Algérie-Grèce : L'espoir est là où vivent encore des institutions (opinion) - Maghreb Emergent

Algérie-Grèce : L’espoir est là où vivent encore des institutions (opinion)

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Les notes publiques et confidentielles se sont multipliées pour conseiller au gouvernement algérien un nouveau cours d’économie. L’une des dernières en date, celle des professeurs Raouf Boucekkine et Nour Meddahi, va un peu plus dans les détails des mesures à prendre. Une confirmation, un prix moyen du baril à 60 dollars en 2015 instaure la dictature du court terme dans le plan d’auto-ajustement. Comprendre, les réformes de diversification ne figurent pas dedans.

 

Mais comme toujours, le contenu des mesures de court terme dictent la suite. Dans le cas de la note de 10 pages rapportée par El Watan la semaine dernière, l’arbitrage de court terme des deux professeurs est de laisser filer un peu l’inflation pour se prémunir d’une hausse du chômage. Trois paquets de mesures suscitent déjà réactions et commentaires. L’une touche au contingentement des importations. L’autre à la réduction, puis à la suppression de certaines subventions. La troisième à la valeur du dinar qu’il faut baisser.

Le contingentement des importations est recommandé selon une méthode de différenciation par la TVA. Les produits importés, les moins essentiels, payent un taux plus élevé de TVA que les produits les plus nécessaires. L’autre type de contingentement conseillé se définit par les tarifs. Au-delà d’un plafond de valeur de produits importés, la tarification douanière augmente significativement. Les deux professeurs évoquent également, sans le recommander, un contingentement physique – premier arrivé premier servi – que l’OMC réprouve, mais que l’Algérie peut appliquer aussi, puisque pas encore membre de l’OMC.

Les mesures de limitation des importations ont leur effet entonnoir. Elles dépendent de l’administration dans chacune de leur phase. Qui délimitent les deux – ou trois ou encore plus – catégories de produits pour des TVA différenciées ? Qui gère les plafonds de valeurs importés et la pénalisation de leur dépassement ? Dans la remise à plat du système de la subvention les professeurs Boucekkine et Meddahi attaque de front le soutien au prix du carburant et à celui du sucre. Dans le premier cas, la résistance est politique.

Dans le second elle est mixte. Des intérêts privés sont liguées pour maintenir la subvention du sucre, laissant circuler l’idée que le peuple est prêt à s’insurger si ce prix était rapproché de sa valeur d’importation. De sorte que la résistance à l’ajustement du prix du sucre est également prise en charge par des députés. Les 10 pages de la note des deux professeurs débouchent finalement sur une question récurrente: quelle est l’organisation institutionnelle nécessaire pour conduire l’auto-justement ? Et là le constat est mortellement rédhibitoire. L’Algérie de la fin de l’ère Bouteflika n’a plus d’institutions pour conduire le changement.

– Le problème est mieux cerné. Les mesures d’auto-ajustement anti-crise existent. Les institutions pour les conduire n’existent pas. Ce constat dépasse en vérité la configuration politique actuelle. Si après Bouteflika, devait survenir dans les semaines ou les mois prochains, une coalition de gouvernement alternative à l’actuelle, la capacité managériale à mettre en œuvre un auto-ajustement resterait problématique. L’impulsion politique peut se diluer dans le marécage d’une résistance administrative. Résistance alimentée, ou pas, par des intérêts privés. Une grande partie des mesures unanimement proposées par les experts et les think-tank sont menacés de ne pas dépasser le stade de l’amendement législatif ou du nouveau règlement. D’où cette nouvelle urgence.

– Penser le chemin institutionnel qui permet, sur la quête de la réforme, de contourner les sables mouvants des directeurs de cabinet, des secrétariats généraux, et des directeurs de la réglementation. Le modèle dans l’histoire de l’économie nationale est bien celui de l’équipe qui a, autour de Mouloud Hamrouche, confectionné les cahiers de la réforme après la baisse des prix du pétrole en 1986. Cette équipe a pris les commandes de l’Exécutif en septembre 1989 et a dynamité une bonne partie de la muraille institutionnelle hostile au changement. Seul point commun avec le contexte actuel, la baisse des cours du brut.

Pour le reste, Bouteflika pense à sa succession lorsque Chadli a tout de même pensé au changement, au moins économique. Bouteflika se recentre à fond sur son frère, lorsque Chadli a pensé à déléguer. Et surtout Bouteflika pense avoir le temps grâce au FRR et aux réserves de change, lorsque Chadli était pris à la gorge avec le service de la dette extérieure. Les experts vont se mettre d’accord sur un tronc commun de mesures d’urgence. A quelles institutions en confier la mise en musique ?

– Le fait majeur de la semaine économique vient d’Europe en vérité. La Banque centrale européenne (BCE) a fini par lancer sa politique d’assouplissement quantitative, semblable à celle qui a permis au système financier américain de soutenir la reprise de l’activité aux Etats-Unis entre 2012 et 2014. Mario Draghi, le président de la BCE, a mis «la bazooka » en allant plus loin qu’attendu. La BCE va racheter tous les mois pour 60 milliards d’euros de titres de dettes. Ce sont les institutions financières de la zone euro, principalement des banques, qui vont en bénéficier. Les titres repris (à hauteur de 30% au maximum) cumulent titres souverains (Etats), titres privés (obligations sécurisées) et titres d’agences européennes.

C’est bien sûr un tournant dans la psychologie du traitement de la crise sur le vieux continent. La déflation devient l’ennemi à combattre. Les déficits publics, du coup, le sont un peu moins. La mesure de la BCE intervient juste avant le scrutin législatif grec qui va – si l’on en croit les sondages – marquer un autre tournant. Syriza, une organisation de gauche anti-austérité devrait être amenée à conduire un gouvernement en «rupture de pensée» dans la zone euro. Bruxelles (UE) et Washington (FMI) tiennent toujours entre leurs mains le sort de la Grèce.

Mais le geste de Draghi, qui a l’emploi en arrière-pensée, et celui des électeurs grecs, qui n’en peuvent plus du martyr du chômage, annoncent quelque chose. Un glissement symbolique des convictions. Le retour de la croissance en Europe se cherche un autre chemin que celui du seul retour à l’équilibre des comptes publics. En Europe une institution très forte peut permettre cette inflexion. L’Alternance démocratique.

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