Au moment où beaucoup de projets de fermes géantes, notamment dans le sud du pays, sont fortement médiatisés, l’intervention d’Omar Bessaoud sur Radio M apparait comme un avertissement sur les risques liés au développement des modes d’exploitation intensifs dans l’agriculture algérienne et une véritable douche froide pour les partisans d’une agriculture saharienne.
« Tous les bilans établis aujourd’hui soulignent les risques d’une pression croissante sur les capacités de reproduction de la fertilité naturelle des terres Les tensions exercées sur le potentiel mobilisable des sols et des eaux ont atteint un seuil critique qui appelle à l’abandon des modes d’exploitation miniers qui prévalent actuellement, notamment dans les zones Sud du pays » affirme l’expert algérien qui est aujourd’hui professeur au Centre international des hautes études agronomiques de Montpellier
Pour Omar Bessaoud, L’agriculture algérienne ne pourra pas s’affranchir complètement des fortes contraintes naturelles qui la caractérisent. « Les ressources naturelles du pays sont limitées et contraignent à l’adoption de systèmes de culture extensifs dans les zones d’agriculture pluviale. La faible pluviométrie oblige les céréaliculteurs à pratiquer la jachère une année sur deux ou deux années sur trois, c’est-à-dire à laisser improductifs la moitié ou les deux tiers de leurs terres, pour leur permettre d’emmagasiner l’eau nécessaire à la vie de la plante « .
Un bémol cependant, l’irrigation qui s’est fortement développée au cours de la décennie écoulée et concerne désormais un peu plus de 10 % de la superficie agricole « autorise une intensification des cultures et un développement sans précédent des cultures maraichères et fruitières qui occupent l’essentiel des surfaces mises en valeur par l’eau « .
Un potentiel en eau limité
Pour autant le potentiel en eau du pays n’est pas illimité. » Il est estimé à 19 Milliards de m3/an dont 14 Mds de m3 au nord et 5 Mds de m3 en zones sahariennes. La disponibilité est de 500 à 600 m3/an/habitant. Au regard à la norme de la banque mondiale qui fixe le seuil de rareté à 1 000 m3/an/habitant, l’Algérie est un pays pauvre en ressources hydriques « . Plus grave « les utilisations en eaux souterraines renouvelables rapportées aux ressources des eaux disponibles montrent déjà une surexploitation « .
En dépit des efforts déployés par l’Etat dans les domaines de la conservation des eaux et du sol, « l’érosion continue sa progression et les ressources hydriques sont gravement affectées par la surexploitation ou la salinisation. L’on assiste ainsi dans certaines régions du tell à la disparition de l’artésianisme ou à des rabattements des aquifères ayant pour conséquence le recul de certaines cultures ainsi que c’est le cas pour la pomme de terre dans le bassin de production de la wilaya de Mascara »
L’agriculture saharienne intensive, un pari dangereux
La solution serait-elle dans le développement de l’agriculture saharienne ainsi que le suggère beaucoup de projets récents ? Une option dangereuse, affirme le professeur algérien. « Dans le Sud du pays, les puits et forages qui se sont multipliés ont eu pour effets des retraits annuels qui sont passés de 0,5 km3 en 1960 à 2,75 km3 en 2010. Ces consommations excessives entraînent un abaissement généralisé du niveau piézométrique, et de nombreux puits artésiens et sources naturelles, autour desquels se sont développées les oasis, se sont d’ores et déjà taris « .
Face à la multiplication des projets, les projections pour l’avenir sont alarmantes. » Les études révèlent que Biskra et El Oued sont les régions où la nappe est la plus vulnérable. Avec un doublement de la population entre 2000 et 2030 et en doublant les superficies, de 170 000 ha en 2000 à 340 000 ha en 2050, l’on pourra atteindre 5 milliards de m3 d’eau additionnelle prélevée sur la nappe, ce qui accentuera l’écart entre l’offre d’eau disponible et la demande. Par ailleurs, les rabattements augmentent à la fois le risque de percolation des eaux salées du chott dans la nappe et la salinisation. D’après les données de l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS), au rythme de l’exploitation actuelle, la nappe risque de disparaître d’ici 50 à 100 ans et toute installation humaine sera ainsi compromise « .
Le défi lié au changement climatique
Protéger les ressources rares, les systèmes écologiques et les patrimoines naturels dans un contexte de changement climatique constitue en outre pour Omar Bessaoud un défi capital. » L’Algérie figure parmi les pays à fort risque de changement climatique, et tous les rapports et recherche notent que ce changement climatique va exacerber à l’avenir les facteurs anthropiques de dégradation à l’origine de la baisse de productivité des sols et des élevages ».
Ce défi écologique met l’Etat « dans l’obligation d’inscrire la durabilité des modes de production comme un élément clé de sa politique agricole car la pression anthropique sur les ressources naturelles a des limites, qu’il convient dorénavant de fixer. Il pose l’exigence d’un changement de paradigme technique accordant à l’agro écologie, aux savoirs faire éprouver des paysans et à la recherche agronomique une place privilégiée pression anthropique.