Dans un document très élaboré présenté lors de la tripartite du 5 mars à Annaba, le Cercle de Réflexion et d’Action sur l’entreprise (CARE) critique la politique économique du gouvernement de M. Abdelmalek Sellal. CARE prône un « changement de paradigme » plutôt que des « rafistolages ».
Le texte était passé relativement inaperçu. Pourtant, lors de la tripartite tenue la semaine dernière à Annaba, la contribution du Cercle pour l’Action et la Réflexion sur l’entreprise (CARE) a littéralement étrillé la politique économique du gouvernement Sellal.
Sous un habillage soft, dans un style très mesuré, le document démonte le discours et l’action gouvernementale sur le terrain économique, et présente des alternatives, parfois très détaillées, comme c’est le cas pour l’économie numérique.
Le texte annonce la couleur d’entrée de jeu. Il s’agit de « revenir, une fois de plus, sur la nécessité d’accélérer la transformation en profondeur de l’organisation de notre économie. Non pas seulement pour faire face aux pertes de revenus occasionnés par la chute des prix sur le marché mondial des hydrocarbures, mais pour arrimer plus solidement notre pays à un monde que de formidables mutations technologiques et scientifiques sont en train de façonner sous nos yeux».
Il ne s’agit pas seulement d’introduire quelques mesures nouvelles, selon CARE, mais d’un « changement complet de paradigme ». « Ce n’est plus aux entreprises à s’adapter aux complexités des administrations qui régulent leurs activités, mais c’est à l’environnement économique et administratif de s’adapter aux besoins des entreprises et de leur compétitivité ».
Retards
CARE rappelle « avoir depuis longtemps plaidé l’urgence de ces réformes et le besoin vital de diversifier notre économie et la sortir de son addiction à la rente des hydrocarbures ». Tout en estimant qu’il « n’est pas trop tard pour commencer à afficher de légitimes ambitions pour l’avenir », CARE déplore « les retards pris » par l’Algérie.
Le gouvernement a-t-il la volonté de réformer en profondeur l’économie du pays ? Le document de CARE note que les mesures prises récemment s’inscrivent dans le cadre du nouveau modèle économique initié par le gouvernement, mais appelle à «arrêter définitivement de nous focaliser sur le prix du baril de pétrole ».
Pour CARE, il faut « considérer une fois pour toutes l’urgence absolue du cap vers la diversification de notre tissu économique, quand bien même ce prix du baril devait revenir à son niveau d’avant la crise ». D’ailleurs, CARE note qu’à part le volet budgétaire, le nouveau modèle économique «a été quelque peu oublié et n’a même pas fait l’objet d’une présentation publique, encore moins d’une adoption solennelle par les autorités économiques du pays ».
Non seulement il faut valider ce document sur le nouveau modèle de croissance, mais il faut « le compléter par des dispositifs opérationnels de nature à conférer une plus grande visibilité aux réformes qui vont devoir être engagées ».
Haro sur les restrictions administratives
CARE critique ouvertement la politique des licences mise en place pour maitriser les importations, affirmant sa préférence pour « une régulation par les mécanismes économiques et non par les restrictions administratives ». Pour CARE, «la propension à importer se résorbera d’elle-même dès lors qu’auront été supprimées les conditions qui la stimulent et la favorisent ».
CARE note d’ailleurs que les restrictions commerciales introduites récemment, «pour justifiées qu’elles soient sur le court terme, sont en porte à faux avec les engagements commerciaux extérieurs du pays.
Care propose à ce sujet des formules plus classiques, comme la dévaluation du dinar, la « réforme rapide et urgente » du système des subventions, « non pour les supprimer mais pour faire en sorte qu’elles soient orientées résolument vers le soutien à la production locale », la promotion de la concurrence et de mécanismes plus déterminés de lutte contre les monopoles internes et externes, l’arrimage de l’Algérie à l’économie mondiale.
Il critique « les interventions intempestives et directes » de l’Etat algérien « dans l’ensemble de l’économie nationale », affirmant que « l’interventionnisme tous azimuts et sans règles clairement établies est nuisible ».
Archaïsmes et rafistolages
De manière plus large, CARE appelle à construire « une Algérie ouverte au monde, loin de toute vision dogmatique ou idéologique ». L’économie algérienne a aujourd’hui besoin d’institutions qui, loin des archaïsmes et des rafistolages, la projettent dans le 21ème siècle et la débarrassent définitivement des oripeaux de cette bureaucratie d’un autre âge qui gangrène son fonctionnement au quotidien ».
Il préconise « ’abolition progressive de toute distinction entre entreprise privée et entreprise publique », et critique « les ressources budgétaires allouées au sauvetage perpétuel d’entreprises publiques auxquelles devraient s’appliquer pleinement toutes les règles prévues dans le Code de commerce ».
CARE plaide pour « un véritable projet d’arrimage au marché mondial, pour faire de l’Algérie « une plateforme de sous-traitance et de co-traitance internationale». Sans se prononcer clairement sur le 51/49, CARE estime qu’il « n’est pas raisonnable de libéraliser les échanges commerciaux, comme c’est le cas aujourd’hui, d’ouvrir le marché national aux exportateurs étrangers, tout en maintenant des barrières administratives face aux investisseurs internationaux ».
Le cercle d’action et de réflexion sur l’entreprise appelle aussi à « fixer un cap à des négociations d’accession de l’Algérie à l’OMC qui sont en état de déshérence depuis de longues années ». Selon CARE, on ne sait pas « quelle est la position effective de notre pays sur ce dossier majeur ». Dans ce contexte et compte tenu des enjeux de la relation aux marchés mondiaux, CARE propose l’ouverture d’un débat national sur le thème des engagements commerciaux extérieurs de notre pays pour les vingt prochaines années.