La nouvelle politique économique, notion plus appropriée que modèle de croissance, ne saurait se limiter à des extrapolations technico-économiques, fonction des hypothèses et des méthodes de calcul souvent aléatoires, pouvant être remis en cause par des événements exogènes, parfois difficilement prévisibles : par exemple, des tensions sociales avec des augmentations brusques de salaires, l’impact de la crise de 2008, ou du Brexit anglais sur la croissance de l’économie mondiale.
Par ailleurs, toute politique économique ne peut réussir sans un retour à la confiance, étant forcément être mise en œuvre par des acteurs politiques, économiques et sociaux notamment les acteurs acquis à l’esprit des réformes qui trouveront des résistances naturelles face aux tenants de la rente.
1.-La réussite implique d’approfondir l’Etat de Droit et la moralité, garant de l’implication de la société. Si l’expérience historique montre que l’Etat de Droit ne s’assimile pas forcément durant une première phase historique à la démocratie ( expérience du Chili, de la Corée du Sud, de Bismarck en Allemagne ), il n’en demeure pas moins en ce XXIème siècle, que je suis persuadé que seule la démocratisation progressive tenant compte de nos valeurs culturelles, dans tous les domaines de la vie sociale, rompant avec les pratiques néfastes du passé, soit la seule voie de salut pour une Algérie prospère, compte tenu de la métamorphose du monde. Mais que l’on s’entende bien, il y a solidarité entre la démocratie politique, sociale, culturelle et économique. On ne peut se targuer d’être un quart démocrate par exemple, en politique, mais pas en économie, au niveau social et culturel. La démocratie politique suppose la libre action des partis sur la base de respect des idées d’autrui, d’un programme clairement défini. La lutte doit se dérouler sur le plan des idées à mettre en œuvre en cas où l’opposition arrive au pouvoir. Et le pouvoir est le pouvoir et l’opposition est l’opposition. Sur le plan social, le syndicat unique est à jamais révolu.
La pluralité syndicale, l’implication de la société civile, à travers leurs organisations économico-sociales représentatives, est le signe de la vitalité de toute société par la naissance de nouvelles organisations, nouvelles dynamiques, poussant les anciennes plus conservatrices par définition, au changement nécessaire. La démocratie culturelle implique la reconnaissance des spécificités culturelles, la promotion de la femme signe de vitalité de toute société, la refonte de l’ensemble du système socio-éducatif car l’homme, pensant et créateur, doit être le pivot de tout processus de développement s’adaptant au monde en mouvement. Le XXIème siècle sera culturel ou ne le sera pas, ce qui serait préjudiciable à l’ensemble de l’humanité. Car l’élément inter-culturalité est la base des échanges, favorisant le combat contre toute forme de racisme et de diktat de la pensée unique, signe le plus évident de décadence de toute société. La liberté des médias, à travers une concurrence loyale durant cette phase de transition en Algérie, doit être une préoccupation constante, ainsi afin de favoriser par le renouveau culturel pour véhiculer le nouveau mode de pensée. La démocratie économique n’est que la traduction de l’instauration de l’économie de marché concurrentielle à base de concertation sociale dans le cadre de l’interdépendance mondiale- projet de société économique. La synchronisation des rôles complémentaires Etat-marché durant cette transition est stratégique. L’économie de marché véritable ne saurait se limiter à la sphère commerciale mais induit une croissance durable basée sur la production de richesses permanentes tenant compte du bouleversement technologique mondial et de la concurrence internationale, l’Etat Régulateur étant le garant du contrat social. Cela doit se caractériser par la lutte contre tout monopole qu’il soit de type public ou privé.
La concurrence doit s’effectuer loin de toute vision de modèle périmée. Pour cela, il y a nécessité de repenser le nouveau rôle de l’Etat Régulateur qui devrait s’adapter à la nouvelle économie mondialisée et aux règles universelles de l’économie de marché, pour se consacrer à sa mission d’encadrement macro-économique, macro- sociale, et investir dans certains segments en amont, dont la maturation est très lente. On ne peut séparer la dynamique économique et financière, la dynamique économico- financière et la dynamique sociale, eux mêmes largement influencés par l’internationalisation de l’économie, et si l’on veut avoir une cohérence et une visibilité dans la démarche de toute politique socio-économique fiable loin du statut quo actuel. Cette solidarité des démocraties – en fait de la démocratie, trouvera des oppositions des rentiers, dont le fonctionnement occulte a conduit à la crise multidimensionnelle que l’ensemble de la population vit dramatiquement. Ce qui explique certaines dénaturations, assimilant faussement réformes au bradage de l’économie nationale, et rend urgent l’approfondissement de la réforme globale pour asseoir l’Etat de droit (une véritable justice loin des injonctions) et l’adaptation de l’Algérie aux mutations mondiales dans le cadre d un monde en plus en plus multipolaire.
