Au dernier jour des plaidoiries de la défense devant le tribunal criminel près la cour de Blida, l’avocat du principal accusé Abdelmoumene Khalifa a rappelé qu’aucun membre de la commission bancaire n’a évoqué dans son témoignage devant le tribunal un cas de cessation de paiement même s’ils ont parlé d’une « indisponibilité des fonds ».
Au dernier jour des plaidoiries, Me Nassredine Lezzar, a tenté de démontrer que les accusations de vol, d’escroquerie et d’abus de confiance ne peuvent se réunir dans un même chef d’inculpation. Le vol qualifié de l’argent public ou privé, a-t-il estimé, a été rajouté aux accusations d’escroquerie et d’abus de confiance pour élever les peines à la perpétuité, et ce, bien que dans le dossier d’inculpation, il n’existe aucun fait qui puisse être qualifié de vol : « Si vol il y a eu, a-t-il été commis par la Banque Al Khalifa sur ses déposants, ses créanciers, ses actionnaires ? C’est Abdelmoumene Khalifa qui a volé l’argent de sa banque ou les deux ensemble ? »
Le ministère public a évoqué l’article 382 bis, comportant des situations aggravantes liées au vol qualifié (organisé par deux personnes au minimum, par locomotion, perpétré de nuit, ou en escaladant un immeuble), mais, dans le cas actuel, « a-t-il pris de l’argent à l’insu des dépositaires ? », s’est interrogé l’avocat. Et de poursuivre : « L’accusation de l’instruction première n’était pas à charge et à décharge, mais juste contre Abdelmoumene Khalifa. »
A part M. Akli Youssef, ancien directeur de la caisse principale de la banque Al Khalifa de Chéraga, (condamné à 3 ans de prison en 2007, et auditionné après en qualité de témoin), personne n’a parlé de vol, a assuré Me Lezzar : « Il n’y a que les accusés pour vol qualifié qui ont jeté la responsabilité sur Abdelmoumene Khalifa et non pas les témoins et les simples collaborateurs. L’éthique voudrait qu’on n’écoute pas le témoignage d’un accusé contre un autre accusé. » Et de rappeler que les trous de caisse, évalués à 55 milliards de dinars, ont été enregistrés au moment où son mandant se trouvait en Angleterre.
A propos des retraits de sommes d’argents par coupons de papiers portant ou non la signature de Abdelmoumene Khalifa, Me Lezzar s’est demandé s’il était concevable qu’il ouvre la voie à des retraits aléatoires et non certifiés dans une banque dont il est le patron, affirmant que son mandant a été victime d’opérations non réglementaires à l’intérieur de la banque même.
Me Lezzar : « Le ministère public voit la corruption partout »
Pour ce qui est des chefs d’inculpation de corruption et d’abus de confiance dont l’objectif est s’accaparer des biens des tiers par des manœuvres sournoises (article 376 du code pénale), l’avocat a déclaré : « La corruption et l’abus d’influence ne peuvent se rencontrer. Les cadeaux sont une chose qui existe dans tous les pays et toutes les cultures, mais le ministère public voit la corruption partout : dans les rabais dans les cartes bancaires, les cartes de thalassothérapie, les commissions de 1% pour toute personne déposant ses fonds à Al Khalifa Bank, les cartes de voyages en rabais et les cartes de fidélité ou gratuites. Les 1% de commission sur chaque dépôt de fonds n’étaient utilisés que dans l’agence d’Oran, dirigée par Korse Hakim et n’existaient par ailleurs. » Pour lui, il y avait une concurrence loyale entre les agences, et il arrivait qu’un directeur d’agence utilise des moyens non conventionnels pour augmenter le chiffre d’affaires de son agence mais son mandant n’était pas au courant de cette pratique et « n’est pas responsable des dépassements de ses directeurs d’agence ».
Concernant les autres formes de « corruption ». Me Lezzar a dit que les cartes de thalassothérapie étaient octroyées par le centre de Sidi Fredj aux directeurs des établissements publics comme la CNAS, car il faisait aussi partie du Conseil d’administration de ce centre : « Les autres ont rappelé devant vous qu’ils n’ont jamais vu ni bénéficié de cette carte. C’est juste le ministère public qui a conclu au lien entre les déposants et les cartes de thalassothérapie », a-t-il relevé. Et d’ajouter : « Abdelmoumene Khalifa a bénéficié lui-même de ces cartes de gratuité. Ce sont des pratiques ne relevant pas du pénale car elles s’appliquent dans le monde entier. »
« Une mise en faillite par des agents étrangers à la banque »
Me Lezzar s’est également étalé sur la « banqueroute frauduleuse » de Khalifa Bank qu’il a qualifiée de « mise en faillite » par des « agent étrangers » à la banque. Pour lui, « cette affaire relavant du criminel pour des raisons politiques aurait pu être traitée comme une simple affaire bancaire, et tout aurait pu être arrêté à sa liquidation ». Pour récuser l’argument de la cessation de paiement avancée par le ministère public, il a rappelé le témoignage de M. Mohamed Djellab-administrateur de la banque, qui a affirmé, lors de son audition, qu’Al Khalifa Bank n’avait connu aucun incident de paiement durant toute son activité. « La cessation de paiement était donc une hypothèse, et même s’il elle était vraie, on aurait pu trouver d’autres solutions que celle de la liquidation », a-t-il estimé soulignant qu’aucune déclaration à ce sujet n’a été observée en provenance des débiteurs, créanciers, actionnaires ou l’autorité bancaire. Il a rappelé également les témoignages des 5 membres de la commission bancaire : « Aucun n’a évoqué devant vous le cas de cessation de paiement. Ils ont parlé d’une indisponibilité des fonds, et ont supposé l’arrivée imminente d’une cessation de paiement. ».
Selon Me Lezzar, le retrait de l’agrément qui a précédé sa liquidation est une décision disciplinaire et non pas un acte procédurale obligatoire suite à la cessation de paiement. Il a aussi abordé la question du non-respect du ratio de solvabilité (8% du capital de la banque), sur laquelle s’est appuyé le liquidateur : « La solvabilité d’une banque est une question relative, selon les déclarations de la commission bancaire. Ce sont les crédits bancaires qui ont augmenté les ratios de solvabilité, et M. Khalifa avait proposé la vente des avions de Khalifa Airways pour rééquilibrer les ratios de solvabilité, mais il a essuyé un refus. ».
Rappelant les déclarations de M. Djellab, Me Lezzar a évoqué des cas de retraits massifs des fonds des déposants d’Al Khalifa Bank enregistrés accompagnés par un arrêt de dépôts durant les cinq mois qui ont précédés sa liquidation mais, en dépit de cela, a-t-il dit, « la banque n’a pas faillite et cela est la preuve de (sa) bonne santé avant mars 2003 ».