Cette présente analyse est une synthèse de l’ouvrage collectif que j’ai eu l’honneur de diriger paru en 2005 (1) toujours d’une brûlante actualité, que certains experts organiques aux ordres et responsables qui affirmaient tout le contraire, redécouvrent seulement aujourd’hui.
Elle reprend sans aucune modification, l’intégralité d’une communication à l’Ecole nationale d’administration- ENA- parue le 08 octobre 2005, sur la bonne gouvernance et les réformes en Algérie (1). Un développement durable renvoie à d’autres sphères que l’économique car toute analyse déterministe est vouée à l’échec, incapable de rendre compte de la complexité de l’évolution historique de la société algérienne. Le nouveau projet de société économique que j’ai proposé déjà en 1995, puis en 2005, devra s’articuler sur le nouveau rôle de l’Etat dans la conciliation de l’efficacité économique et son devoir d’équité sociale s’est articulé autour de dix (10) axes directeurs.
-Premièrement, la condition fondamentale est la paix sociale qui implique la mise en place d’un minimum de Smig social où les différentes sensibilités puissent dialoguer dans un cadre organisé se fondant sur la tolérance et le droit à la différence. L’objectif assigné est la réalisation d’un contrat social dont j’ai esquissé les contours en 1993 qui ne saurait se limiter à certains segments de la rente (opérateurs- syndicat corporatiste), qui permettra la définition d’objectifs clairs tenant compte des impacts de la mondialisation- rapport social complexe- tant dans le domaine politique- militaire, social, culturel et économique, seule condition de la relance de la machine économique. En d’autres termes, cela implique un dialogue productif permanent, loin de toute action autoritaire et une moralisation profonde de la vie politique, économique et sociale, des discours de vérité, la communication étant fondamentale d’où l’importance des médias.
L’objectif stratégique durant cette période de transition, est de mettre en œuvre une politique s’orientant vers un véritable processus démocratique , se fondant sur une société plurielle plus participative des partis politiques crédibles, permettant la responsabilisation pleine et entière de l’ensemble de la société civile signe évident de la vitalité de toute société, conciliant la modernité et la préservation de notre authenticité, la léthargie, l’activisme et le populisme conduisant au statut quo, étant le signe de l’immobilisme, suicidaire sont intolérables.
-Deuxièmement, il s’agit, loin des discours, avoir une nette volonté politique d’aller vers une économie de marché à finalité sociale, renvoyant à la garantie du droit de propriété, et ce afin de nous adapter aux nouvelles mutations mondiales et ce par un désengagement progressif de l’Etat dans sa fonction de gestion pour devenir le lieu de la régulation économique, et sociale d’ensemble, d’orientation par la conciliation des coûts sociaux et privés, les relations de clientèles devant faire place à des rapports transparents, (le respect du contrat). L’Etat n’oblige pas mais incite, mobilise par l’élaboration d’objectifs, cohérents et concertés pour optimaliser l’efficience globale.
Le nouveau projet de société économique et social devra être marqué par une profonde réorganisation institutionnelle, une réelle décentralisation autour de pôles régionaux et la création de grands Ministères surtout ceux de l’économie et de l’éducation, avec des Secrétaires d’Etat techniques. Ce sera le noyau de la rupture systémique pour l’instauration d’une économie concurrentielle, loin de tout monopole qu’il soit de type public o! u privé. Ce qui impliquera de nouvelles structures, de nouveaux comportements, de nouveaux hommes convaincus par cette nouvelle politique, laissant une pleine autonomie d’action aux walis, aux directeurs généraux d’entreprises publiques responsables du destin de leur organisation.
-Troisièmement, D’où l’importance d’une planification stratégique, relevant de la sécurité nationale, donc d’une régulation stricte de l’Etat pour éviter des transferts de rente au profit d’une minorité rentière. Sous réserve d’une visions stratégique, sinon cela n’aurait aucun sens, une nouvelle organisation institutionnelle s‘impose. D’où mes quatre propositions : première proposition, la pétrochimie devrait relever non pas du Ministère de l’industrie, étant la vocation de Sonatrach qui dispose de compétences. La deuxième proposition, concernant les énergies renouvelables dont la filière doit relever de la stratégie du Ministère de l’Energie.