2.-Il s’agit d’avoir une vision stratégique clairement affichée de passage d’une économie rentière à une économie basée sur le travail et la récompense de l’effort supposant de restaurer l’autorité de l’Etat selon une vision démocratique. Sur le plan économique, les axes à mener avec énergie comme condition de sortie de la crise, sous réserve de la mise en place des solidarités démocratiques analysées précédemment sont les suivants : le régime des changes, lié à la fixation de la cotation du dinar, au développement de la sphère informelle et des transferts illicites des capitaux, la libéralisation maîtrisée du commerce, la libéralisation maîtrisée des prix et compensations d’émissions, la rationalisation ciblée des finances publiques, la réforme monétaire et surtout du secteur financier, la réforme de l’entreprise publique, le nécessaire développement du secteur privé, la dynamisation du secteur habitat fondée sur de nouvelles méthodes de construction, sur les économies d’énergie, une réelle transition énergétique reposant sur un Mix énergétique à la politique de l’environnement et des industries écologiques, une nouvelle politique agricole renvoyant à la politique de l’eau dans un pays semi-aride et du tourisme permettant d’importantes économies de devises, une nouvelle politique industrielle reposant sur l’innovation continue (intelligence artificielle, biotechnologies etc..) par la prise en compte de la quatrième révolution industrielle, l’ère mécanique étant dépassée, la mise en place d’un véritable marché du travail , conciliant flexibilité et sécurité par une formation permanente dont le fondement est la réforme de l’école mère de toutes les réformes, tout en protégeant les droits des travailleurs par la mise en place du filet social (lutte contre la pauvreté et assistance sociale aux plus démunis) et enfin l’amélioration des données statistiques et leur uniformisation par la création d’une institution indépendante de planification stratégique sous l’autorité du président de la république ou du premier ministre. Cette adaptation aux nouvelles mutations ne doit pas occulter le facteur culturel stratégique dans tout processus de développement. D’une manière générale le savoir avec la stabilité de l’environnement politique, économique et social sont déterminants selon l’ensemble des rapports internationaux, étant un élément déterminant du développement des Nations au XXIème siècle avec la bonne gouvernance. Comment ne pas rappeler que les grands économistes classiques ont montré que le fondement de la création de plus- value est le travail et l’intelligence, existant un lien dialectique entre transfert de technologie, le développement et la culture d’une manière générale, devant concilier la modernité et notre authenticité.
Le transfert technologique est favorisé lorsqu’il existe une meilleure compréhension des valeurs convergentes et divergentes qui s’établissent entre deux groupes et vouloir imposer ses propres valeurs, c’est établir une relation de domination qui limite le transfert tant technologique que managérial. Car la culture d’entreprise est un sous-produit de la culture nationale et par conséquent un ensemble de valeurs, de mythes, de rites, de tabous et de signes partagés par la majorité des salariés et un élément essentiel pour expliquer les choix stratégiques en renforçant les valeurs communes. A la lumière de toutes les expériences mondiales, il ne peut y avoir aucun développement durable sans la revalorisation de l’élite du pays dont les bienfaits sur toute société ne peuvent se faire sentir qu’à moyen et long terme loin des indicateurs économiques de court terme.
3.- Ces lignes directrices que j’ai développées depuis plus de 30 ans, impliquent pour paraphraser le langage militaire de distinguer stratégique clairement définie dans le temps et tactiques des acteurs (les actions conjoncturelles) afin de les synchroniser pour optimaliser l’efficience économique et sociale. Car tout système est mû par la dynamique des groupes sociaux, loin de toute vision mécanique et tout projet porteur est mû par les hommes pensants et créateurs qui sont le pivot de la dynamique économique et sociale. D’où l’intérêt de cerner les différentes composantes sociales, les différents rapports de force, en intégrant les réseaux extérieurs pour pouvoir mener une politique réaliste fonction de nos moyens et procéder aux corrections nécessaires. Cela implique une concertation et adaptation permanente au temps réel, entre l’Etat, les partenaires sociaux et l’ensemble de la société civile à partir de nouveaux réseaux dynamiques collant avec les réalités sociales pour éviter l’affrontement Etat/citoyens et des tensions sociales inutiles. Et c’est là, que l’on trouve le rôle fondamental de l’Etat garant de la cohésion sociale, chargé par des mécanismes de régulation antibureaucratiques de lutter contre les disparités régionales à travers une politique d’aménagement du territoire, -base de la décentralisation économique, de l’implication des acteurs locaux et une nouvelle politique de la ville – afin d’éviter ces gigantismes sources de délinquance, de prostitution et cause de surcoût supporté par un transfert d’impôts.
