M. Abdelkrim Harchaoui, qui était hier l’invité de Radio M, a été le ministre des Finances et du Commerce des années 1990, celles des « vaches maigres », du rééchelonnement de la dette extérieure, époque où le pays vivait avec, comme il le rappelle, « avec 8 ou 9 milliards de dollars d’importations ». C’est sans doute la raison pour laquelle il juge sévèrement la fièvre de dépenses, de subventions et d’importations de la décennie écoulée.
Interviewé hier sur les ondes de Radio M., l’ancien ministre des Finances et du Commerce dans les années 1990 et une des voix les plus écoutées du RND, M. Abdelkrim Harchaoui, n’est pas convaincu que la dégringolade en cours des prix pétroliers soit due principalement, comme on l’affirme généralement, à une guerre pour les parts de marché déclenchée par l’Arabie saoudite dans le but d’empêcher la montée en puissance du pétrole de schiste américain. Il croit déceler, au contraire, dans la stratégie actuelle du royaume wahabite des « objectifs implicites relevant de considérations géostratégiques » qui visent à affaiblir en priorité des pays comme « la Russie, le Venezuela et l’Iran ». En tout état de cause, il relève que cette démarche a déjà provoqué la perte de plus de 400 milliards d’euros pour les pays pétroliers. Une manne qui a « principalement bénéficié aux grands pays importateurs de l’Union européenne auxquels elle a permis de préserver une croissance modeste au cours des deux dernières années ».
« 45 milliards de dollars de subventions »
Interrogé sur la politique de subvention dont il est l’un des principaux pourfendeurs, l’ancien ministre est fidèle à lui-même. Il chiffre le coût global des subventions publiques à plus de 45 milliards de dollars et affirme que « sans stabilité financière, il n’y aura aucun développement économique ».
Citant l’exemple des prix subventionnés des carburants, M. Harchaoui affirme qu’ils représentent encore aujourd’hui « entre 10 et 12 % des prix internationaux » ajoutant que « si on continue au rythme de consommation actuel, dans quelques années, les Algériens devront faire un choix clair entre mettre l’essence dans leur voiture ou exporter les excédents pétroliers ». Il relève également dans l’actualité tout récente les « appels au secours répétés de Sonelgaz, dont les tarifs sont gelés depuis 2005 ». Les ajustements de prix et des tarifs sont, pour lui, « incontournables et urgents » et ils devraient prendre, pour les carburants, la forme d’« augmentations échelonnées de l’ordre de 2 à 3 dinars qui pourraient intervenir chaque semestre » voire même « tous les 3 mois ».Ce qui permettrait à la fois de « réaliser des économies pour l’Etat et de réduire la consommation ».
Sur ce chapitre M. Harchaoui regrette qu’il n’y ait pas encore, dans notre pays, assez de campagnes de sensibilisation de l’opinion nationale. « Il n’y a pas assez d’explication, ni de la part du gouvernement ni de la part des députés. Si les parlementaires algériens ne sont pas conscients des enjeux qui va expliquer la situation aux Algériens ? », s’interroge-t-il. Quant à l’opposition, « elle s’exprime sur ces sujets sans faire aucune sorte de propositions ».
« Les mesures d’urgence ne nous dispensent pas d’une stratégie d’ensemble »
Est-ce pour avoir longtemps travaillé sous l’œil vigilant des institutions financières internationales qu’Abdelkrim Harchaoui déplore un manque général de rigueur et de vision dans la conduite des affaires économiques du pays ? On ne peut pas, dit-il, se contenter de « mesures d’urgence » qui, bien qu’elles soient devenues aujourd’hui nécessaires, « ne peuvent pas se substituer à une stratégie d’ensemble ». Le filet social dont on reparle aujourd’hui ? « On avait commencé à le mettre en place dans les années 1990, avec un recensement des ménages les plus modestes réalisé dans les 1.500 communes que compte le pays. » Les privatisations ? On ne peut pas continuer à « financer des entreprises éternellement déficitaires. [Il faut] reprendre le processus de privatisation en établissant un cahier des charges et en assurant un suivi régulier de ces opérations. »
L’ancien ministre du Commerce estime également que la démarche en cours de contingentement des importations fait partie de ces mesures dictées par l’urgence. Il fait remarquer, toutefois : « On ne peut pas se contenter des mesures de contingentement. Tout le monde s’est engouffré dans les importations. N’importe qui peut importer avec un simple registre de commerce. Il faut mettre de l’ordre et fixer de nouveaux paramètres pour le commerce extérieur en privilégiant les importations destinées à l’appareil de production et en sélectionnant les opérateurs de la revente en l’état qui doivent disposer des capacités et du professionnalisme nécessaire. »
« Le train des réformes ne doit pas s’arrêter »
Plus généralement, l’expérience de M. Harchaoui au cours des années 1990 semble avoir renforcé sa conviction de la nécessité de mettre en place, au « plus haut niveau de l’Etat, une autorité chargée de la conduite des réformes économiques ». Elle devra élaborer des programmes sectoriels en associant les meilleures compétences nationales et étrangères, explique-t-il. Il se souvient que les programmes mis en place dans les années 1990 comportaient « des batteries d’actions, des échéances et des suivis réalisés tous les 3 mois ». « Le train des réformes ne doit pas s’arrêter » affirme-t-il. Et de préciser : « Il faut refaire tout ça, sans le FMI. »
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