Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a annulé une ordonnance de classement du Ministère public de la Confédération (MPC) dans l’affaire concernant l’ancien ministre algérien Khaled Nezzar, soupçonné de crimes de guerre. Dans une décision de cinquante pages appelée à faire date, le TPF reconnaît qu’un conflit armé existait bel et bien en Algérie au début des années 1990 et que le Général Khaled Nezzar était conscient des crimes massifs commis sous ses ordres. L’affaire est renvoyée au MPC qui devra reprendre l’instruction.
Y avait-il un conflit armé en Algérie avant 1994 ? C’est en répondant par la négative que le MPC avait clôt en janvier 2017 une instruction contre le Général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense algérien, soupçonné de crimes de guerre alors qu’il était au pouvoir. Selon le MPC, sans conflit armé, pas de crimes de guerre ; sans crimes de guerre, pas de poursuites.
Le TPF renvoie donc sa copie au MPC. Suite à un raisonnement juridique longuement motivé, le Tribunal conclut en effet que « la condition du conflit armé non international en Algérie entre janvier 1992 et janvier 1994 est réalisée ». Il considère que les crimes commis l’ont bien été dans le cadre de ce conflit, et que l’ancien ministre pourrait donc faire face à des accusations de crimes de guerre, voire même de crimes contre l’humanité.
Pour Bénédict De Moerloose, avocat en charge des enquêtes chez TRIAL International, « cette décision historique oblige maintenant le MPC à se déterminer sur la responsabilité de Khaled Nezzar. D’autant que le TPF a affirmé qu’il ne pouvait ignorer les exactions commises par ses subordonnés ».
En effet, pour le TPF, « il ne fait aucun doute que [Khaled Nezzar] était conscient des actes commis sous ses ordres ». Exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et actes de torture, la liste des exactions est longue. Et la description de certains de ces actes fait froid dans le dos : coups de bâtons, de fils de fer, de ceintures, arrachage des ongles, brûlures de cigarettes…. Selon le TPF, des actes d’une telle ampleur et aussi systématiques peuvent même constituer des crimes contre l’humanité.
« Les arguments du MPC ont été battus en brèche », selon Me Pierre Bayenet, l’un des avocats des parties plaignantes qui a recouru contre la décision de classement. « En cinq ans d’enquête et après avoir entendu des dizaines de témoins sans jamais poser la question du conflit armé, la décision du MPC de classer l’affaire était incompréhensible. »
« C’est un immense soulagement pour les victimes qui voient enfin leurs souffrances reconnues », déclare pour sa part Me Damien Chervaz, l’autre avocat des parties plaignantes. « Le MPC doit maintenant faire face à ses obligations, reprendre immédiatement l’instruction et statuer rapidement sur son renvoi en jugement.»
(Communiqué de Trial International)