La troisième proposition, est de regrouper le commerce ave celui des finances où nous assistons souvent à des discours contradictoires entre ces deux départements. La quatrième proposition, est de dynamiser le conseil économique et social(CNES) , en léthargie depuis des années et donc la composante n’a pas été renouvelée depuis plus de 25 ans, certains, représentant, paradoxalement depuis leurs élections en 1995, aujourd’hui le secteur public, alors qu’ils travaillent au niveau du secteur privé depuis plus de 10 ans :. Or, le CNES doit être un lieu de dialogue entre toutes les composantes représentatives de la société de 2018 et non celle de 1995, ou avec les tensions actuelles, il aurait pu servir d’amortisseur et corriger pour les hautes autorités du pays dont la présidence, en tant que « Conseil indépendant du gouvernement », comme le stipule la nouvelle constitution, certaines incohérences de la politique socio-économique.
-Quatrièmement, la nouvelle politique économique devra s’inscrire, comme je l’ai démontré dans plusieurs contributions internationales , dans le cadre de l’espace Europe Maghreb et plus globalement de l’espace économique Méditerranée/ Afrique impliquant une coordination des politiques économiques basée sur l’encouragement de l’investissement direct, du partenariat(encore qu’il faille préciser cette notion vague) et de la libération de toute les énergies créatrices dans le cadre des investissements basés sur les avantages comparatifs tenant compte des mutations accélérées de l’économie mondiale à, travers la stratégie tripolaire des grands espaces mondiaux : Alena-Apec-Europe. La nouvelle politique économique doit être donc caractérisée par l’adaptation à l’universalisation de l’économie de marché, tenant compte des spécificités sociales, où la dominance est le consommateur et l’arbitre, les marchés financiers. Le véritable nationalisme se mesurera par la capacité des Algériens d’améliorer leur niveau de vie grâce à leur contribution à la valeur ajoutée locale et mondiale.
-Cinquièmement, stabiliser le cadre macro- économique et financier, ayant une influence sur les segments à promouvoir devant entrer dans le cadre des nouvelles mutations technologiques mondiales, et le cadre macro-social, pour atténuer le processus inflationniste en réduisant le déficit budgétaire et le ratio de la dette publique brute par une nouvelle politique des subventions qui doivent être ciblées. Ceux sont les conditions d’une reprise de la croissance, tout entrepreneur devant avoir une visibilité dans le temps. Dans ce cadre, il s ‘agira d’éviter les politiques industrielles globales, dépassées et d’imaginer une nouvelle politique non de l’industrie globale ,mais de l’entreprise non calquée sur les anciennes organisations hiérarchiques bureaucratiques mais sur la souplesse des organisations basées sur la décentralisation des décisions économiques, la gestion prévisionnelle des compétences, le travail en groupes tenant compte des nouvelles technologies.
