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Accord avec l’UE : « L’Algérie a beau être le plus grand pays africain, c’est un nain sur le plan commercial »(Alexandre Kateb)

Par Aboubaker Khaled
septembre 4, 2020
Accord avec l’UE : « L’Algérie a beau être le plus grand pays africain, c’est un nain sur le plan commercial »(Alexandre Kateb)

Exclusif. La zone de libre-échange entre l’Algérie et l’Union Européenne est entré en vigueur le 1er septembre 2020 après une série de convulsions. Sujet à de multiples reports, l’accord d’association a été réévalué à plusieurs reprises, à la demande l’Algérie. Décryptage sur les zones d’ombre de ce partenariat avec l’économiste et CEO de Competence- Finance, Alexandre Kateb.

Maghreb Émergent : Comment évaluez-vous les 15 ans de l’accord d’association entre l’Algérie et l’Union Européenne ?

Alexandre Kateb : Evaluer un accord d’association nécessite de faire un travail rigoureux d’analyse en mobilisant un ensemble d’enseignements théoriques et d’outils économétriques et statistiques. Dans ce genre d’exercice, la question fondamentale qu’on doit se poser est celle-ci : que se serait-il passé en l’absence d’un accord ? Autrement dit, il s’agit d’essayer de se placer dans une situation contre-factuelle et d’en déduire l’impact de l’accord. On peut observer que l’Accord a permis à l’Union Européenne de développer significativement ses exportations vers l’Algérie, tout en continuant d’absorber une grande partie de ses exportations d’hydrocarbures.

L’UE reste en effet de très loin le premier partenaire commercial de l’Algérie. Le désarmement tarifaire intervenu dans le prolongement de l’accord a certainement permis à l’UE de conquérir ou de préserver des parts de marché en Algérie par rapport à d’autres concurrents potentiels comme les Etats-Unis ou la Chine, qui s’est néanmoins imposée progressivement comme un rival sérieux de l’UE, ou encore la Turquie et la Russie qui pourraient accroitre leurs parts de marché à l’avenir (sur les produits manufacturés pour la première, sur les importations de céréales pour la seconde).  

Du côté algérien, on ne peut pas vraiment constater une montée en puissance des exportations hors hydrocarbures vers l’UE – c’est le moins qu’on puisse dire – en dépit des facilités douanières importante offertes par cette dernière aux exportateurs algériens dans le cadre de l’Accord d’Association. L’Algérie n’exploite même pas les quotas d’exportation qui lui sont accordés dans le secteur agricole, contrairement à des pays comme le Maroc et la Tunisie ou encore l’Egypte dont les produits ont pu percer sur le marché européen. Si l’on s’en tient aux apparences, le bilan apparaît en effet négatif. Mais est-ce la faute de l’Accord ? Je n’en suis pas persuadé. 

Dans un contexte d’entrée en vigueur de la zone de libre-échange Algérie-Union Européen, les responsables politiques algériens n’ont cessé ces derniers jours de critiquer ses termes.

Il s’agit de critiques récurrentes qui ont surtout pour objectif de faire monter les enchères et de dramatiser les enjeux pour consolider des positions dans le cadre des négociations commerciales. Il n’échappe à personne que les relations UE-Algérie revêtent un caractère éminemment politique, notamment eu égard aux enjeux géostratégiques et sécuritaires que ces relations recouvrent.

C’est pourquoi il est de bonne guerre de critiquer ce type d’accord. Mais existe-il une stratégie alternative? Au-delà de ces rodomontades usuelles, l’Algérie n’a développé aucune stratégie digne de ce nom en matière de politique commerciale. L’Accord d’Association lui-même obéissait largement à des considérations politiques. Il s’agissait à l’époque pour le Président Bouteflika de consolider ses positions sur le plan intérieur en cherchant des alliés à l’extérieur du pays. Y-a-t-il eu une analyse sérieuse des tenants et aboutissants de cet Accord ? Visiblement non.

Quant à l’UE, sa politique commerciale était alors dominée par une approche néolibérale qu’elle conserve encore aujourd’hui en partie. Il n’y avait et il n’y a toujours aucune véritable volonté d’Association au sens entier du terme mais uniquement une volonté d’ouvrir davantage le marché algérien – comme celui des autres pays de la zone Euromed – aux produits européens. Dans un contexte où le prix du pétrole avait flambé, l’Algérie était soudainement devenue un client solvable et d’autant plus lucratif que l’Accord permettait de récupérer de la main droite ce qui était dépensé de la main gauche par les Européens – notamment le trio France, Espagne, Italie –  pour sécuriser les approvisionnements de pétrole et de gaz algérien, afin de réduire le recours au géant gazier russe et de faire face à l’épuisement programmé des gisements de gaz naturel en mer du Nord.

Selon vous, pourquoi l’Algérie hésite-t-elle à se lancer dans un accord de libre-échange avec une UE composée de 27 pays ?

