La théorie marxiste est ébranlée en Algérie. Patronat et classe ouvrière sont alliés contre un ennemi commun, à la suite des déboires du patron de Cevital, M. Issad Rebrab.
Alliance du travail et du capital contre la bureaucratie. C’est ainsi que pourrait être résumées les péripéties entourant les projets du patron de Cevital, M. Issad Rebrab, et les équipements qu’il n’arrive pas à faire entrer en Algérie. Malgré sa fortune, l’homme le plus riche d’Algérie continue de manger son pain noir, face à une hostilité générale de l’administration, et donc du pouvoir.
Depuis plusieurs semaines, des navires transportant des équipements importés de Chine par M. Rebrab, et destinés à une unité de trituration de graines oléagineuses, ont été refoulés au port de Béjaïa. La marchandise a finalement été réexpédiée vers des ports européens, dans l’attente d’un règlement du contentieux.
Dans l’intervalle, les travailleurs de Cevital ont organisé une marche, le 25 mai à Bejaïa, pour dénoncer les blocages que subit le patron de Cevital. Regroupés au sein d’un comité de soutien, les travailleurs, auxquels se sont joints des militants et des élus locaux, ont organisé une marche jusqu’au siège de la wilaya.
Quand M. Rebrab était choyé
Le conflit donne à priori une image piètre du traitement réservé aux investisseurs en Algérie. Un patron, première fortune du pays, est en butte aux tracasseries depuis des années, ce qui l’empêche d’investir en Algérie et à l’étranger. L’ancien ministre de l’industrie Abdessalam Bouhouareb se trouvait en première ligne quand il s’agissait d’entraves dressés contre les projets de M. Rebrab.
Le nouveau ministre de l’industrie ne s’est pas encore exprimé sur le sujet. Mais le directeur du port de Bejaïa, M. Djelloul Achour, est monté au créneau pour donner la version de l’administration. Selon lui, il ne s’agit pas de blocages, mais les équipements en question ont été importés sans respect des procédures.
M. Djelloul Achour en profite pour saper la communication de M. Rebrab, en rappelant le temps où le patron de Cevital était choyé du pouvoir. M. Rebrab a bénéficié de 140.000 mètres carrés au sein du port de Béjaïa pour installer ses usines. Il a même bénéficié d’une assiette de terrain pour installer une usine de trituration, mais il a construit un silo, selon le directeur du port.
Pas d’autonomie des acteurs économiques
Ces révélations mettent à mal la communication de M. Rebrab, qui veut se présenter comme un capitaine d’industrie tourné vers l’avenir. Il a ainsi fait la tournée des universités pour des conférences sur le management, promettant aux étudiants de mener une action efficace en faveur de l’emploi.
Mais le virage vers le recours à la rue est une innovation risquée pour M. Rebrab. Certes, le patron de Cevital ne s’est pas directement mêlé de l’organisation de la marche sur la wilaya ; un cadre local d’un parti a également rappelé que Cevital tolère difficilement la présence de syndicats de travailleurs. Mais cette alliance inattendue entre travailleurs et patron risque de cabrer davantage un pouvoir particulièrement susceptible lorsqu’il s’agit de la paix sociale.
Modernité
Mais plus que tout, les déboires de M. Rebrab rappellent que l’Algérie subit un système politique devenu un handicap pour le développement du pays. C’est un système qui n’accepte aucune autonomie des acteurs politiques et économiques.
Ceux-ci se soumettent, et ils bénéficient des largesses du pouvoir, comme a pu le constater M. Rebrab jusqu’à la fin du troisième mandat du président Bouteflika. Mais s’ils montrent des velléités d’indépendance, ils sont bloqués, marginalisés, voire écrasés.
M. Rebrab a atteint une envergure qui le met dans une situation délicate. Il a atteint une dimension qui ne lui permet plus d’assumer certains rôles. Mais dans le même temps, il sait qu’une confrontation avec le pouvoir risque de lui couter cher.
En se déployant à l’international, il a découvert des méthodes qui permettent de s’affranchir de l’archaïsme des économies balbutiantes. Il veut donc jouer dans la cour des grands. Mais son passé est encore trop présent. De plus, lui-même n’arrive pas à lâcher totalement les amarres. Ses entreprises restent de type familial, totalement sous contrôle. Elles ne sont pas cotées en Bourse.