Tout en pointant la responsabilité de l’administration dans le retard du démarrage de l’économie algérienne, l’auteur de cette contribution estime que les chefs d’entreprises algériens en sont également responsables. La Silicon Valley, rappelle-il, « n’a pas été conçu par le gouvernement californien et encore moins par Washington ». Et de s’interroger : « Pourquoi donc les PME restent-elles toujours en attente des dispositions législatives au lieu de s’organiser autour de projets structurants, ouvrant le capital aux investisseurs aussi bien nationaux qu’étrangers ? »
Nous observons, écoutons, entendons et lisons un peu partout, dans la presse, à la télévision, à la radio et dans les journaux électroniques, une multitude de propositions et de suggestions sur les actions que devrait entreprendre le gouvernement pour opérer ce changement, diversifier notre économie.
Intégrer une économie de production suppose une mobilisation de ressources interactives où chacun doit assumer son rôle et ses responsabilités, et le renforcement des instances judiciaires pour en officialiser l’arbitrage.
Il est vrai que dans notre situation, le premier signal doit être émis par le pouvoir politique, détenteur actuel de tous les leviers de l’économie nationale, elle-même basée sur la rente des produits énergétiques. La volonté politique pour lancer ce chantier consiste essentiellement à recadrer l’administration afin que l’entreprise puisse s’employer et se consacrer pleinement à l’acte de gérer, celui d’investir, de se développer et de s’émanciper, touts azimuts.
En économie, l’acte d’entreprendre est très simple : il y a un marché, une offre et une demande, et c’est à l’opérateur économique d’apporter son génie pour en tirer profit. Or, à l’heure actuelle, cette simplicité est complexifiée par un agent économique incontournable, en l’occurrence l’administration. Cette institution qui, au moyen d’autorisations, de contrôles, de vérifications, de lois et réglementations sans cesse changeantes, plombe l’environnement au point où il ne s’agit plus de pratiques d’activités économiques marchandes. Sur un autre plan, l’entreprise opérant dans le formel, pour assurer sa survie, utilise tous les moyens en travaillant dans le « gris » et en se livrant à des pratiques informelles, sous le silence toléré de l’administration. En Algérie je ne connais pas d’entreprise n’ayant pas de problèmes de trésorerie continus. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de système financier digne de ce nom, un système monétaire fermé, une administration rigide et une instabilité législative des plus incongrues.
Nous vivons une situation des plus complexes, avec, d’un côté, un gouvernement aux aguets, qui stresse, et n’a pas, pour le moment, les moyens de cette transition et de l’ouverture, et, d’un autre côté, des entreprises attendant, préparant, poussant et des économistes, experts et spécialistes qui multiplient les suggestions et propositions pour faire avancer les choses. La situation est intenable et tous ces acteurs commencent à s’impatienter, ne sachant pas que faire. Les opérateurs économiques attendent beaucoup du gouvernement, qui bien que voulant sincèrement trouver des solutions, se trouve dépassé par l’acuité de la crise et des réserves financières qui s’amenuisent de jour en jour. La problématique actuelle est donc : comment orienter le débat pour trouver une issue de sortie ?
Voici un rappel chiffré de quelques données économiques générales :
Désignation | Année 2015 |
Population PIB PIB par habitant Croissance du PIB Croissance Hors Hydrocarbure | 40 319 284 habitants au 01/01/2016 175,08 Milliards de dollars 4 345,43 Dollars 3 % 4,8 % |
Source : FMI
| 2011 | 2012 | 2013 | 2014 |
Part de l’industrie dans le PIB Part de l’industrie dans le PIB HH Part de l’agriculture dans le PIB Part des services dans le PIB | 52,7% – 8,6% 38,7% | 51,3% – 9,4% 39,3% | 47,8% 4,9% 10,6% 41,6% | 45,7% 5 % 11,1% 43,3% |
Source : Banque mondiale et ministère des Finances
L’entreprise doit comprendre que pour assumer sa mission, elle doit se mettre au diapason des normes internationales en faisant montre de sa capacité à intégrer un système productif normatif et mondialiste. De son côté le gouvernement doit admettre que sans le concours actif de l’entreprise privée, il ne réussira rien du tout et qu’il sera comptable de sa gestion des réserves financières si elles ne sont pas utilisées à bon escient : à savoir contribuer à développer et à mettre sur pied un système de diversification économique, sauvant ainsi la nation Algérie des dérives.
Certains experts et spécialistes ont bien identifié le dysfonctionnement et ils ont proposé des solutions probantes ; pourquoi leur message reste-t-il inaudible ? L’Algérie a besoin de capitaux étrangers, d’un minimum de 10 milliards de dollars pour assurer un plan d’investissement productif satisfaisant, et une croissance hors hydrocarbure à deux chiffres, pourquoi rien n’a été fait en termes d’attractivité de ces IDE ? Qu’est-ce qui bloque les entrepreneurs nationaux et les empêche de s’unir autour d’une stratégie commune dans le but de libéraliser l’économie nationale ? Qu’est-ce qui, en définitive, empêche la révolution « productiviste » en Algérie ?
