Le départ du général Toufik a provoqué des réactions en chaîne. Contradictoires. Un équilibre politique ancien est rompu. Il est censé laisser place à l’hyper-puissance présidentielle. Mais le pouvoir présidentiel est une régence. Crise.
L’impasse politique du 4e mandat de Abdelaziz Bouteflika était, en avril 2014, un pronostic largement partagé par les observateurs et l’opposition politique en Algérie. Il s’est réalisé en un peu plus d’un an. Deux accélérateurs. La chute des prix du pétrole, l’incapacité de Abdelaziz Bouteflika à inventer une gouvernance autre que la Régence au profit de son frère Saïd. La combinaison des deux est explosive. En un mot, ce qui pouvait « fonctionner » pour quelques mois au début de l’année 2014 – le temps de valider le 4e ticket aux urnes- avec des coffres du trésor public pleins, ne marche plus du tout dans la durée et dans la disette qui s’annonce. Dans un tel contexte, le clan présidentiel aurait pu choisir l’option de la redistribution des pouvoirs : révision constructive de la constitution, élections législatives anticipées, gouvernement de la majorité responsable devant le parlement. Daho Ould Kablia ancien ministre de l’intérieur et sorte de « DRS canal historique», est venu expliquer pourquoi cela ne peut pas être l’option de Abdelaziz Bouteflika : « La démocratie ne fait pas partie de sa culture ». Il restait alors l’option inverse : la concentration de plus de pouvoirs entre les mains de la présidence et de son « réseau gouvernant ». Cela passait par la fin de l’alliance stratégique avec le général Toufik et son hyper service de renseignement le DRS. La séparation a pris du temps et a été coûteuse en image. L’affaire de Zéralda, les débordements de l’affaire Général Hassan, ont créé un stress dans l’opinion publique algérienne déjà inquiète pour son avenir social. L’alignement des pouvoirs concentrés selon un axe présidence de la république – Etat Major de l’ANP- DRS a suscité deux réactions antagoniques, le soulagement et la panique. Le soulagement car la bataille a été tranchée pour un pouvoir unique qui éloigne le risque de division dans l’ANP. La panique car ce pouvoir unique qui concentre tout entre ses mains est encore plus informel qu’avant. Il est en fait une Régence. Un pouvoir délégué du président de la république vers son frère. Pour le général à la retraite Hocine Benhadid, ce pouvoir délégué ambitionne même de se reproduire institutionnellement sur cette base. Une faille de légitimité qui rend la gouvernance politique faible au moment où, fin de période économique oblige, elle a besoin d’être forte.
Les limites de la Régence premier virage vers l’impasse
L’impasse politique est donc là. Le président Bouteflika s’est de plus en plus exclusivement appuyé sur son frère pour rester à la tête de l’Etat. L’axe politique général Toufik- administration centrale – RND-Hamas- une partie du FLN qui pouvait entretenir l’illusion optique d’un partage de pouvoir de Bouteflika avec l’armée s’est lentement dissous. La gouvernance par la Régence s’est renforcée d’abord avant de coincer. Aujourd’hui elle est contestée au moins par l’inertie. Elle provoque de l‘entropie institutionnelle. Qui décide ? Le général Benhadid a quasiment fait don de sa personne pour alerter sur les risques à venir. Une succession familiale. Un risque qu’il a peut être exagéré, étant le premier à pronostiquer que « cela ne se produira pas ». Mais la seule tentative de le faire est porteuse de danger « car elle va diviser l’Algérie ». Le système de pouvoir algérien a, à l’automne 2013, reporté à plus tard une délibération clé : qui après Abdelaziz Bouteflika ? A ce moment de la délibération il existait encore une influence prépondérante de l’ANP pour arbitrer. Mais face au clivage publiquement assumé entre le chef d’Etat major Gaid Salah et le patron du DRS Mohamed Mediène dit Toufik, la décision en dernière instance est restée dans le camp présidentiel. C’est la genèse du 4e mandat de Bouteflika. « Un mandat fait pour Saïd » nous dit le général Benhadid (Entretien RadioM). Mais un mandat où le scénario de la gouvernance a brusquement changé. Le réseau clientéliste qui a permis de prolonger les années Bouteflika par delà tous les écueils politiques est devenu une surcharge. Il ne s’agit plus de distribuer des recettes fiscales pétrolières sous forme de budget et de transferts sociaux. Il faut inventer de la performance économique et donc institutionnelle. La gouvernance par la régence ne le peut pas. L’Etat profond le perçoit. La crise était intuitive depuis six mois. Avec les épisodes Benhadid et Rebrab de ces derniers jours elle devient explicite.
Si l’impasse perdure, alors un autre octobre…
Les algériens de plus de cinquante ans, ils deviennent nombreux dans la nouvelle pyramide d’âge qui se dessine, se souviennent bien de l’avant octobre 1988. Chute de la dépense publique et système politique bloqué ont donné en trois ans naissance au cocktail du 05 octobre. Une sortie par le haut a été possible durant les 03 ans de transition politique qui ont débouché finalement sur l’arrêt du processus électoral. Par de nombreux aspects la comparaison tient avec le scénario de ce début octobre 2015. Durant l’été 1988 une partie du FLN contestait un troisième mandat à Chadli Bendjedid. Sans avoir de vraies alternatives déclarées à l’intérieur du système. C’est l’irruption populaire qui a mis en route les autres options. Hors système. Si l’impasse dans laquelle est entré le système de gouvernance algérien perdure, la sortie se fera également par le retour actif des masses populaires dans l’espace public. Il ne s’agit ni de souhaiter ni de redouter cette évolution. Cela peut être salutaire ou catastrophique. Selon les acteurs et les circonstances. Il est par contre encore temps de travailler sur la sortie rapide de l’impasse politique. L’hyper pouvoir présidentiel sans président est un risque systémique encore plus aigu qu’une autocratie assumée par un président actif. Le mythe de surpuissance du général Toufik a longtemps pondéré l’équation. Son départ provoque un dénouement. La gouvernance en mode Régence est prise en flagrant délit d’abus de position de monopole. Au moment ou, au bout de 16 ans et cinq mois de présidence, Abdelaziz Bouteflika finit de liquider la pesanteur politique de l’ANP sur son pouvoir, il entre dans l’impasse qu’il s’est aménagé en voulant rester président à vie. L’Algérie n’a pas appris de ses années 80.