-Sixièmement, , sur le plan sectoriel, fortement dépendante du cours du pétrole, l’Algérie dont le quota OPEP est de 1,2 millions de barils jour auquel il faut soustraire les 50.000 barils de réduction doit être attentive au cours du gaz(2,73 le MBTU le 09/03/2018 en forte baisse) qui représente plus de 33% des recettes de Sonatrach et dont les contrats à moyen et long terme dans leur majorité expirent entre 2018/2019 , avoir une véritable politique industrielle hors hydrocarbures ( couts/qualité selon les normes internationales) dont le segment important de la politique énergétique dont le renouveau du mangement stratégique de Sonatrach , reposant un Mix énergétique et sur un nouveau modèle de consommation énergique pont la problématique des subventions généralisées source d’inefficacité et d’injustice sociale, tenant compte des nouvelles mutations mondiales, dont les énergies renouvelables, afin d’éviter à terme l’épuisement de ses réserves de change et d’aller droit au FMI horizon 2020 (1).Le cours du Brent a été coté le 09 mars 2018 vers 12h à 64,17 dollars le Brent et à 60, 58 dollars le Wit, avec un cours dollar/euro de 1,2299. Pour l’Algérie le cours officiel euro- dollar pour la même date est coté 114,0830 et par rapport à l’euro 140,2310 avec sur le marché parallèle 210 dinars un euro, anticipant l’émission, monétaire d’environ 19 milliards de dollars pour 2018, par la planche à billets
-Septièmement, une nouvelle politique de l’emploi renvoyant à une nouvelle politique de formation adaptée aux nouvelles technologies et des salaires, ne créant pas d’emplois par des discours ou des actes administratifs, étant l’œuvre d’entreprises supposant la levée des contraintes d’environnement dont la responsabilité est celle de l’Etat. Cette nouvelle politique doit être caractérisée non pas par des distributions de revenus sans contreparties productives mais devant accroître la flexibilité du marché du travail par une formation permanente. Cela doit toucher également l’administration et les services collectifs. Il y a lieu d’éviter les classifications dépassées emplois productifs, non productifs, et de définir une nouvelle nomenclature qui s’adapte à l’éclosion des producteurs de symboles au niveau de l’économie mondiale. Il s’agira de muter progressivement les services collectifs, qui deviennent de plus en plus créateur de valeur ajoutée (éducation, santé, télécommunication, transport, infrastructure) en introduisant les paramètres marchands pour tester de leur efficacité, tout en encourageant la mixité pour améliorer les prestations fournies aux consommateurs. C’est la caractéristique des économies en cette ère du XXIe siècle.
-Huitièmement, coordonnée avec les précédentes, soutenir le développement par une administration centrale et locale rénovée, (e-administration) par leur informatisation travaillent en réseaux, supposant une stratégie et des institutions collant aux réalités locales et mondiales, améliorer le fonctionnement des marchés et des initiatives par une politique incitative d’encadrement macro-économique et macro-social favorisant les espaces de libertés, sociaux, politiques et économiques passant par une nouvelle régulation du fonctionnement des marchés et des initiatives rentrant dans le cadre du nouvel espace Monde. La réforme du système financier dont les banques, la dynamisation de la bourse des valeurs, évitant ce paradoxe d’une bourse étatique qui n’existe nulle part de par le monde) et la dé-bureaucratisation de la douane, fiscalité sont le cœur des réformes. Il s’agira parallèlement de dynamiser d’une manière cohérente et selon la plus totale transparence pour susciter l ‘adhésion, les ouvertures de capital et la privatisation, un Ministère ne pouvant être juge et partie afin d’éviter les délits d’initiés. L’objectif est d’éviter les actions sectorielles désordonnées en privilégiant la concertation sociale.
-Neuvièmement, réduire les inégalités sociales, justice sociale ne signifiant pas égalitarisme, vision populiste suicidaire, source de démotivation. Cela implique la mise en place d’une nouvelle politique de la sécurité sociale si l’on veut éviter l’implosion, en cas de chute brutale des recettes des hydrocarbures, des actuelles caisses de retraite, ce qui demande de l’imagination avec la baisse de salarisation et des baisses de cotisations. Les recettes exceptionnelles des hydrocarbures ces dernières années devraient aider à cette phase d’ajustement structurel. Il s’agit de combiner la méthode de l’indexation et la méthode d’incitation parallèlement à l’incitation par capitalisation en intégrant la sphère informelle, produit de la bureaucratie et du trop d’ Etat, par des mesures socio-économiques loin de toute action coercitive. Facteur stratégique d’équité sociale, revoir le système fiscal par la combinaison de l’équité verticale (augmenter le taux d’imposition en fonction de l’accroissement du revenu) et l’équité horizontale (impôt égal revenu égal) mais en n’oubliant jamais que l’impôt peut tuer l’impôt.
