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Algérie- Comment l’américain AIAG peut tirer profit d’un investissement irréalisable (enquête 2e partie)

Par Saïd Djaafer
février 12, 2017
Algérie- Comment l’américain AIAG peut tirer profit d’un investissement irréalisable (enquête 2e partie)

 

 

Dans cette deuxième partie de l’investigation sur le double partenariat de l’américain AIAD et les groupes algériens Lacheb et Tifra Lait, l’expert financier Ferhat Ait Ali décortique le business plan de cet investissement pour démontrer son côté « factice ». Il évoque aussi la manière dont l’américain pourrait en tirer profit.

 

 Les promoteurs américains, Ted Ayash et Dale Didion, qui détiennent AIAG, une LLC née en 2015 sans aucune activité commerciale, sont peu suspects de pouvoir développer un projet agricole d’envergure.  C’est ce qu’a montré avec beaucoup de détails la première partie de cette enquête. Ils n’ont pas, en outre, les moyens financiers pour déployer des investissements à l’international.

 C’est donc sans grande surprise que l’analyse des projections de production de leur dernier contrat en Algérie, qui constitue la seconde partie de cette enquête, montre combien le business plan de cet investissement est factice.

 

PREMIERE PARTIE DE L’ENQUÊTE: L’américain AIAG de l’agriculture saharienne a tout l’air d’un passager clandestin dans le partenariat 

 

Ainsi, pour rester sur le plus récent des contrats, les deux partenaires,  AIAG et Tifra-Lait, projettent de produire à Adrar, 22 000 tonnes de céréales, 105 000 tonnes d’aliments de bétail sans préciser lequel, ainsi que 20.000 tonnes de viande, et 190 millions de litres de lait, sur une surface totale de 25 000 Hectares. A l’analyse de ces données, il est facile de conclure, que ces prévisions ne sont pas rationnelles.

 

Un projet qui avale son financement dans l’équivalent de 3 barrages de Keddara

 

Pour arriver à produire sur site, autant de lait et de viande, Il faudrait, sur la base des meilleurs ratios de production mondiale dans les zones humides, et avec des qualifications avérées, soit 15 tonnes de matière sèche par hectare et 8 500 litres de lait par vache, ainsi que 400 kg de viande par bovin de 22 mois d’âge, tabler sur une surface irriguée au sud de l’ordre de : 58.000 hectares (voir le calcul plus loin), sur lequel il faudra mobiliser plus de 580 forages de 10 pouces.

Il faudra ainsi trouver quelque chose comme 300 millions de m3 d’eau, à aspirer de la nappe albienne, au même endroit, en un an, soit l’équivalent de 3 barrages de Keddara. Lorsqu’on sait qu’un forage sur 300 mètres en 10 pouces revient à 300.000 dollars actuellement, et que le pivot de 50 hectares est à 80.000 dollars, on peut facilement calculer les besoins en fonds pour arriver à ces résultats.

 Il faut mobiliser 180 millions de dollars, rien que pour les forages, et 92 autres millions de dollars pour les pivots. Sur les 250 à 300 millions de dollars prévus pour le développement du projet nous avons déjà avalé 270 millions sans la moindre vache à l’horizon. L’analyse du projet pourrait s’arrêter là, tant elle montre combien il est farfelu. Les détails montrent d’autres choses.

 

Les céréales et l’aliment de bétail ne peuvent cohabiter pour les objectifs projetés

 

Pour les céréales, au vu de la production maximale de céréales sur les exploitations équivalentes au sud, qui est de l’ordre de 80 quintaux de blé, on peut conclure que les 22 000 tonnes ainsi projetées, nécessitent une surface de l’ordre de 2750 hectares, ce qui représente quelque chose comme 11% de la surface totale.

 La mise en œuvre de toute la superficie donnera un maximum de 220.000 tonnes de céréales pour un chiffre d’affaire annuel de l’ordre de 44 millions de dollars, à soutenir sur le marché intérieur par une subvention de 4,4 Milliards de dinars en soutien à la production par le trésor public.  Mais les incohérences du business plan montrent qu’il faudra abandonner cette production ainsi que celle des pommes de terres car en mobilisant les 25 000 hectares pour produire uniquement de l’aliment de bétail. On n’en sort pas.

Pour l’aliment de bétail, quelle que soit la nature de cet aliment, le maximum de matière sèche à tirer de ces terres, est le maximum mondial, soit 15 tonnes par hectare, et la production de 105 000 tonnes projetées, nécessitent une surface de 7000 hectares, irriguées.

