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Algérie

Alger découvre l’équation de Jean Tirole qui se résout par la moralité de la gouvernance

Par Yazid Ferhat
juillet 7, 2017
Alger découvre l’équation de Jean Tirole qui se résout par la moralité de la gouvernance

La chronique hebdomadaire d’El Kadi Ihsane débriefe pour vous l’événement académique en économie de premier plan qui a eu lieu à Alger et qui parle aussi aux Algériens à travers un prix Nobel d’économie.

 

C’est sans aucun doute la Banque d’Algérie qui a créé l’événement de la semaine économique en permettant la venue à Alger de la très prestigieuse société d’économétrie pour sa rencontre africaine. Créé en 1933 pour soutenir l’approche quantitative dans l’analyse économique, Econometrics Society (ES) est tout simplement l’une des deux plus grandes sociétés savantes dans le monde de l’économie, avec à ses débuts des noms comme Keynes ou Schumpeter, puis un très grand nombre de prix Nobel de l’économie.

C’est l’ex-gouverneur, Mohamed Laksaci, qui a répondu favorablement à une proposition,  portée par des membres algériens de ES,  de tenir la 3e rencontre africaine de ES en Algérie. Mohamed Loukal, son successeur, a eu la délicatesse de maintenir l’engagement de la Banque d’Algérie pour offrir la logistique à cet événement d’une valeur académique sans précédent dans son domaine en Algérie.

Le secteur privé, avec Cevital, a également apporté son concours pour réunir durant trois journées entières près d’une centaine d’économistes du monde entier, et d’Afrique sur le campus agréable de l’Ecole supérieure de la banque (ESB) à Bouzaréah. Parmi les présents, un prix Nobel, Jean Tirole, premier intervenant de la rencontre, d’éminents professeurs -Philippe Aghion (Harvard, LSE, collègue de France), Drew Fudenberg (MIT)- tout aussi nobélisables, et des sommités de leur domaines –Pierre André Chiappori (Columbia). La Banque d’Algérie a d’autant réussi son coup qu’elle a opté pour la sobriété. Pas d’intrusion des officiels et des politiques dans cet aréopage phosphorescent. Seul le gouverneur Mohamed Loukal a prononcé un mot de bienvenue dans lequel il a rappelé aux présents la trajectoire de l’économie algérienne d’un contre-choc pétrolier (1986) à l’autre (2014). La pétillante keynote du professeur Raouf Boucekkine (Aix-Marseille Schools of economics) a peut être suscité quelques grincements au premier rang, la matinée inaugurale. Elle a rendu au final la rencontre dédiée à l’Afrique que plus authentique avec une audacieuse modélisation des facteurs de maintien des régimes autocratiques intégrant notamment ressources naturelles, niveau d’éducation, politique de redistribution et de répression. Il en ressort qu’avant même le niveau des inégalités, c’est le  DSC, le direct switiching coast (coût direct du changement) qui décide du choix des populations et des élites d’opter pour le changement politique face aux stratégies de maintien au pouvoir des autocraties.

Les quotas d’importation aux enchères

La visite d’un prix Nobel d’économie à Alger n’étant pas un événement fréquent, lui «arracher» quelques préconisations sur les politiques publiques en situation de choc externe est devenu précieux. RadioM s’en est chargée dans un entretien exclusif. Bien sûr la réserve méthodologique est nécessaire. Eminent développeur de la théorie des jeux qui analyse les interactions entre des «joueurs» sur un marché ou à sa périphérie (souvent pour éclairer l’Etat régulateur), Jean Tirole, président de Toulouse Schools of Economics, parle à partir d’un lieu précis. Il défend «l’économie du bien commun» (titre de son dernier livre) du point de vue de l’intérêt général, mais avec un postulat d’école : le marché assure toujours la meilleure affectation des ressources dans la durée. Jean Tirole admet que le recours à des barrières protectionnistes puisse se justifier pour une filière industrielle naissante (exemple l’assemblage automobile), mais il prévient, il faut éviter aussi de laisser les lobbies perpétuer ces protections une fois que naît cette nouvelle filière industrielle. Cela deviendrait coûteux à la communauté et sans avenir compétitif.

Dans l’intervalle, il préconise de mettre aux enchères les quotas d’importation afin de soutenir les revenus de l’Etat et d’évincer les «mauvais usages» des importations. Une recommandation qui figurait dans le papier de Nour Meddahi et Raouf Boucekkine de 2015 au sujet de la réponse algérienne au contre-choc pétrolier. Jean Tirole est également main stream, au sujet de la politique de subventions, avec des précautions de méthodes propres aux pensées dialectiques. Il reste que dans les prix énergétiques domestiques, l’ancien président de ES est tranchant. Gaspillage et distorsion de prix mauvaise pour le reste de l’économie. Le revenu universel en Algérie (idée lancée par Nabni) ? «Cela nécessite de remettre à plat tout le système fiscal algérien» pour pouvoir évaluer et comparer. Reste l’essentiel. Ce qui a fait l’objet de l’intervention, un peu stratosphérique pour les non matheux, de Jean Tirole le jeudi matin à l’ESB de Bouzaréah. La modélisation du poids des récits sur la moralité de notre comportement. Trop complexe de refaire ici le chemin de la keynote. Retenir que les récits («narratives» en anglais, langue de travail de ES)  et leurs orientations positives ou négatives, pro-morale ou anti-morale, font varier l’équilibre de l’équation du comportement des gens.

Dans le cas de l’Algérie, la question était inévitable : quel type de récits développer pour inciter les citoyens à être de bons contributeurs fiscaux dans un pays où la fiscalité ordinaire peine tant à décoller ? Jean Tirole, suggère de mettre en lumière le fait qu’il existe de gros contributeurs pour pousser les autres à contribuer aussi. Dans l’Algérie de Chakib Khellil et Abdessalem Bouchouareb ? Il est clair que pour cela fonctionne «il faut que les responsables donnent l’exemple».

Le retour remarquable de Mohamed Laksaci

Le rendez-vous africain de ES à Alger a livré l’occasion de comparer deux discours sur la politique monétaire de la Banque d’Algérie. Celui de Mohamed Loukal, l’actuel et, le lendemain, celui de Mohamed Laksaci, son prédécesseur. Il existe entre les deux une convergence sur la nécessaire politique d’assouplissement monétaire pour «trouver un nouveau chemin de financement» de l’économie, selon la formule délicate de Mohamed Laksaci.

Elle a débuté. Elle devra sans doute s’accélérer les prochains mois, car les diagnostics d’assèchement des liquidités dans le circuit bancaire sont unanimes. Sans doper les tensions inflationnistes ? Difficile. Reste la politique de change. Une formule résume le point de vue de Mohamed Loukal  face au contre-choc persistant, «le taux de change a joué dans une large mesure son rôle d’amortisseur». Il faut bien comprendre entre les lignes que la pause marquée dans la dépréciation du dinar par la Banque d’Algérie depuis une année et l’arrivée de Mohamed Loukal à sa tête pourrait plutôt se poursuivre.

Puisque le rôle d’amortisseur a été joué dans «une large mesure». Ce n’était pas l’avis de Mohamed Laksaci, le lendemain, qui, dans un exposé tout en nuances, préconise de maintenir «la flexibilité du dinar comme instrument de 1er plan» de l’ajustement. Il précise : «Nous sommes dans le contour de stabilisation». Pour les initiés, cela dit bien des choses. La dévaluation du dinar n’a pas fini son rôle dans la stabilisation d’une situation extérieure qui continue de se dégrader.

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