Je comprends les hésitations. Elles sont liées à un constat d’impuissance du côté algérien à infléchir les termes d’un accord qui n’a pas réussi à booster les exportations algériennes hors hydrocarbures, tout en privant l’état de rentrées fiscales et en constituant un défi concurrentiel quasiment impossible à relever pour les entreprises algériennes sur leur propre marché. L’Accord a accéléré le recours aux importations et a sans doute freiné la diversification de l’économie algérienne et sa réindustrialisation. Le secteur public algérien était moribond à la fin des années 1990 et le secteur privé était balbutiant. Le recours aux importations tous azimut a tué dans l’œuf un certain nombre d’industries low-tech très importantes pour la diversification et l’emploi, comme le textile et l’ameublement. Mais il ne faut pas faire de l’Accord le bouc émissaire de tous les problèmes profonds qui ont miné la compétitivité des entreprises algériennes. Si on prend l’exemple de la Turquie, l’économie et l’industrie de ce pays n’ont vraiment décollé que suite à la mise en place d’une Union douanière avec l’Union Européenne en 1997. Les entreprises turques se sont adaptées et ont réussi à se moderniser et à gagner des parts de marchés jusqu’à faire de ce pays émergent une formidable puissance industrielle. Il faut donc porter un jugement circonstancié sur ce type d’Accord et le replacer dans le cadre d’une vision et d’une stratégie globale.

Ce qui n’a jamais été fait dans le cas algérien en raison de différents blocages dont le plus important à mon sens est l’incapacité des décideurs politiques à comprendre le fonctionnement d’une économie de marché et les mutations profondes survenues dans l’économie mondiale au cours des trente à quarante dernières années. À mon sens, le tournant « néo-boumédienien » de 1992-1993 au moment du bref retour de Belaïd Abdesselam aux manettes du pays – avec tout le respect que j’ai pour cette figure historique récemment décédée – a été une erreur fatale. Le libéralisme des années 2000 a également été un libéralisme en trompe l’œil, qui a consisté à distribuer des rentes de situation au lieu d’encourager l’essor d’une véritable industrie privée et de lui donner les coudées franches en instaurant la liberté de circulation du capital. 

Selon le premier ministre, Abdelaziz Djerad, les termes de l’accord, tels que conçu en 2005, ont porté « préjudice » à l’économie Algérienne. Serait-il plus judicieux pour l’Algérie de demander un prolongement de la période de transition, comme cela a été fait en 2017 ?

Le fait de demander un prolongement ne réglerait en rien la question. Encore une fois, c’est une manière de prendre le problème par le petit bout de la lorgnette sans véritable « Plan B » ou vision stratégique. Il faut sortir du discours performatif fondé sur des slogans et des coups de menton au profit d’une attitude pragmatique doublée d’une vision stratégique. Nous ne sommes plus à l’époque du « coup de l’éventail ». Comme l’avaient bien compris l’ancien Premier Ministre singapourien Lee Kwan Yu ou encore l’ancien Premier Ministre malaisien Mohamad Mahatir, les nations qui progressent dans ce monde sont celles qui travaillent d’arrache-pied et qui élaborent des stratégies pour gravir un à un les échelons dans la compétition mondiale, en faisant preuve d’une grande humilité.   

Que doit faire l’Algérie, selon vous, sachant que le rapport de réévaluation que le ministre du commerce doit soumettre au président de la république n’est pas encore disponible ?

Je crois que les décideurs algériens actuels et futurs devront faire leur mue culturelle pour comprendre davantage les enjeux de la mondialisation et les conséquences à court, moyen et long terme des différents choix qu’ils prennent en matière économique. Il faut plus d’audace à mon sens et cela consiste à faire confiance aux acteurs économiques et à leur donner toutes les armes pour remporter des batailles décisives sur le plan mondial, en mettant à niveau des régulations aujourd’hui obsolètes et contre-productives comme celles sur le contrôle des changes. Peut-être que ce nouveau « mindset » émergera au sein des nouvelles générations de politiques et de managers publics. Pour en revenir au sujet évoqué, l’Algérie doit se doter d’une stratégie globale avec deux piliers: un pilier fondé sur le renforcement de la productivité des entreprises nationales, un deuxième pilier visant à accélérer l’insertion de l’économie algérienne à l’économie mondiale pour multiplier les opportunités de partenariat et pour éviter des « face à face » asymétriques avec des grandes puissances commerciales comme l’UE. Je pense notamment à l’adhésion à l’OMC qui doit être finalisée pour ouvrir de nouveaux espaces aux exportateurs. L’Algérie a beau être le plus grand pays d’Afrique, elle reste un nain sur le plan commercial face à un bloc de 27 pays qui constituent la première puissance économique et commerciale mondiale. Il ne faut pas l’oublier. 

Les pays du Maghreb contestent beaucoup leurs accords avec l’Europe, est-ce que c’est justifié selon vous ?

Il faut examiner la situation au cas par cas. Les griefs sont justifiés en partie si on considère la désindustrialisation relative du Maghreb au cours des vingt dernières années – y compris pour un pays comme la Tunisie qui faisait figure dans les années 1990 de dragon méditerranéen – mais les accords commerciaux se superposent à d’autres problèmes et d’autres choix économiques et politiques, il faut donc considérer cela comme un tout.

Le Maghreb est en lui-même une région très peu intégrée commercialement parlant. En ce sens, l’UE ne fait qu’exploiter cette fragmentation en fonction de ses propres intérêts stratégiques. Peut-on lui en vouloir ? Rappelez-vous cette formule de Charles de Gaulle : « Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. » 

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