 La surface totale du projet, si elle était dédiée à cette production, donnerait un maximum de l’ordre de 375 000 tonnes de matière sèche. Or on va le voir tout de suite ce quantité est très insuffisante pour combiner production de viande (bovins) et production de lait (vaches laitières) comme présenté dans les projections de AIAG-Tifralait.

 

Des projections en viande et en lait qui ne collent pas

 

La quantité de viande, à produire sur place, pose un sacré problème, du fait que les  20.000 tonnes de viande rouge prévus, représentent en moyenne le produit de l’abattage de 50.000 bovins adultes de 700 kg, dont il faut assurer l’alimentation en plus des vaches qui doivent produire 190 millions de litres de lait par an.

 Mais quand on sait qu’un bovin d’élevage consomme quand même quelque chose comme 40 kg de matière sèche jour en moyenne, ainsi que 90 litres d’eau dans des zones tempérées, cela nous ramène à une consommation totale de l’ordre de 1.2 million de tonnes d’aliments de bétail, et de 3 millions de m3 d’eau. Car il ne faut pas oublier que les bovins n’atteignent des carcasses de viande nette de 400 kg dans les meilleurs des cas, qu’après une prise en charge de 22 mois.

Pour produire 190 millions de litres de lait par an, il faut sur la base de la moyenne américaine, qui est loin de la nôtre, soit 8 500 litres an, au lieu de 4000 litres, il faut avoir à traire en permanence,  quelque chose comme 22  500 vaches et non pas 15 000 comme présenté dans le projet qui lui table manifestement sur une production de 12 600 litres par vache an, ce qui ne s’est jamais vu, nulle part dans le monde à ce jour.

 Or 22 500 vaches consomment, quand même, quelque chose comme 12 tonnes d’aliments par vache par an, et 44 m3 d’eau par vache et par an, sans compter celle destinée au nettoyage et l’hygiène générale des vaches et des locaux. Ce qui nous donne quand même des quantités annuelles, de l’ordre de : 270.000 tonnes d’aliments, et 985 000 M3 d’eau pour le volet lait.

 

Un complément en importations entre 100 et 150 millions de dollars par an

 

Dans les projections des partenaires AIAG et Tifra Lait, il est question de produire 105 000 tonnes d’aliments, et dans une projection dédiant toute la surface cultivée à cette culture exclusive. En oubliant les autres cultures céréales et pommes de terre incluses prévues dans le projet, le maximum attendu est 375 000 tonnes de matière sèche, en retenant des rendements optimistes valables dans les zones tempérées.

 L’analyse des intrants faites précédemment a situé les besoins en aliments pour nourrir 50 000 bovins (viande) et 22 500 vaches (lait) afin d’atteindre les objectifs de production annoncés en viande et en lait. Ils sont de 1,2 million de tonnes par an pour les 50 000 bovins et de 270 000 tonnes par an pour les vaches laitières, soit 1,47 million de tonnes. Il restera donc à chercher ailleurs quelque chose comme 1.36 million de tonnes dans la projection de ces investisseurs ou 1.1 million tonnes dans le cas d’une projection d’exploitation totale en fourrages.

Il s’agira donc d’importer pour 100 à 150 Millions de dollars an, en fonction de la variante choisie. Et ceci pour économiser sur l’importation de 19 000 tonnes de lait en poudre et 20.000 tonnes de viande, pour des valeurs respectives de l’ordre de 60 millions de dollars pour le lait, et de 100 millions de dollars pour la viande.

 Une fois vérifiées la non faisabilité des projections de ces investissements, il devient évident, que le travail n’a pas été l’œuvre de professionnels de l’agriculture, tant du côté algérien qu’américain. Et ce qui n’est pas du tout concevable, est que cette dernière entité, dénommée américain international agricultural Group, (AIAG) crée par Ted Ayash, signe des accords dans le cadre du 51/49, avec des entités algériennes, existantes, ayant des actifs, des fonds et des entrées dans les sphères décisionnelles du secteur. Ceci pose un gros problème au plan juridique.

 

La BADR pressentie pour financer 80% des projets s’ils se concrétisent

 

Les protocoles d’accords signés en Algérie, par Dale Didion, et sous la supervision de Ted Ayash lui-même initiateur premier de cette société, font d’elle un partenaire à 49% d’une entité nouvelle qui sera créée si ces accords devaient connaitre un début de concrétisation.

On aura donc une nouvelle société de droit algérien, dénommée comme on veut, mais qui aura à appeler un financement de 49% de son capital social par la partie américaine. Pour le reste des financements, ce sera une autre paire de manches.

