Cette campagne des députés du FLN contre la mesure à la veille de son entrée en application intrigue. Ces députés se placent-ils en porte-paroles des grossistes et des gros opérateurs du secteur informel qui ne veulent pas entendre parler du recours au chèque ? Est-ce une « menace » pour amener le ministre des finances à reculer une troisième fois*.
L’obligation de recourir au chèque pour les transactions de 1 million de dinars et plus est entrée officiellement en vigueur le 1er juillet. Il s’agit de la troisième tentative du gouvernement de faire entrer des pans entiers de l’activité commerciale dans le circuit bancaire.
Le décret exécutif n° 15-153 du 16 juin 2015 dispose que tout paiement égal ou supérieur à 5 millions de dinars pour l’achat de biens immobiliers et de 1 million de dinars pour l’achat de biens, de matériels ou de services doit être effectué par des moyens de paiements scripturaux à travers les circuits bancaires et financiers.
Les deux précédentes tentatives d’imposer le chèque pour les transactions supérieures à 50.000 DA en 2006 et 500.000 DA en 2011 se sont traduits par une retraite en rase campagne du gouvernement.
2011, le « complot ourdi » des « barons de l’informel »
Le recul de janvier 2011 est intervenu sur fond d’émeutes de jeunes à laquelle des hommes du pouvoir ont donné une lecture conspirationniste liée à l’obligation du recours au chèque pour les transactions commerciales.
Selon cette lecture, ce seraient les grossistes et les « barons de l’informel » qui auraient organisé une pénurie dans la distribution du sucre et de l’huile provoquant une hausse des prix… qui a conduit à l’émeute.
L’explication avait laissé plus que dubitatifs de nombreux observateurs qui soulignaient que les émeutiers, jeunes, n’étaient pas les plus sensibles à la hausse des prix mais exprimaient surtout un état de mal vie.
La thèse conspirationniste a permis surtout de justifier un nouveau recul dans la mise en œuvre de l’obligation du recours au chèque qui a été, selon un communiqué du conseil du ministre du 3 février 2011, « différée jusqu’à la réunion des conditions requises ».
C’est désormais officiellement le cas. Pourtant, à la veille de l’entrée en vigueur de la mesure, les députés du FLN se sont lancés dans un tir groupé contre le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, qui ne tiendrait pas compte du fait qui « ni la société », « ni les banques » ne sont prêtes à recourir au chèque.
Les députés du FLN en porte-parole de l’informel ?
Plusieurs députés du FLN sont intervenus dans les médias au nom du réalisme et au risque d’essuyer l’accusation de défendre la « chkara » (sac d’argent) voire d’être accusés d’être des députés « chkara » comme c’est le cas sur les réseaux sociaux.
Parmi ceux qui ont la dent dure contre le ministre des Finances est Mohamed Djemaa, député et hommes d’affaires (Essalam Electronics) et le député Baha Eddine Tliba qui, après avoir attaqué Louisa Hanoune, a été vertement remis à sa place par la secrétaire du PT qui l’a traité de « trafiquant », de « faussaire » ainsi que d’avoir « payé fort pour accéder à la députation ».
Mohamed Djemaa affirme que le ministre des Finances fait une fausse interprétation du programme du président. Le recours au chèque ne fait pas partie du programme, a-t-il affirmé dans un entretien à TSA, et sa mise en œuvre est « de nature à créer de la zizanie parmi les citoyens ».
Cette campagne des députés du FLN contre la mesure à la veille de son entrée en application intrigue. Ces députés se placent-ils en porte-paroles des grossistes et des gros opérateurs du secteur informel qui ne veulent pas entendre parler du recours au chèque ? Est-ce une « menace » pour amener le ministre des finances à reculer une troisième fois.
Si on ne le fait pas, « on ne sera jamais prêts »
Les arguments avancés sur l’impréparation des banques – le réseau des agences en Algérie reste faible – ne sont pas infondés. Mais, observent des experts, cette question du recours au chéquier fait partie des « réformes » qui ne peuvent se réaliser que si elles sont effectivement engagées. A défaut, on sera toujours dans le discours du « on n’est pas prêt ».
« Si les pouvoirs publics restent fermes, les banques s’adapteront, le circuit commercial aussi », estime un expert financier. Certains font observer que cette obligation du recours au chèque porte sur des montants relativement élevés et elle s’accompagne d’un projet « d’amnistie fiscale » qui permet aux « barons de l’informel » de « gagner la légalité » moyennant la modique ristourne de 10%.
La montée au créneau des députés du FLN laisse entendre que ces détenteurs de fonds gris ne semblent pas convaincus et n’entendent pas saisir la perche tendue.
(*) Cet article a été publié initialement par le Huffington Post Algérie.