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Algérie – Comment changer la donne économique, le point de vue d’un chef d’entreprise

Par Saïd Djaafer
juin 13, 2017
Algérie – Comment changer la donne économique, le point de vue d’un chef d’entreprise

Pour réaliser les objectifs du nouveau modèle économique, notre nouveau gouvernement a besoin de croissance, de préférence hors hydrocarbures. Le seul moteur de croissance disponible aujourd’hui est l’entreprise.

 

C’est la seule alternative qui permette une résilience de notre économie ; création d’emploi, offre nationale de produits et de services pour générer de la consommation, exportation… Les autres pistes, comme la dépense publique, ne sont plus envisageables compte tenu de la situation actuelle de nos finances publiques, d’ autant plus que nous avons, malheureusement, pu apprécier les très faibles effets d’un investissement massif des pouvoirs publics sur la croissance durant ces quinze dernières années.

Il est tout à fait légitime et logique de vouloir rationaliser les importations et les dépenses publiques en général, mais il faut éviter un ralentissement brutal de notre économie et des conséquences désastreuses sur l’entreprise et le pouvoir d’achat des consommateurs. Tous les chefs d’entreprises le craignent et le ressentent aujourd’hui. Les mesures d’ajustement budgétaire, indispensables, ont freiné la croissance, provoqué une inflation sur les prix, des licenciements et des situations de faillite d’entreprises.

Ce mal, nécessaire, doit être jugulé par un effort considérable des pouvoirs publics pour encourager en parallèle les entreprises à prendre des risques, à investir vite et suffisamment pour relancer la machine économique. C’est précisément là que l’état est censé intervenir et actionner les leviers qu’il détient ; en agissant sur les taux de crédit pour stimuler les emprunts des entreprises, en baissant les impôts, les charges sociales et en assouplissant les contraintes administratives et bureaucratiques pour inciter l’investissement des PME, toutes les PME.

En effet, toutes les entreprises installées sur notre sol sont de droit algérien, qu’elles soient nationales ou internationales, les managers réfléchissent tous de la même manière. Ils souhaitent développer leurs sociétés, prendre des parts de marché, réaliser des profits, et pouvoir aisément investir et distribuer les bénéfices à leurs associés. Il n’y a aucun patriotisme à avoir concernant les investissements étrangers, nous en avons besoin, toutes les entreprises sont censées recruter, payer des impôts et des charges sociales de la même façon, au contraire, s’y opposer est une attitude discriminatoire qui freine la création de richesses. Ce sont les PME, plus que les multinationales, qui génèrent le plus d’emplois, elles représentent la majorité du tissu des entreprises dans le monde entier. Ensuite, l’état doit être dans son rôle de régulateur, pour protéger les domaines stratégiques, inciter et orienter les dynamiques vers l’industrie ou les secteurs prioritaires.

En opérant des changements sur la fiscalité, la monnaie et en prenant des dispositions législatives nous pouvons changer la donne… Le calcul est simple, nous avons besoin de créer plus de 500 000 PME, d’ici 3 ou 4 ans, qui pourront générer des millions d’emplois. En prenant en considération les entreprises existantes, sous l’effet de ces réformes structurelles, celles-ci seront capables à leur tour d’en créer des millions. En Allemagne, les PME emploient plus de 40 millions de personnes, le secteur tertiaire à lui seul en emploi 28 millions, il est le premier employeur !

L’objectif et les moyens sont clairs et à notre portée, à condition de changer d’attitude vis-à-vis du secteur privé. C’est la transformation la plus difficile à opérer, car aux yeux de la société et ceux des autorités politiques et administratives, le constat est accablant ; la perception de l’entrepreneur algérien est négative. L’image du patron qui s’enrichit sur le dos des salariés, qui échappe au fisc, qui ne rembourse pas ses crédits est très ancrée dans l’imaginaire collectif. Il faut dire qu’une génération d’affairistes malhonnêtes et d’importateurs frauduleux, n’a pas contribué à améliorer ces préjugés, le système socialiste n’en plus ! Mais cela ne justifie pas de telles appréhensions Nous devons changer de paradigme, changer vite, très vite ! Redorer le blason des chefs d’entreprises, comprendre qu’ils sont un acteur majeur et essentiel du développement, leur donner tous les moyens et les chances de réussir. Nous détenons tous une part de responsabilité et de solutions ; les économistes, les experts, les patrons, mais le levier principal se trouve entre les mains du gouvernement, il doit aussi reconsidérer sa politique vis-à-vis de certaines entreprises publiques extrêmement budgétivores et se désengager en faveur du secteur privé.