La Silicon Valley n’a pas été conçu par le gouvernement californien et encore moins par Washington ; c’est l’œuvre d’entrepreneurs. Pourquoi donc les PME restent-elles toujours en attente des dispositions législatives au lieu de s’organiser autour de projets structurants, ouvrant le capital aux investisseurs aussi bien nationaux qu’étrangers ? L’Algérie de 2016 a besoin de ces regroupements d’entrepreneurs autour de projets. Ce n’est pas le rôle du politique d’imaginer, de produire et de réaliser les projets. Pourquoi cette inertie de la part de nos chefs d’entreprises ?
Les organismes professionnels, tels que les Chambres de commerce, les fédérations et autres associations servent à drainer des entreprises pour grossir leurs espaces dans le but d’émanciper le climat des affaires et faire du business, pourquoi ces acteurs ne jouent-ils pas ce rôle que leur statut leur confère?
Si je dois reprendre à mes questions je dirais qu’à l’heure actuelle:
– Les experts et spécialistes ne peuvent en aucun cas être écoutés s’ils ne sont pas issus d’un cartel ou d’organisation unis et déterminés.
– L’Algérie est un pays possédant toutes les capacités pour absorber ces IDE ; il manque la sécurisation des transferts de dividendes. Aujourd’hui, la loi 51-49% ne constitue pas véritablement un grand frein : le véritable handicap est le retour sur investissement (contrôle du change) ! Où en est le nouveau code d’investissement où, justement, il est clairement signifié qu’une disposition viendrait régler définitivement le problème du rapatriement des bénéfices ?
– Les opérateurs économiques n’arrivent pas à s’unir autour d’une stratégie qui les protègerait et les libèrerait, car il existe toujours des hésitations et un déficit de culture socio-professionnelle. L’investissement public et l’« Etat maître d’ouvrage » n’ont pas aidé à l’émancipation de ces cultures : c’est là un constat qu’il faut admettre, l’investissement public ne sera plus ce qu’il a été.
– A mon sens, une révolution « productiviste » doit se produire pour libérer les initiatives. Les entreprises doivent multiplier les appels à une libéralisation économique et à une libéralisation du marché et obtenir la limitation de l’interventionnisme de l’Etat. Notre révolution « productiviste» a pour objectif de produire en Algérie des biens et les étaler sur les marchés locaux et internationaux sans l’emprise, mais plutôt avec l’accompagnement de l’Etat, en intensifiant l’activité, en amplifiant ce foisonnement de projets. Je suis convaincu que cette dynamique conduira l’administration à s’adapter au contexte en pratiquant moins de bureaucratie. A ce titre, les entreprises algériennes doivent s’inscrire dans ces perspectives et cesser de penser que faire du business est une initiative individuelle.
– Les districts, les clusters sont, au départ, des initiatives venant des entreprises qui veulent agglomérer leurs activités, leurs savoir-faire sous différents formes et différents modèles. Les pouvoirs publics ont incontestablement leur rôle à jouer en venant parfaire et en améliorant le climat pour le rendre attractif. En Algérie, la région d’Akbou, où une agglomération spécialisée dans l’agro-alimentaire a vu le jour, est une initiative privée. Ces agglomérations et ces organismes professionnels constituent des supports pour initier des projets structurants, qui pourraient devenir des projets de types gestion de zones industrielles, transport et logistique, approvisionnement, distribution, etc. et qui serviraient le collectif ;
– Les organismes professionnels doivent jouer un rôle fédérateur autour de l’émancipation de l’entreprise algérienne, des bonnes pratiques de gestion, des effets relationnels et des valeurs qui grandissent l’entreprise, l’innovation, les nouvelles technologies, les connaissances et la compétitivité. Ceci les aidera à mieux affronter la concurrence et à avoir de la clarté dans la démarche de leur développement.
En conclusion, je voudrais dire que chacun des acteurs est dans le devoir d’assumer ses responsabilités, d’œuvrer par tous les moyens pour parvenir à créer une alchimie entre, l’entreprise, le pouvoir politique, l’administration et l’expertise. Cette approche systémique nous amènera, dans un premier temps, à débattre de la situation, sans masques et sans ambiguïtés, ensuite à trouver la solution dont le but est de dynamiser notre environnement économique. A travers cet exercice il n’y a ni gagnants ni perdants, il y a une nouvelle page de notre histoire qui s’ouvre, propre et praticable, meilleure que les soulèvements populaires.
Djamel –Eddine BOUABDALLAH, Economiste et Général Manager de SDG Group Algérie, Cabinet conseil international.