L’article 58 de la fameuse LFC 2009, interdisant tout financement (endettement) venant de l’étranger, et une balance devises excédentaire pour tout apport en nature, la partie américaine n’aura dans les faits à financer que 49% des fonds propres de la nouvelle entité. Qui seront, si nous estimons les deux projets à 800 millions de dollars, de l’ordre de 80 Millions de dollars, si on considère que la BADR aura à financer 80% soit 640 millions sur les deux projets tandis que les partenaires locaux et étrangers mettront 160 Millions de leurs fonds propres.

 La première partie de cette enquête a montré que les deux américains fondateurs d’AIAG, n’ont pas la surface financière ni les associés ou partenaires aux Etats Unis qui leur permettraient d’apporter les 80 millions de dollars qui leur incombent dans les deux partenariats avec le groupe Lacheb et avec Tifra Lait. Ils auront cependant pris des droits dans une concession de 25 000 hectares en Algérie. Comment procèderont-ils alors pour tirer parti de cet actif ?

 

La surfacturation pour financer l’apport et siphonner des devises ?

 

Il existe plusieurs possibilités pour AIAG de rester dans le projet et d’en tirer parti. Elles comportent toutes un risque sérieux pour la partie algérienne, partenaires et banque.  La partie AIAG trouve les fournisseurs d’équipements des projets et de savoir-faire, qui financent leurs apports, et avancent les 80 millions censés servir à aspirer les 800 millions d’acquisitions. Ce qui, moyennant une petite majoration des matériels et services de 20%, aura pour effet de combler les trous de la partie américaine en creusant le même trou en Algérie. Chose qui ne semble pas être très difficile, vu la tournure qu’a prise cette histoire chez nous.

 Autre piste, les deux américains trouvent un financement tiers de la part de banques convaincues par le volet financier du projet. Ils se font financer l’apport initial, moyennant une promesse de récession de parts du projet une fois celui-ci mis en place et productif. Cette variante est un peu moins sure, du fait que les banques, ne croient pas trop aux Etats unis, à ce genre d’investissements dans un pays mal noté, et situé dans une zone de turbulences en ce moment.

Enfin troisième possibilité, ils trouvent un organisme qui finance pour eux cette affaire, moyennant un droit de regard sur l’intégralité de l’affaire, et une éventualité d’éviction de la partie algérienne ultérieurement et une fois la loi changée et les assiettes de 50.000 hectares occupées juridiquement par cette entité; et là nous sommes dans une autre vision que celle d’une affaire. Le scénario de la faillite frauduleuse n’est pas aussi à écarter.

 Les investisseurs américains projettent de grands projets, et se limitent à une ou deux opérations d’acquisition assez limitées dans le temps, et les montants, en revendant localement du matériel qui aura été acquis aux Etats Unis ou même ailleurs, à un prix qui leur permettra d’en tirer un certain profit. Ils arrêtent les frais au premier incident local, ce qui semble être dans leurs cordes et assez facile à réaliser avec un montage fractionné et assez alambiqué pour ne pas laisser voir la fin malheureuse du projet.

 

Les parties américaines connaissent bien les failles de l’investissement en Algérie

 

Dans tous les cas de figures, les conclusions les plus évidentes dans cette affaire sont alarmantes. L’AIAG, n’est pas un groupe d’entreprises américaines, mais juste une petite LLC sans capitaux propres. Les protagonistes de cette société et de toute l’affaire, côté américain, n’ont aucune expertise dans la filière de l’agriculture. Par contre ils sont liés à l’université Mason qui a une proximité avérée avec les agences américaines d’intelligence.

 Les projets ratifiés avec les opérateurs algériens, sont irréalisables sur ces surfaces, avec ces montants et surtout avec les projections de production présentées par ces personnes. Les parties américaines semblent bien connaitre, les lois nationales en matière d’investissement, et les avantages que peut en tirer quiconque a une autre projection que celle d’investir sérieusement.

 Les failles dans notre système de contrôle à priori, inhérentes à sa nature ou voulues quelque part, ont été telles que tout un Etat se retrouve impliqué dans une entreprise qui n’a aucune chance de se concrétiser de la manière dont elle a été présentée.

 

Mieux à faire avec de tels montants

 

Avec le montant projeté à El Bayadh et Adrar, on peut déjà sauver ce qui reste d’exploitations sinistrées, et financer autant de vaches que dans ces projets, mais reparties en 50 exploitations de 1000, pour 50 opérateurs intégralement algériens. 

 Les Algériens désireux d’investir dans ce créneau sont nombreux. Ils devraient être obligés de recruter comme responsables des projets, des spécialistes locaux en agriculture et conduite d’élevage, et ne solliciter le savoir-faire étranger que comme coopération technique rétribuée, à chercher dans tous les pays, ou cela est possible.

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