L’Entretien de Radio M a reçu ce lundi, Belaid Abane, professeur de Médecine, politologue et écrivain spécialiste du mouvement nationaliste algérien pour la sortie de son troisième livre : « nuages sur la révolution : Abane au cœur de la tempête » aux éditions Koukou.
C’est en fin d’émission que Belaid Abane confesse une faiblesse de son oncle. Abane Ramdane n’était pas rusé. Il n’a pas su évaluer les rapports de forces lors du déplacement de la direction intérieure du FLN à l’extérieur après la Bataille d’Alger au printemps 1957. Les conflits jusque-là ensevelis entre lui et Krim Belkacem ont refait surface. Son rival s’est allié avec Lakhdar Bentobal et Abdelhafid Boussouf, en minorisant Abane Ramdane dans la réunion du CNRA du Caire d’août 1957. « Si la ruse est une qualité, je peux dire que Abane ne l’avait pas. Il n’avait même pas du Machiavel », confesse-il. Mais la déclaration la plus remarquable de l’auteur de ce livre passionnant vient lorsqu’ il affirme sa distanciation vis-à-vis des faits et des acteurs, quand bien même il est un parent proche de ce dirigeant majeur de la Révolution algérienne. « L’historiographie de la révolution s’est toujours faite de manière consensuelle, or ce livre relate tous les problèmes qui ont existés au sein du FLN, les nuages qui vont s’amonceler dans le ciel de la révolution et l’obscurcir et qui vont se déchainer en tempête. Abane Ramdane n’était pas victime de cette tempête qui finit par l’emporter, mais il en est bien partie prenante, par les initiatives et les propositions qu’il a prises », précise l’orateur.
Pourquoi Abane a été un fédérateur
« C’est l’éloignement – pour cause de détention entre 1950 et 1955- de Abane Ramdane de tous les grenouillages qui se déroulaient au sein du mouvement national qui le qualifiait pour devenir le fédérateur des forces nationalistes. » L’explication est séduisante. Un peu à l’image du récit que décline Belaid Abane dans cet entretien, un survol de quelques temps forts de la vie de son oncle Ramdane. Cet éloignement a eu aussi son travers : « C’est sa sous- estimation des hostilités entre les fractions de sa famille politique exacerbées durant cette période d’avant le 1er novembre 54 ». Il estime aussi que l’autre facteur qui a permis à Abane Ramdane d’habiter le rôle de fédérateur du mouvement révolutionnaire était le vide politique total qui régnait à la tête de la révolution après le départ de Boudiaf au Caire et les arrestations de Bitat et de Ben Boulaid. Les lectures de Abane en prison – notamment sur la révolution irlandaise ont forgé sa conviction que le peuple algérien ne se libèrerait que dans l’unité d’action. Dans un tel contexte, il s’est appuyé sur les centralistes – bien formés politiquement – pour encadrer le mouvement. Ce qui a rendu aussi l’affirmation rapide de Abane comme principal dirigeant de la Révolution dès la fin de 1955, c’est également le fait qu’il était «partie prenante dès octobre 54 du projet insurrectionnel. Il faisait partie d’un comité de 12 destinés à prendre en main la révolution algérienne; et quand il s’est retrouvé à Alger au printemps 1955, il n’était pas considéré comme un arrivant. Et l’entourage de Rabah Bitat le savait très bien». Belaid Abane rappelle, à ce sujet, la demande formulée par Larbi Ben M’Hidi de différer la date du déclenchement de la révolution, le temps que Hansen (Pseudonyme de Abane) sorte de prison. Une demande faite à l’occasion de la dernière réunion préparatoire du déclenchement de la révolution en octobre 54, tenue chez Mourad Boukhachoura à Rais Hamidou (Alger). Une proposition réfutée par Mohamed Boudiaf qui estimait que la date du déclenchement de la révolution a été suffisamment différée.
« La question des armes n’était pas tactique »
L’entretien avec Belaid Abane au sujet de son livre Abane Ramdane au cœur de la tempête ne pouvait ne pas évoquer le conflit entre Alger et le Caire, entre l’intérieur et l’extérieur. Les armes manquaient à la Révolution en 1955 et 1956 notamment pour les wilayas de l’intérieur. Est-ce que Abane Ramdane et ses alliés de l’intérieur, congressistes de la Soummam, avaient instrumentalisé le problème de l’armement pour affaiblir Ben Bella soutenu par les égyptiens ? Abane Belaid affirme que « le problème des armes était quelque chose de crucial. Les armes étaient stoppées à la frontière libyenne, puis à la frontière tunisienne après l’indépendance de la Tunisie en 1956. Abane Ramdane n’utilisait pas cette question comme tactique pour amoindrir le rôle des délégués extérieurs ». Il rappelle à cette même occasion que Krim Belkacem et Lakhdar Bentobal étaient sur la même longueur d’ondes et que même le colonel Amirouche a fait son déplacement à Tunis pour régler cette question. Belaid Abane ajoute toutefois qu’il est persuadé qu’Ahmed Ben Bella – alors membre proéminent de la délégation extérieure du FLN établie au Caire – avait fait tout son possible pour régler la question des armes. Un quatrième livre devrait être publié dans environ une année. Il va traiter des derniers mois de la vie de Abane au retour du CCE a Tunis, des péripéties qui vont conduire a son élimination physique à Tétouan au Maroc en décembre 1957 par les hommes de Boussouf, et des conséquences de cet assassinat sur la suite du mouvement révolutionnaire algérien.
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