Il s’agit impérativement de dépasser l’esprit rentier. Déjà entre 1992/1995, dans plusieurs contributions trois articles parues au niveau national ainsi que dans des conférences à Washington, Paris, j’avais proposé une grille de lecture à savoir les liens dialectiques entre l’évolution de la rente pétrolière et gazière, le façonnement de la société algérienne en monopole politique, social et économique, et les différentes logiques de pouvoir entre 1963 et 1994, cette analyse ayant été réactualisée pour la période récentes (voir nos différentes contribution (www.maghrebemergent.com). La crise, depuis 1986 avec la chute de la rente des hydrocarbures, avait permis de mettre à nu cette logique de la fin de l’Etat-Providence, dont l’aboutissement a été la cessation de paiement et le rééchelonnement en 1994. En juin 2016, l’Algérie dispose d’une aisance financière relative 135 milliards de dollars fin mai 2016). Les exportations hors hydrocarbures ne dépassent pas 5% et sur ce total 70% de dérivées d’hydrocarbures se confinant dans le brut et le semi-brut , une croissance du PIB entre 2000/2015 ne dépassant pas 3% malgré des dépenses monétaires sans précédent , encore qu’il faille ne pas avoir une vision essentiellement négative, beaucoup de réalisations dans les infrastructures et logements, mais avec des surcoûts . Cette politique de distribution de salaires sans contreparties productives avec la faiblesse d’entreprises créatrices de valeur ajoutée a atteint ses limites.
Pourtant, l’Algérie, et sans chauvinisme, a les moyens surtout humains pour surmonter la crise multidimensionnelle passagère à laquelle elle est confrontée. Cela implique l’instauration une véritable société démocratique conciliant son authenticité, l’ouverture sur la modernité. La réussite de la nouvelle politique économique, implique que le pouvoir bienfaisant ou de bienfaisances inaugurées comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politique et qui efface tout esprit de citoyenneté active, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste et de justice. C’est la norme du droit qui reprend sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté. Car, c’est seulement quand l’Etat est droit qu’il peut devenir un Etat de droit. Quant à l’Etat de droit, ce n’est pas un Etat fonctionnaire, qui gère un consensus de conjoncture, mais un Etat fonctionnel qui fonde son autorité à partir d’une certaine philosophie du droit d’un coté, et à partir d’une assimilation consciente des besoins présents de la communauté et d’une vision future de ses perspectives.
4.-En résumé, l’Algérie doit donc s’adapter aux nouvelles mutations géostratégiques politiques, militaires, sécuritaires, sociales et économiques au sein d’un monde en perpétuel mutation. Ayons une vision positive car la société algérienne est appelée à connaître des recompositions sociales très importantes entre 2016/2025, différentes des anciennes alliances bureaucratiques rentières qui ont atteint leurs limites. Et ces nouvelles mutations auront comme soubassement les enjeux économiques, en fait le nerf de tout pouvoir et seront influencées par des facteurs externes et internes, devant éviter de plaquer des modes d’organisation importés, tenant compte de notre anthropologie culturelle. L’Algérie peut être un acteur de prospérité et de stabilité au niveau de la région euro méditerranéenne et africaine, conditionné par une nouvelle gouvernance tenant compte du nouveau monde en perpétuel mutation Elle peut en cas de non développement être aussi un acteur de déstabilisation de toute la région méditerranéenne et africaine. Continuer dans l’actuelle voie, sans savoir écouter croyant détenir seul le monopole du nationalisme et de la vérité, conduira le pays vers d’inévitables tensions sociales et droit au FMI, ce qu’aucun Algérien aimant son pays, ne souhaite. Et pour terminer LA CONFIANCE ET TOUJOURS LA CONFIANCE SANS LAQUELLE AUCUN DEVELOPPEMENT OU TOUT AUTRE ACTION NE PEUT SE REALISER, RENVOYANT AUX RELATIONS ETAT/CITOYENS EN FAIT A LA GOUVERNANCE. [email protected]
(*) Professeur des Universités, expert international