Les manifestants étaient encore plus nombreux, aujourd’hui, à battre le pavé dans les rues étroites de Béjaïa. Le boulevard de la Liberté était noir de monde. Alors que le premier carré a atteint l’ancien marché de Lakhmis, les derniers manifestants étaient encore aux environs de la maison de la culture Taous Amrouche.
Mais en même temps beaucoup d’autres ont dû prendre des raccourcis pour rejoindre directement le point de ralliement par excellence : le rond-point de Nacéria, à une centaine de mètres du siège de la wilaya.
On peut les estimer aisément entre 250 000 et 300 000 marcheurs dont un quart de femmes, qui sont sorties en familles, seules ou accompagnées de leurs enfants ou de leurs amies. Il y avait aussi beaucoup d’enfants et d’adolescents, de 2 ans à 17 ans. Certains étaient même dans des poussettes pour dire que les Bougiotes ou les Béjaouis ont tenu à marcher en famille, en chantant et toujours dans la bonne humeur.
L’imposante marche a été l’occasion pour les centaines de milliers de manifestants, venus des quatre coins de la wilaya, de la vallée de la Soummam, du Sahel dans la région Est, mais aussi de tous les quartiers et villages de l’arrière-pays béjaoui, de répondre à Bouteflika et à ses affidés qu’ils rejetaient leurs propositions et que la nouvelle Algérie se ferait sans eux.
Organisés dans des carrés distincts de même que les catégories socioprofessionnelles à l’instar de l’Ordre régional des architectes de la wilaya de Béjaïa, les manifestants ont scandés, à tue-tête, des slogans, qu’ils ont écrit sur des banderoles géantes ou sur des cartons, « Yetnahaw ga3 » (Qu’ils partent tous), « Système dégage », « Pouvoir maffieux, dégage », « Les généraux, dégagez », etc. Mais aussi : « FLN, RND, TAJ et MPA, dégagez », afin de dire qu’ils sont sur leur garde, quant à, ce surprenant ralliement de partis, qui avaient préparé les conditions du 5ème mandat avant que le mouvement populaire ne vienne tout remettre en cause et disqualifier y compris la prorogation du mandat.
Autre message, subliminal, que les manifestants ont tenu à faire passer aujourd’hui. Les drapeaux algériens étaient encore plus nombreux que lors des quatre dernières marches, qui étaient tout aussi imposantes. Ils répondent ainsi à Ferhat Meheni, le président du Mouvement pour l’indépendance de la Kabylie, qui avait appelé à arrêter de manifester avec le drapeau national, étranger, selon lui, à la Kabylie.
Sans se concerter, les manifestants sont sortis, certes, avec des drapeaux de Tamazgha – pour signifier au monde qu’ils sont toujours fiers de leur appartenance au monde amazigh -, ils ont enveloppé leurs enfants, la nouvelle génération, de drapeaux algériens et leur adhésion au mouvement populaire, qu’il leur a fait retrouver leur dignité mais aussi le sourire. En témoigne ces joutes oratoires, ces opérettes, jouées par des enfants au niveau de l’esplanade de la Maison de la culture avant le début de la marche. Et suivi avec beaucoup d’intérêts par les premiers manifestants, qui attendaient patiemment le début de la marche.
« Même la nature est contre eux »
Le matin, un animateur de la radio Soummam a annoncé qu’il fallait s’attendre cet après-midi à des pluies diluviennes. Il a fait aussi beau que le dernier vendredi. « Oiseau de mauvaise augure », dira un manifestant. « Même la nature est contre eux. Ils espéraient que dame nature allait gâcher la fête. C’était impossible. Dieu ne peut pas être de leur côté », dira Hilal, un pâtissier, qui est venu d’Ighil Ali pour assister à la marche. Un autre, cadre à Naftal, dira : « ils sont abandonnés par leurs serviteurs, qui les lâchent un par un ; ils sont abandonnés par l’étranger. Ils sont isolés. Dieu ne peut objectivement être de leur côté. Vous verrez, il va pleuvoir dès la fin de la marche. »
Il y a lieu de signaler que plusieurs manifestants sont venus de l’étranger. C’est le cas de Mohand, qui a fait coïncider ses vacances avec le mouvement populaire pour pouvoir assister, ne serait-ce, que quelques jours aux manifestations avant l’avènement, insistera-t-il, à la naissance de la 2ème République, démocratique et sociale, telle que souhaitaient par les pères fondateurs. Omar, un ancien syndicaliste, est venu lui de Nice. « Il a renoncé à ses vacances d’été pour être avec les siens en ce moment. » C’est le cas de Kamal et d’Aziz, qui sont venus respectivement de Paris et de Toulouse. « Maintenant, on n’hésite pas une seconde à exhiber nos passeports verts. Ce n’était pas le cas, avant le 22 février dernier. On peut vous l’assurer. »
Nabil Zenache