Le nouveau Premier ministre Abdelmadjid Tebboune est confronté à des défis insurmontables. En plus des difficultés financières, il devra rétablir la discipline et la cohérence au sein d’un gouvernement qui en manquait cruellement.
Le gouvernement de M. Abdelmadjid Tebboune ne pouvait entamer sa mission dans de pires conditions. Empêtré dans l’affaire Belaggoune dès sa formation, paralysé par une situation financière ingérable, noyé dans le doute qui entoure le véritable auteur du choix des ministres, confronté à des dysfonctionnements récurrents de l’administration que lui-même entretient parfois, le nouvel exécutif part avec des handicaps difficiles à surmonter.
Mais curieusement, M. Tebboune n’aura pas à affronter les problèmes qui paraissent les plus évidents. Il n’a pas de parlement à affronter ni d’opinion publique à convaincre. De plus, alors que le choc actuel a été provoqué par la baisse des recettes extérieures en devises, M. Tebboune ne va pas faire face à la rareté des devises mais au manque de dinars. Sa préoccupation ne va pas porter sur les arbitrages nécessaires entre la dette extérieure et le fonctionnement de l’économie, comme fut le cas lors de la crise de 1986, mais de trouver des dinars pour boucler le budget. Du moins dans le court terme.
Le Premier ministre va aussi se retrouver, très rapidement, face à des priorités inattendues, sans lien avec ce qui est évoqué quotidiennement : il devra tenter de créer une véritable équipe, après la débandade de l’ère Sellal, où chacun tentait de tirer la couverture à lui.
Bras de fer
M. Tebboune a été nommé après un bras de fer contre l’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal et l’ancien ministre des Finances Baba Ammi, qu’il avait ouvertement critiqués. L’arbitrage au plus haut sommet de l’Etat lui a été favorable. Il est donc tenu de réussir là où M. Sellal a échoué.
A priori, il n’est pas difficile de faire mieux que M. Sellal, dont l’action manquait de tout : de crédibilité, d’autorité, de discipline, de cohérence et d’efficacité. Autoritaire, voire cassant, M. Tebboune devrait s’imposer sans trop de difficultés à sa nouvelle équipe, qui ne compte aucune figure d’envergure. Il pourra donc imposer sa logique et ses choix, les ministres se contentant de suivre ses directives.
L’autorité ne garantit cependant pas la discipline. Celle-ci provient du respect des règles, un terrain sur lequel M. Tebboune lui-même a dérapé. N’a-t-il pas été nommé après avoir fait preuve d’indiscipline, en dérogeant à la règle de la solidarité gouvernementale? Le respect de la discipline est, par ailleurs, faussé par l’intervention de multiples réseaux informels, dont l’un des plus influents est constitué par les milieux d’affaires qui gravitent autour du pouvoir.
Coudées franches
Le nouveau Premier ministre sera toutefois jugé sur deux points précis : sa capacité à tenir face à la crise, et le respect de la feuille de route tracée au sommet du pouvoir.
Face à la crise, il dispose de peu de moyens. Sa méthode, basée sur les injonctions et l’interdit, risque de faire de nouveaux dégâts, avec notamment l’apparition de pénuries et le déséquilibre du marché de certains produits. Son action provoquera davantage d’incohérences, et il n’est pas certain que ses multitudes promesses seront tenues.
Comme ses prédécesseurs, M. Tebboune ne contrôle pas les leviers essentiels. Il n’a aucune emprise sur le prix du pétrole et il souffre, comme tout le pouvoir, d’une erreur d’appréciation centrale : il pense que la crise est conjoncturelle, liée à la baisse du prix du brut.
Dans son parcours, M. Tebboune pourra cependant bénéficier de deux avantages certains. Il n’aura pas à tenir compte de l’opinion publique tant que son action ne débouche pas sur une rupture de la stabilité sociale. Et il n’aura pas à se préoccuper du Parlement, où son gouvernement dispose d’une majorité confortable et docile. Autant dire qu’il a les coudées franches. Pour aller où ? La présentation de son programme au Parlement apportera quelques réponses. L’illusion du nouveau modèle économique en fera-t-elle partie ?