Algérie-La dépréciation de la cotation du dinar, reflet d’une économie rentière (opinion) - Maghreb Emergent

Algérie-La dépréciation de la cotation du dinar, reflet d’une économie rentière (opinion)

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Malgré une forte dévaluation du dinar ou dérapage du dinar, selon l’expression de la Banque d’Algérie, entre 1970/2015 nous avons toujours eu une économie foncièrement rentière montrant que le blocage est d’ordre systémique.

 

 

La dépréciation de la monnaie nationale ces derniers mois est due essentiellement à la baisse des prix de pétrole, selon l’agence de presse officielle APS citant un responsable auprès de la Banque d’Algérie. Ainsi, le FMI classe l’Algérie dans la catégorie dite de flottement dirigé où le cours du change de la monnaie nationale vis-à-vis des monnaies des principaux partenaires commerciaux est déterminé sur le marché interbancaire des changes où interviennent les banques commerciales et la Banque d’Algérie. Nous  pouvons alors parler de glissement et non de dévaluation. Or quelle différence pour les opérateurs économiques qui ont vu le cours du dollar passer de 79 dinars à plus de 98,95 (vente) sans compter aucune amélioration de la cotation par rapport à l’euro (109,89 à la vente). C’est encore une fois une vérité de la Palice d’affirmer que le cours du dinar est corrélé aux recettes des hydrocarbures en réalité aux réserves des changes provenant de cette rente. Comme j’ai eu à le démontrer depuis des années, si les réserves de change algériennes étaient  entre zéro et 20/30 milliards de dollars, l’euro s’échangeait sur le marché parallèle entre 300/400 dinars d’où l’importance de connaitre les mécanismes monétaires, objet de cette contribution.

1.-La monnaie, autant que les réserves de change, est un signe, un moyen et non un facteur de développement. Toute dévaluation, pour une économie productive, dynamise les exportations et toute réévaluation les freine. La valeur de la monnaie en tant que rapport social repose avant tout sur la confiance et sur le niveau de développement d’un pays. La monnaie à travers les systèmes financiers joue le rôle comparable au sang dans un corps humain. Dans les tribus anciennes, notamment d’Australie, comme l’ont montré les anthropologues, par exemple, les barres de sel ou tout autre symbole jouaient le rôle de monnaie afin de favoriser les transactions commerciales. Elle s’est toujours identifiée au pouvoir régalien du souverain, de l’Etat. Récemment, selon la définition de la majorité des manuels d’économie universelle, la monnaie est un instrument de paiement accepté de façon générale par les membres d’une communauté en règlement d’un achat, d’une prestation ou d’une dette. Elle peut remplir trois fonctions principales: la fonction d’intermédiaire dans les échanges, la fonction de réserve de valeur et la fonction d’expression d’unité de compte pour le calcul économique ou la comptabilité. Certains auteurs considèrent que la capacité d’éteindre des dettes et des obligations, notamment fiscales, constitue une quatrième fonction appelée « pouvoir libératoire » de la monnaie. Ces fonctions peuvent être assurées par différentes monnaies en circulation simultanée : la monnaie divisionnaire ou pièces de métal ; la monnaie de papier ; la monnaie scripturale et la monnaie électronique. Au niveau international existent des monnaies non convertibles et des monnaies internationales convertibles acceptées lors des transactions internationales. Ainsi, en moyenne, 65% des réserves de change des banques centrales étrangères sont détenues en dollars, contre seulement 25% en euros, surtout depuis 1971, du fait de la démonétisation du dollar vis-à-vis de l’or. Ce qui permet aux Etats-Unis de ressembler à une banque d’investissements qui se finance massivement en émettant de la dette tout en investissant en actifs risques étrangers (stocks, investissements directs). Cependant, il existe une tendance contraire à cette dominance actuelle, expliquant la guerre des monnaies qui se fera de plus en plus vivace, certainement entre 2015/2020 avec l’entrée du Yuan chinois.  Selon la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (Swift), l’entreprise spécialiste des transferts de données bancaires, le yuan renminbi est, durant le dernier trimestre 2014 devenu la deuxième monnaie des financements commerciaux, après le dollar et devant l’euro. Sa part est ainsi passée de 1,89 % en janvier 2012 à 8,55 % en octobre 2013.  L’on pourrait assister à une stratégie convergente à travers le duo USA/Chine, les bons de Trésor chinois représentant une part importante de la dette totale externe des Etats-Unis où une grande partie est libellée en dollars et les Chinois dépendant pour une grande fraction de leurs exportations des USA.