– Dixièmement, , l’ensemble des actions proposées doivent reposer l’Etat de Droit, sur la bonne gouvernance, la concertation sociale le facteur culturel tenant compte du poids de l’histoire ancestrale de l’ Algérie , souvent oublié par les économistes étant déterminant pour le développement, multidimensionnel, devant concilier la modernité et notre authenticité, dont le pilier devra reposer sur une nouvelle gestion des ressources humaines, une Nation sans son élite étant comme un corps sans âme. Pour environ 10000 médecins en France leur formation a couté à l’Etat algérien plus de 10 milliards de dollars et si l’on inclut les autres formations de 1970/2017 on peut multiplier ce montant par dix. Il s’agira donc d’éviter l’exode des cerveaux véritable hémorragie, l’élite étant le pivot de tout processus de développement.
En conclusion, l’Algérie doit méditer attentivement tant l’expérience de l’économie de guerre des années 1991/1992 qui a conduit le pays droit au FMI, une vision autoritaire sans strictement monétaire, limiter les sorties de devises et se renfermer sur soi, sans programme réaliste de relance que l’expérience populiste vénézuélienne la plus grande réserve de pétrole dans le monde en semi faillite,( financement par la planche à billets avec un taux d’inflation approchant les 800/900%) en réorientant en urgence sa politique économique.
Les fondateurs du communisme, la Russie et la Chine ont fait font mu positivement, une économie de marché maitrisée. Le nouveau projet de société économique et social impliquera au final une nouvelle gouvernance fondée sur le dialogue permanent, de nouvelles intermédiations sociales et politiques favorisant le dialogue productif, afin d‘éviter qu’en cas de malaise social les services de sécurité se trouvent confrontés directement à la population.
Ce nouveau projet de société ou le Politique, l’Economique, le Culturel et le Social sont inextricablement liés, devant éviter tout vision linéaire, devra être caractérisé par l’action de l’État à travers son devoir à la fois d’efficacité économique et d’équité sociale. La philosophie de base qui devra soutenir ce projet est cette devise: ni dirigisme, ni libéralisme absolu. Les propos que l’on a attribués récemment au premier ministre et largement reproduits par la presse nationale et internationale de « faillite de l’Algérie » a rendu pessimiste les investisseurs tant nationaux qu’étrangers vis-à-vis de l’avenir du pays.
Cette déclaration d’une extrême gravité a porté un large préjudice au pays tant au niveau international que national avec le risque de créer un important malaise social et donc de favoriser le blocage des réformes alors que le pays a besoin de paix et de sérénité. Il y a lieu d’éviter de verser gratuitement dans la sinistrose, mais également dans l’autosatisfaction. Je suis confiant en les potentialités de l’Algérie pour relever les défis du nouvel millénaire. L’insertion harmonieuse de notre pays dans le concert des Nations avec la nécessaire ouverture maitrisée et non anarchique, dynamisera l’investissement utile à moyen et long terme et donc permettra de créer des dizaines de milliers d’emplois loin des aléas des intérêts de la rente. Le désengagement de l’Etat de la sphère économique et de certains segments des services collectifs ne saurait signifier la fin du rôle de l’Etat.
Mais c’est la garantie de la démocratie économique, sociale et politique solidaires, donc de sa moralité et de l’Etat de droit. C’est le fondement pour asseoir progressivement l’efficacité, l’équité en un mot l’économie de marché concurrentielle à finalité sociale et la démocratie. Un minimum de consensus économique et social qui ne saurait signifier unanimisme signe de décadence de toute société s’impose afin de faire face aux tensions géostratégiques et budgétaires, pour stabiliser le corps social entre 2018/2020. C’est l’unique voie que doivent emprunter les Algériens pour arriver à transcender leurs différends si l’on veut éviter la déstabilisation, ce qu’aucun patriote ne souhaite.
(1)-Abderrahmane Mebtoul : interviews dans différents chaînes de Radio, à la chaîne de télévison française Paris France Africa – contribution Mena/Forum diffusion internationale Amérique-Europe-Asie-Afrique Moyen Orient- –Londres/Bruxelles –