Les Algériens doivent savoir que sur le terrain, les entrepreneurs algériens bataillent sur tous les fronts ! Ils se battent pour remporter de nouveaux clients et marchés, pour préserver les emplois et payer les salaires à la fin du mois, pour recruter, pour recouvrer leurs créances, payer leurs impôts. Ils se battent pour trouver des financements et les rembourser, pour trouver du foncier ou contre les propriétaires cupides qui renégocient sans cessent leurs loyers, chaque année sans aucune logique. Ils se battent contre l’administration, pour avoir des agréments, des autorisations. Ils se battent contre la corruption, contre les vols, l’inconscience, l’indiscipline, contre les lenteurs administratives, contre le temps qui passe et qui semble n’avoir aucune valeur … Ils sont loin, très loin des clichés du riche patron arrogant et nanti.

Bref, ils se battent tous azimuts et cela n’est pas assez reconnu, d’autant plus que les mesures, identifiées, ne sont pas prises en compte, malgré le travail des associations patronales et de certains acteurs très actifs. Tous ces obstacles découlent directement de l’insuffisance de réformes et ont une conséquence directe sur nos résultats et donc notre économie. Ces conditions, pénibles, encouragent l’informel et découragent l’investissement, national ou étranger de surcroît, ils dévaluent la valeur du travail et celle du mérite.

Concrètement, nous devons mettre en place de véritables tribunaux de commerce avec des juges-chefs d’entreprises et dirigeant, élu par leurs pairs. Rétablir le fonds de commerce, en finir avec les baux commerciaux quasi précaires et interdire le paiement d’avance. Comment souhaitons-nous régler le problème du foncier et octroyer des concessions, sans faciliter et rendre obligatoire leurs hypothèques auprès des banques? Comment encourager le partenariat public/privé sans en assouplir les formalités et les délais pour concrétiser les projets ? Comment combattre l’informel et ne pas mettre en place certaines mesures simples comme le chèque pré barré et interdire son endossement?

Nous devons mettre en place une loi pour limiter les délais de paiement, permettre aux PME l’accès à un vrai marché de capitaux pour lever des fonds. Revoir l’imposition sur le chiffre d’affaires, la TAP, qui représente une charge importante pour les entreprises, notamment celles qui développent de gros chiffres d’affaires et dégagent de petites marges. Nous devons supprimer la double cotisation sociale imposée aux gérants d’entreprises. Comment pourrons-nous combattre le chômage sans revoir le Code du travail, notamment le travail des journaliers et les contrats à durée indéterminée ? Le chantier est vaste…

Les chefs d’entreprises sont des acteurs sérieux, ils sont capables de relever les défis qui se présentent à notre nation. Le monde s’est construit en partie grâce à des capitaines d’industrie et des entrepreneurs courageux qui ont réussi et ont fait réussir leurs pays. Leurs hommes politiques leur ont fait confiance et les ont aidés à prendre des risques, à lever des fonds et à investir dans tous les domaines : la médecine, la technologie, l’industrie, les services… Ils ont voué leurs vies à réaliser leurs projets et leurs rêves, à les faire partager avec des millions de personnes, leurs richesses aussi. Ils ont consacré leurs vies à construire, innover, oser, échouer et revendiquer l’échec pour réussir enfin.

Cette culture, universelle, doit être inculquée, promue et prendre la place quelle mérite dans notre société. Laissons nos chefs d’entreprises réussir, faisons leur confiance et libérons leurs initiatives.

Cet article a été publié dans le blog de l’auteur sous le titre de « Plaidoyer pour l’entreprise »

 

(*) Directeur général de la société Anderson logistique

 

 

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