2.-La suprématie de la dynamique économique sur la dynamique sociale ( baisse du salariat dans le PIB ), de  la sphère financière sur la sphère réelle expliquent tant la crise mondiale de 1929, où, devant le manque de confiance, les ménages se sont précipités pour retirer leurs épargnes , accentuant la crise, que l’origine de la crise des prêts hypothécaires d’août 2007, où des titres ont été adossés qu’à des entrées virtuelles expliquant la crise d’octobre 2008. Avec la crise de confiance, les banques se sont retrouvées dans une situation où, comme dans un jeu de poker, elles savent ce qu’elles ont dans leur bilan, mais pas ce qui se trouve dans celui des autres, ces mauvais crédits immobiliers ayant été achetés un peu partout dans le monde ne sachant pas quelle est la répartition du risque paralysant le marché interbancaire, les banques ne se prêtant plus ou très peu, craignant que leurs homologues ne soient dans une ligne rouge. La guerre des monnaies pourrait avoir de graves répercussions sur l’Algérie, dans la mesure où une fraction des réserves de change algériennes, estimées à 178 milliards de dollars au 31/12/2014 sont placés à l’étranger. Ainsi existent trois options pour les réserves de change algériennes : la première est de les garder dans les banques centrales occidentales, la deuxième option est de les injecter dans les circuits de développement, et enfin la troisième option est d’investir à travers la création de fonds souverains du fait de la faiblesse des capacités internes d’absorption. Certes le système financier algérien est déconnecté des réseaux internationaux qui expliquent le peu d’impact de la crise mondiale sur le système financier mais il ne faut pas s’en réjouir. Les banques algériennes sont actuellement des guichets administratifs, la bourse d’Alger n’étant pas une véritable bourse des valeurs ; Sonatrach qui représente la véritable richesse du pays n’étant pas cotée en bourse où souvent des entreprises publiques structurellement déficitaires, représentant plus de 90% des cotations, achètent des entreprises déficitaires ayant été renflouées grâce au trésor via la rente des hydrocarbures et les banques publiques représentant plus de 85% des crédits octroyés à l’économie. Aussi, malgré une forte dévaluation du dinar ou dérapage du dinar, selon l’expression de la Banque d’Algérie, entre 1970/2015 nous avons toujours eu une économie foncièrement rentière montrant que le blocage est d’ordre systémique.

3.-Quelles sont les  raisons de la différence entre la cotation du dinar sur le marché officiel et sur le marché parallèle ? Je recense huit raisons. Premièrement, l’écart s’explique par la diminution de l’offre, du fait que la crise mondiale, combinée au décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l’épargne de l’émigration. Cette baisse de l’offre en devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne, localement et à l’étranger, qui fait transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie. Cela montre clairement que le montant du marché parallèle de devises est bien plus important que l’épargne de l’émigration. Il existe des grossistes et des détaillants qui à travers des réseaux internationaux et locaux obéissent à des règles précises face à la demande. Deuxièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire. Par ailleurs, beaucoup d’opérateurs étrangers utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises à travers leurs employés algériens-ils ont droit a droit à 7 200 euros par voyage transféré. Troisièmement, la plus forte demande provient des agences de voyages qui, à défaut de bénéficier du droit au change, recourent aux devises du marché noir, étant importatrices de services. Quatrièmement, la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d’une minorité rentière) et 65% des segments de différents marchés entretiennent une intermédiation financière informelle loin des circuits étatiques. Nous avons une économie où prédomine le cash du fait que le citoyent garde chez lui du liquide, ou que la majorité des segments de l’économie fonctionne sur des principes en dehors du droit tel que défini par l’Etat. Or, en Algérie où domine la monnaie fiduciaire, la monnaie électronique étant presque inexistante, une méfiance de la monnaie scripturale (sans compter qu’il faut attendre des mois pour avoir son chéquier et réaliser une transaction entre deux wilayas). Cette extension trouve un terrain propice pour des raisons tant économiques que cultuelles, la majorité des opérateurs surtout privés et les ménages commercent entre eux en cash. Cela facilite l’évasion fiscale et la corruption alors que la règle de base de l’économie de marché se fonde sur deux postulats, le contrat et le crédit. Sans une intégration intelligente de cette sphère, loin des mesures administratives autoritaires (d’où les effets mitigés du contrôle des prix), les dernières mesures de traçabilité, exigeant le paiement par chèques seront d’un effet très limité. Cinquièmement, l’écart s’explique par le passage de la Remdoc au Crédoc, crédit documentaire  qui a largement pénalisé les petites et moyennes entreprises ;  pour éviter les ruptures d’approvisionnement, ces PME ont dû recourir au marché parallèle de devises. Le gouvernement a, certes, relevé à 4 millions de dinars (cours officiel 1 euro pour environ 110 DA) la possibilité du recours au paiement libre pour les importations urgentes de matières premières ou de pièces de rechange, mais cela reste insuffisant. Sixièmement, Banque d’Algérie parle de glissement du dinar pour voiler l’importance du déficit budgétaire, biaisant les comptes publics. En dévaluant le dinar par rapport au dollar, nous aurons une augmentation artificielle de la fiscalité des hydrocarbures, qui fluctuent en fonction des cours, entre 60 et 70% du total, fondement d’une économie rentière. C’est aussi le cas  pour les importations libellées en monnaie étrangère-les taxes douanières se calculant sur la partie en dinars-, cette dévaluation accélère l’inflation intérieure. Septièmement, la faiblesse de la productivité du travail renforcée par le versement de salaires sans contrepartie productive du fait que l’Algérie a une capacité productive très faible que l’on comprime par les subventions et les transferts sociaux, plus de 60 milliards de dollars en 2014 soit 28% du PIB. Huitièmement, comme résultante de l’ensemble des facteurs cités, l’écart s’explique par le niveau d’inflation qui ne peut être compris qu’en analysant d’abord la productivité du travail et les liens dialectiques entre le développement, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales. Pour se prémunir contre l’inflation, et, donc, la détérioration du dinar, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. C’est un choix de sécurité dans un pays, où l’évolution des prix pétroliers est décisive où beaucoup de responsables achètent à l’étranger, se mettant dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers.

En résumé, il est souhaitable d’ouvrir un large débat national concernant la gestion de la rente des hydrocarbures, afin de préparer l’après pétrole. Nos ressources en hydrocarbures traditionnels vont s’épuiser dans 15/20 ans, dans le cas du scénario le plus optimiste.

(*) Professeur des Universités Expert international, Dr Abderrahmane MEBTOUL ancien directeur d’Etudes Sonatrach-Ministère-Energie 1974/2006 / ademmebtoul@gmail.com

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