Les 100 premiers jours de la présidence Tebboune se sont noyés dans le forcing sécuritaire pour stopper le Hirak. Une erreur de cap quasi-fatale.
Les partisans de Abdelmadjid Tebboune, et les agnostiques à son sujet, ont demandé de patienter 100 jours avant de juger de l’action du président intronisé, il y a bientôt 3 mois, à la suite d’une élection largement boycottée par les Algériens.
Deux options s’offraient politiquement à Tebboune pour imprimer un court à sa « présidence » : poursuivre la feuille de route sécuritaire de Ahmed Gaïd Salah pour maintenir le système de pouvoir dominé par l’armée, ou amorcer un virage vers le mouvement populaire pour lancer le chantier d’un changement démocratique des institutions.
A écouter Sofiane Djillali, une des personnalités de l’opposition reçue à El Mouradia, le choix du nouveau président après son investiture était celui de l’ouverture vers le Hirak et son implication dans son projet de « nouvelle république ». Cela passait par des mesures « imminentes » dites d’apaisement et de rétablissement des libertés. Il semble que Abdelmadjid Tebboune se soit finalement rangé à l’autre point de vue, celui sécuritaire, qui pense pouvoir faire rentrer les Algériens chez eux par la force répressive.
Tebboune a-t-il déjà capitulé devant Antar ?
La mise sous mandat de dépôt d’une figure du Hirak, Samir Belarbi ce mardi 10 mars, quelques semaines après sa relaxation après près de 5 mois de détention préventive, a sonné comme un tournant. Il s’agit de la première personnalité politique renvoyée en prison sous l’ère Tebboune. Samir Belarbi est accompagné en détention d’un jeune militant associatif (SOS disparus), Slimane Hamitouche, et tout porte à croire que c’est le sort qui attendait également le journaliste Khaled Drareni, mis sous contrôle judiciaire, s’il n’avait pas bénéficié d’un brutal sursaut de mobilisation de sa corporation amplifiée par une partie du Hirak.
La prolongation à deux reprises de la garde à vue de Khaled Drareni, de Samir Belarbi et de leurs co-interpellés a illustré en condensé la tension conflictuelle au sein des institutions du pouvoir : revenir au recours à la détention pénitentiaire comme avant le 12 décembre ou maintenir l’illusion d’un changement.
La mise sous mandat de dépôt de Samir Belarbi, une figure pacifiste et fédératrice dans le Hirak, achève de démanteler le discours du président et de son entourage sur « la nouvelle république ». Elle vient en point d’orgue à une escalade barbourzarde de plus en plus assumée, ou les actes de violence contre les militants arrêtés se multiplient, les intimidations des magistrats, des journalistes, et des acteurs libres s’accentuent et « l’emprise du sécuritaire sur le judiciaire », comme décrite hier par Me Mustapha Bouchachi, devient insupportable.
Signe additionnel de cette emprise, l’ex-policier Toufik Hassani qui devait recouvrer sa liberté le mardi soir après sa comparution immédiate, a été finalement incarcéré sous le coup d’un mandat d’arrêt surprise provenant le jour même du tribunal de Chlef. Le calendrier des libérations des détenus du Hirak souhaité par Abdelmadjid Tebboune afin de rétablir un climat apaisé avec le mouvement populaire a avorté sous l’interférence de Antar, nom générique désormais donné au bras politique de l’armée, l’ex-DRS.
Les détenus d’opinion reviennent désormais en prison alors que la première vague de l’ère Gaïd Salah n’en a pas fini avec la privation de liberté. Le procès de Abdelwahab Fersaoui, porte-parole du RAJ, n’est toujours pas fixé, et le tribunal de Sidi M’hamed a condamné ce matin Karim Tabbou à une peine qui reporte sa libération au 26 mars courant. Dans un tel contexte, les intentions politiques du président qui voulait « dialoguer » avec le Hirak El Moubarek, au soir de son « élection », paraissent très brouillées au bout de 100 jours d’exercice dans la fonction. Tebboune veut-il encore sortir de la feuille de route sécuritaire qui l’a conduit à la magistrature suprême ou a-t-il déjà capitulé face à ceux qui l’ont amené à El Mouradia ?
Vers un non évènement référendaire
En cédant si vite à la perpétuation du traitement sécuritaire du Hirak, Abdelmadjid Tebboune a bien conscience qu’il finit d’enterrer sa feuille de route institutionnelle. La révision constitutionnelle selon le scénario proposé (initiative présidentielle, commission d’experts, parlement, référendum) était déjà rejetée par le mouvement populaire. Elle avait une petite chance de recruter des partisans en son sein au cas où un rétablissement, ne serait ce que partiel, des libertés publiques était entamé durant les 100 premiers jours du président.
Le processus référendaire de la nouvelle Constitution est bien parti pour rater son objectif, rattraper une partie de l’abyssal déficit de légitimité de Abdelmadjid Tebboune. Mal élu en avril 1999, après le retrait de ses six candidats rivaux, Abdelaziz Bouteflika s’était refait « une santé » politique grâce au référendum de septembre 2000 sur la concorde civile. Ce rendez-vous de rattrapage face à un Hirak qui a montré toute sa détermination à ne rien céder de ses revendications, est politiquement condamné à l’échec par le renoncement de Tebboune devant les sécuritaires.
La feuille de route présidentielle trouvera toujours des relais dans l’ancienne classe politique qui s’est mise en configuration de rentrer dans le jeu institutionnel de l’après 12 décembre et de tourner le dos définitivement au Hirak. Mais ce ralliement sera plus limité que prévu les prochaines semaines s’il se précise que Tebboune est en train de capituler devant la ligne dure des sécuritaires comme réponse aux revendications politiques que les Algériens portent dans la rue depuis 55 semaines.
Le climat politique autour du référendum ne sera pas plus « engageant » que celui autour de la présidentielle. Mouloud Hamrouche avait expliqué à une poignée de ses partisans qui souhaitaient le voir se présenter à la course à la présidentielle de décembre dernier que « président, il ne pourrait rien faire ». Abdelmadjid Tebboune est en train de lui donner raison. Il lui reste à abandonner son discours d’ouverture pour se conformer à la réalité répressive qu’il entretient. Ou a faire au moins comme Abdelaziz Bouteflika qui « s’était rebellé » chez Reuters en décembre 1999 pour se plaindre de ne pas pouvoir exercer ses prérogatives face à l’armée. Dans l’intervalle, Tebboune se rapproche plus de l’Etat Barbouze que de « sa nouvelle république » .