Le « modèle » serait-t-il sur la sellette ? Les succès de l’industrie algérienne du médicament au cours des dernières années en ont fait une activité souvent citée en exemple en matière de politique industrielle .Le patron de L’Unop, qui était cette semaine « l’invité du direct » de Radio M, introduit cependant quelques sérieux bémols.
La filière pharmaceutique a été une des très rares à avoir pu renforcer ses parts de marché estime Abdelouahed Kerrar qui affirme que cette industrie couvre aujourd’hui entre 45 et 50% des besoins nationaux en médicament à « la faveur des dispositions courageuses qu’a prises l’Etat en 2008 en protégeant la production locale ».
La liste des interdits à l’importation concerne aujourd’hui près de 300 produits. Le président de l’Unop se félicite du fait que les « autorités algériennes continuent de résister aux pressions multiples qu’elles subissent dans ce domaine de la part de nos partenaires commerciaux, Etats-Unis en tête ».
Il ne s’agit pas de « protéger éternellement cette industrie en créant des rentes, assure-t-il, mais de lui permettre encore pendant une période de 5 à 10 ans de se renforcer localement et d’inciter les partenaires internationaux à investir en Algérie ».
Déjà un risque de surproduction ?
Les objectifs annoncés par les pouvoirs publics en matière de couverture des besoins nationaux en produits pharmaceutiques par la production nationale sont très ambitieux. Ils prévoient une couverture à hauteur de 70%, » sans fixer de date précise » commente Abdelwahed Kerrar.
L’optimisme du gouvernement dans ce domaine n’est pas complètement partagé par le Président de l’Unop. Il mentionne « un risque de surproduction avec 80 unités de production en activité et 150 agréments provisoires délivrés par l’administration alors que des pays comme le Maroc ou la Tunisie fonctionnent avec 25 à 30 unités et parviennent à couvrir les 2/3 de leurs besoins ».
« Pour certains produits les producteurs existants se marchent déjà sur les pieds tandis que certaines classes thérapeutiques ne sont pas couvertes du tout par la production nationale » indique le représentant des opérateurs du secteur.
Renforcer les moyens du régulateur
Pour le président de l’Unop « le ministère de la Santé devrait orienter les nouveaux producteurs voire confectionner, ainsi que cela se fait dans un pays comme la Russie, des listes de produits pour mieux guider les investisseurs ».
D’une façon plus générale, il relève une « inadéquation entre les responsabilités qui incombent au régulateur et l’indigence des moyens humains et matériels dont il dispose dans un secteur qui est de plus en plus demandeur ».
Il relève notamment dans ce domaine « un système d’information et une maitrise des chiffres très insuffisants qui ne permettent pas actuellement d’orienter de façon efficace les investisseurs ».
Les nombreux blocages bureaucratiques dont souffre un secteur, qui est toujours en attente de la création annoncée d’une « Agence du médicament », sont une autre conséquence du manque de moyens du régulateur.
Parmi ces blocages et ces retards, « l’approbation des programmes annuels d’importation des intrants des producteurs nationaux qui a déjà été retardée jusqu’au mois de mars en 2016 tandis que le programme pour 2017 n’est toujours pas validé à fin décembre ».
Le blocage administratif des prix en question
Le président de l’Unop pointe également sans aucune concession les autres dangers qui menacent la filière à un stade critique de son développement. Le premier concerne l’absence de révision des prix du médicament fabriqués localement qui sont figés administrativement pour une période de cinq années.
« Avec l’inflation qui a touché les coûts salariaux et les coûts des intrants, et avec les retombées négatives des fluctuations du taux de change du dinar, ce gel de nos prix équivaut à une mise à mort programmée de la production nationale » ne craint pas d’affirmer M. Kerrar qui évoque la « production de près d’une centaine de produits fortement déficitaires abandonnée au cours des dernières années ».
La question a été soulevée depuis maintenant « près de 18 mois et les augmentations demandées ne dépassent pas 5 à 10 % du prix des produits concernés » souligne le Président de l’Unop, qui déplore l’absence de réaction des pouvoirs publics et « des cadres de concertation qui existent mais ne sont pas en mesure de prendre des décisions ».
Acheter du temps en développant notre présence à l’international
Un autre défi attend la filière algérienne du médicament selon le Président de l’Unop. « Avec près de 150 usines qui sont actuellement en phase de construction et qui devraient entrer en production au cours des prochaines années, manifestement, le marché national sera trop étroit pour cette offre en devenir, ce qui suppose dès à présent une stratégie nationale concertée en termes d’ouverture de marchés à l’extérieur de nos frontières. En l’absence d’une vision beaucoup plus affûtée du développement à long terme de notre filière, une grande part de ces investissements serait menacée »avertit le Président de l’Unop.
« Nous devons pouvoir renforcer notre présence à l’international » affirme Abdelouahed Kerrar qui cite le cas de la Jordanie « dont près de 90 % de la production est exportée ».
L’Algérie doit produire des champions nationaux dans le domaine du médicament estime le patron de l’Unop qui pointe « une réglementation sur les exportations de capitaux fortement pénalisante qui empêche d’acheter du temps en ne permettant pas à nos producteurs les plus performants d’acquérir des entreprises ou des réseaux de distribution à l’international ».