Plusieurs quotidiens nationaux ont intégralement habillé ce jeudi leur page Une d’une publicité commune évoquant l’offre 4G de Djezzy. Une formule qui se banalise. Impensable avant la crise des journaux.
Les buralistes ont affiché des étals de journaux uniformes ce jeudi matin. L’opérateur de téléphonie Djezzy a acheté l’espace des pages Unes de plusieurs quotidiens pour le lancement de son offre 4G. Ainsi Le Quotidien d’Oran, Echourouk, Le Soir d’Algérie, Liberté et Compétition ont affiché sur toute leur page Une sur un fond rouge le message : « Djezzy change tout », en référence à une offre publique 4G mobile jugée « spectaculaire » par les spécialistes.
Ce n’est pas la première fois que les Unes de journaux nationaux sont cédées à des marques à des moments importants de leur vie marketing. La pratique se banalise. Elle était impensable il y a une dizaine d’année, tant l’espace rédactionnel de la Une était considéré comme un sanctuaire éditorial sacré dans la tradition de la presse papier. Cet espace a commencé à être grignoté en 2008, avec l’arrivée de la double bannière de bas de page lancée par l’agence représentante de Renault Algérie. C’est la même marque qui a initié l’achat de la page Une complète en 2012 pour le lancement de la Clio4 en Algérie. D’autres marques se sont ensuite engouffrées dans la brèche : Toyota dans l’automobile, Condor dans l’électronique, ou déjà, Djezzy dans la téléphonie en 2014.
La Une coûte entre 2 et 3 millions de dinars
« L’acquisition de la totalité de la page Une d’un quotidien national se négocie entre 2 et 3 millions de dinars selon l’audience du média et sa politique tarifaire en publicité », a expliqué à Maghreb Emergent un directeur média dans une agence de communication qui a déjà eu à traiter ce type de campagne « agressive » pour d’autres marques. « Il y a des journaux qui refusent », a confirmé cette même source, sans préciser lesquels : « Ce qu’il faut savoir c’est que les retombées d’une telle campagne sont généralement bonnes. Cela peut être critiqué mais les clients annonceurs que nous représentons sont souvent satisfaits de ce choix et les journaux bénéficient d’un revenu conséquent dans un contexte de désinvestissement publicitaire des grands annonceurs traditionnels sur la presse papier. »
Un autre publiciste a évoqué le fait que cette pratique d’acheter une couverture ou une « sur-couverture » était fréquente dans l’industrie de la publicité ailleurs dans le monde. En Algérie, elle est admise par un directeur de journal à la retraite, comme « le marqueur de la dégradation de notre modèle économique basé sur des ventes au kiosque qui déclinent et des revenus publicitaires qui suivent le même chemin ». Et d’ajouter : « Je suis quelque part un peu chanceux d’avoir quitté mes fonctions avant d’avoir à affronter ce dur arbitrage : accepter ou refuser de vendre ma page une. »
« Mobilis et Ooredoo ont mis 2 millions de dollars chacun chez Facebook et Youtube »
L’autre observation qu’a suscité la campagne Djezzy en mode page Une est, bien sûr, le décalage entre le recours massif à la presse papier et la promotion d’une offre Internet mobile en 4G qui renvoie aux utilisateurs digitaux. Djezzy peut se défendre d’être devenu ces deux dernières années l’un des annonceurs les plus actifs en mode digital.
« Le problème n’est pas tant d’avoir consacré ou pas un grand budget promotionnel à la presse papier, c’est de savoir si les budgets digitaux des annonceurs algériens qui veulent communiquer sur le numérique vont au bon endroit », affirme le directeur média déjà cité : « J’ai entendu des montants importants investis par Mobilis et par Ooredoo en digital sur Facebook et Youtube. On parle de 2 millions de dollars pour chacun. Cet argent n’a pas profité à l’écosystème de l’édition numérique en Algérie. »
Une instruction du Premier ministre a réagi la semaine dernière à ce phénomène, rappelant aux institutions à capitaux publics l’interdiction d’acheter des espaces publicitaires en devises. Il n’en demeure pas moins que Mobilis, qui souhaite depuis longtemps développer une présence sur les sites web algériens, est bloqué par une autre directive du gouvernement. L’opérateur public, comme toutes les entités publiques, doit passer obligatoirement par l’Anep, le monopole public de la publicité institutionnelle, pour placer sa communication. Or l’Anep ne reconnaît pas les médias électroniques ; toujours sans statut « légal » en 2016.