Le président du Tribunal Criminel près de la Cour de Blida a auditionné ce matin Ali Touati vice gouverneur de la Banque d’Algérie dans le cadre du procès Khalifa Bank. Nommé en juin 2001, Ali Touati est revenu sur la signature de la décision du retrait d’agrément pour Khalifa Bank en février 2003.
Insistant sur l’inexistence d’une quelconque discrimination contre les banques privées par rapport aux banques publique, cet ex Directeur Général de la Direction des Changes affirme que le retrait de l’agrément à cette première banque privée algérienne faisait suite au constat de manquements graves aux règles prudentielles relevant du droit administratif tels que la non transmission des situations financières et des budgets de la banque à temps, les transferts interbancaires sans traçabilité, le classement des dépôts publics dans le rang des comptes privés, et surtout les dépassements des règles financières et banques relevant du pénal. « Nous étions émus de découvrir en 2001, les dépenses ostentatoires émises par Al Khalifa Bank notamment vers l’étranger sans autorisation de la Banque d’Algérie : des sorties d’argents destinées au sponsoring du club de football de l’Olympique de Marseille, achat de biens immobiliers à l’étranger, des installations de dessalement d’eaux de mer qui s’avèrent être une quincaillerie payée à des dizaine de millions de dollars, pour ne citer que ceux-là. Nous apprenions nous, autorité monétaire, la réalisation de ces opérations commerciales vers l’étranger par les journaux », dit-il au juge Antar Menouar. « Je n’ai jamais fait confiance à la Banque Al Khalifa même avant d’avoir les preuves matérielles des dépassements de cette banque, mais j’avais le sentiment que quelque chose d’anormal se passait », raconte-t-il en poursuivant que le niveau des transferts des fonds vers l’étranger, à travers notamment, des opérations de commerce extérieure réalisées par Al Khalifa Bank, était insignifiant et compatibles aux autres agrégats des banques algériennes. « Avant 2001, les inspections opérées sur Al Khalifa Bank étaient des opérations classiques et M. Keramane ( ex gouverneur de la Banque d’Algérie), avait demandé la réalisation d’un rapport exhaustif sur la structure et la situation de la banque, et là, on a découvert que les données émises préalablement par le biais des inspecteurs étaient faux, l’évasion des capitaux relevant du pénal produisait un gouffre au niveau des caisses, aggravée par des comptes d’ordres dont le taux avoisinaient les 90% au lieu des 12% arrêtés par la loi, l’utilisation des numéros d’immatriculation d’autres agences bancaires pour procéder aux transferts des fonds vers l’étranger, etc. ».
Ali Touati dit avoir refusé de recevoir Abdelmoumène Khalifa pour sa demande d’agrément pour l’ouverture d’une agence à Paris et le rachat d’une banque en Allemagne. « Les représentations d’Al Khalifa Bank à l’étranger n’étaient pas légales », déclare-il en soulignant que la Al Khalifa Bank n’a pas fait cas des mises en garde de la Banque d’Algérie, ce qui lui a valu le gel du commerce extérieur (décision prise en novembre 2002, par la direction des changes en vertu de l’article 99-07 du code de la monnaie et du crédit), validée par la Banque d’Algérie pour la consolider), du retrait de l’agrément à cette banque en février 2003 , puis sa liquidation en mai 2003.
« La liquidation de la banque Al Khalifa était un devoir »
La banque Al Khalifa était arrivée à un état d’insolvabilité permanent et non temporaire, dû à l’incapacité de ses actifs à couvrir le minimum de fonctionnement de cette banque, de répondre aux sollicitations des épargnants et aussi, au refus des actionnaires de la recapitaliser, affirme Ali Touati. Pour lui, la liquidation de cette banque était plus qu’une nécessité. « C’était un devoir national », et le refinancement de cette banqueroute frauduleuse par la banque d’Algérie allait être une honte que ne pardonnerait pas le monde ni les générations futurs à la Banque d’Algérie », martèle-t-il. M. Touati dit ne pas se souvenir d’une demande formulée par le Banque d’Algérie à l’époque pour le sauvetage d’Al Khalifa Bank, et le Fond de garantie n’a été ouvert qu’en 2003, après la suspension des activités de la banque Al Khalifa. Cet « assainissement du secteur bancaire » , comme l’appelle Ali Touati, a valu à la BA des félicitations de la part du FMI et le Bureau des Règlements Internationaux (BRI) dont l’Algérie est devenue membre du bureau de ce dernier organisme qui ne se compose d’une cinquantaine de pays seulement .
« Khalifa Airways n’a pas rapatrié toutes ses devises en Algérie »
En commentant la proposition d’Abelmoumène Khalifa de recapitaliser la Banque Al Khalifa par la vente des avions d’Al Khalifa Airways en 2003, M Touati dit que la proposition n’est pas sérieuse : « Comment voulait-il refinancer la banque par des avions d’Al Khalifa Airways, qui n’étaient même pas payés ? C’aurait été l’escroquerie du siècle », répond-il indigné aux avocats de la défense. « Nous sommes convaincus que la grande partie des devises drainées par le trafic d’Al Khalifa Airways ne rentrait pas en Algérie », révèle-t-il.
Sur la question des commissaires aux comptes non assermentés qui ont réalisé des inspections sur l’état financier de la banque Al Khalifa, Ali Touati, dit que c’est une question qui leur a échappé, vu le contexte qui exigeait d’autres défis bien plus importants : « On venait de sortir du terrorisme, on vivait l’enfer, et il fallait sortir de la crise financière et monétaire. Nous étions en situation de cessation de paiement et il fallait moderniser le système bancaire. J’ai piloté 17 accords de rééchelonnement de la banque d’Algérie. Nos préoccupations étaient ailleurs. Mais quelques soient les circonstances, nous étions convaincus qu’on était en train de saigner l’Algérie, et nous ne pouvions pas assister à cette faillite financière qui aurait pu entrainer la faillite des autres banques de l’Algérie sans réagir. Devant une telle situation, ce ne sont pas des experts non assermentés qui vont bloquer le déclenchement d’une poursuite judicaire », dit-il en mettant en relief le fait que l’IGF (Inspection générale des Finances, Ndlr), la Banque d’Algérie et le Ministère des finances, ont des experts assermentés qui ont aussi validé les rapports.