha, qui fait la liaison entre le GNA et le centre de commandement des opérations à Misrata.
Les milices de Misrata et le GNA sont alliés depuis mai dans les opérations visant à reprendre Syrte à l’EI. Les combattants de Misrata tiennent plusieurs fronts autour du centre de la ville, souvent à quelques centaines de mètres des djihadistes.
« Les zones encore tenues par les combattants de l’Etat islamique dans Syrte sont petites et limitées et nous ne disposons pas de moyens techniques suffisants pour nous en emparer », souligne Mokhtar Fakron.
Les miliciens de Misrata pensent que les commandants de l’EI, notamment les étrangers envoyés par les dirigeants de l’organisation djihadiste basés en Irak et en Syrie, ont fui Syrte avant même que ne début le siège, en direction du sud de la Libye, d’où ils pourraient continuer à lancer des attaques et des attentats suicides une fois la ville reprise.
Ils soupçonnent aussi que l’EI a enterré à Syrte de grandes quantités d’armes et de munitions, qui pourraient selon Mokhtar Fakron constituer une cible de choix pour des frappes américaines.
Des effectifs réduits de militaires occidentaux, et notamment français, soutiennent le GNA depuis plusieurs mois en matière de logistique et de renseignement. La coalition occidentale a toutefois conditionné des actions plus importantes à une demande du nouveau gouvernement.
Ce dernier, installé en mars à Tripoli, a tardé à le faire, peinant à imposer son autorité et craignant d’être vu comme la marionnette de puissances étrangères dans un pays qui reste très divisé.
Les meilleurs pour la fin
Au début du mois de mai, les combattants de l’EI ont lancé une offensive au nord-ouest de Syrte en direction de Misrata, provoquant une contre-attaque des combattants originaires de cette ville qui les a conduits aux portes de Syrte.
Stationnés dans la ville, les combattants des brigades de Misrata, souvent des volontaires ou d’anciens rebelles contre le régime de Kadhafi en 2011, jugent que le GNA à Tripoli et la communauté internationale peinent à tenir leurs promesses.
En dépit du déblocage de 100 millions de dinars (58 millions d’euros) par le GNA, ce dernier ne parvient pas à suivre les développements sur le terrain, juge Fathi Bachagha.
« La campagne va très vite, et les autres démarches sont très lentes », a-t-il dit à Reuters. « Ils disent ‘Ok, on verra combien il vous faut (…) laissez-moi vérifier et vous tenir au courant’ Et ils vous répondent un mois plus tard, quand votre situation a empiré », déplore-t-il, ajoutant que des frappes américaines pourraient « tout changer ».
Au fil des combats, les brigades ont amélioré leur organisation, mais elles continuent de subir de lourdes pertes.
« Plus on avance, plus on fait face à des combattants expérimentés », souligne Souhaïb Djahan, positionné à quelques centaines de mètres du centre Ouagadougou, le bastion des djihadistes. « Ils gardent les meilleurs pour la fin. »
Au moins 350 membres des brigades ont été tués depuis mai, et 1.500 d’entre eux ont été blessés. Des dizaines de combattants sont morts en l’espace d’une seule journée, tués dans des attentats suicides, par des bombes ou des tireurs embusqués.
Les brigades, qui manquent d’équipement, ont construit des armes de fortune et installé des lance-roquettes d’hélicoptères sur des pick-up ou encore un canon antiaérien sur un remorqueur des gardes-côtes qui patrouille au large de Syrte. Dans les forces aériennes, dotées d’avions de l’époque soviétique, les appareils les plus récents datent de 1984.
Depuis l’entrée de l’EI à Syrte, la plupart de ses 80.000 habitants ont fui. Les quartiers du centre sont désormais un champ de bataille, ou des panneaux indiquent la présence de tireurs embusqués aux carrefours.
Dans les bâtiments abandonnés par l’EI, des membres des milices disent découvrir des pièges, des explosifs cachés dans de la nourriture ou dans des meubles.
Ahmed Grayma, le commandant d’une brigade positionnée près du port de Syrte, dit manquer de véhicules blindés, de gilets pare-balles et de détecteurs de mines.
« Nous nous sentons trompés car il (le gouvernement) disait que la communauté internationale était derrière nous mais nos combattants meurent et nous ne savons pas quand cela finira », confiait-il dimanche, à la veille des frappes américaines.