Dans cet entretien, le porte-parole de la Coordination nationale de soutien à Cevital revient sur les abus dont est victime le plus grand investisseur du continent africain, la flagrante discrimination qu’il subit malgré son immense apport aussi bien en termes de fiscalité, de création d’emplois et de richesses au pays.
Maghreb Emergent : Le Groupe Cevital a trouvé un terrain en dehors du port de Béjaia pour implanter son usine de trituration de graines oléagineuse comme il lui a été exigé. Mais la Direction du Port de Bejaïa interdit toujours à Cevital de décharger ses équipements et de lancer son projet. Quel est le motif évoqué officiellement ?
Mourad Bouzidi : Aucun à ma connaissance. La seule justification avancée est la saturation du port de Béjaia. Or, comme vous le dites si bien dans votre question, le projet sera implanté sur une propriété de Cevital, située dans une zone industrielle, à l’extérieur du port de Bejaia. Je tiens tout de même à préciser que ce même DG du port qui avance comme raison du blocage la saturation de l’assiette portuaire, annonce sur le site internet de l’EPB dans le schéma directeur du port de Bejaia une extension de 68 ha. Il y a lieu de préciser qu’il n’existe aucun texte de loi permettant au directeur du port d’exiger la destination et l’utilisation finale des équipements.
L’EPB ne dispose d’aucune qualification ni aucune prérogative pour exiger une quelconque autorisation concernant un investissement. Sa seule et unique mission est de veiller à assurer le transfert des marchandises qu’elle reçoit et cela indépendamment de leur destination finale ou des réalisations auxquelles elles sont dédiées. L’EPB est une société publique de services portuaires, à caractère commercial et à ce titre elle gère les flux de marchandises entrant et sortant du port de Béjaïa. Les seules informations qu’elle est habilitée à demander dans le cadre d’une opération de déchargement de marchandises ou d’équipements sont clairement explicitées dans l’article 73 du décret 02-01 du 06 janvier 2002. Ces informations à caractère logistique permettent simplement au port d’attribuer le bon poste à quai et de planifier les moyens et la durée du déchargement. Il est aussi utile de rappeler que le projet de l’usine de trituration de Cevital est en totale conformité avec les normes juridiques et techniques en vigueur dans le pays. Il a reçu la validation de l’ensemble des instances ayant pour vocation la régulation et la promotion des investissements.
Qu’est-ce que le blocage de ce projet coûte à Cevital, à Bejaïa et à l’économie algérienne ?
Au-delà de Cevital, les pertes sont énormes pour la région et toute l’économie algérienne. Ce projet est censé générer 1000 emplois directs, mais aussi 100 000 emplois indirects dans le secteur de l’agriculture. Notre région a besoin de ces emplois qui risquent aujourd’hui de partir en fumée à cause d’un blocage injustifié.
Ce blocage impacte négativement et directement la région de Béjaia, en la privant de dizaines de milliers d’emplois et d’une source d’imposition non négligeable. Béjaia enregistre, faut-il le rappeler, un taux de chômage très élevé. Avec ce blocage, quel est l’investisseur qui va encore s’aventurer à envisager de se s’installer à Béjaia ou même de simplement penser à faire débarquer ses marchandises dans le port de Bejaia, sachant qu’il aura à faire à un directeur de port qui bloque les investissements et qui traite de manière aussi indécente le plus grand investisseur du continent, pour reprendre les termes mêmes utilisés par le premier ministre. La persistance de ce blocage apparait pour le moins problématique. Elle est d’autant plus incompréhensible qu’un projet de même nature, trois fois moins performant et curieusement quatre fois plus coûteux, est érigé à l’intérieur même de l’enceinte portuaire de Djendjen, dans la wilaya de Jijel, avec en prime faveurs et largesses des autorités. Quel sens donner à cette différence de traitement ? À quoi répond cette politique de deux poids deux mesures ?
En ce qui concerne l’économie nationale, les impacts de ce blocage sont plus que désastreux. Notre système économique est au bord de l’effondrement et le seul moyen pour le sauver est d’aller vers une économie diversifiée, fondée sur l’encouragement des investissements privés. Le Président de la république est lui-même d’accord avec ce constat ; d’où le caractère aberrant de cette situation. Ce projet assurera les besoins de notre pays en matière d’huiles végétales brutes et de tourteaux de soja, entièrement importés aujourd’hui pour un coût de 1,5 milliards de dollars par an. Il contribuera ainsi grandement à la sécurité alimentaire de notre pays, un enjeu dont l’importance n’est plus à démontrer. Mieux encore, avec ce projet, l’Algérie pourra enfin prétendre au statut d’exportateur en dégageant un excédent de 1,5 millions de tonnes qui sera destiné aux marchés extérieurs et pour une valeur de 750 millions de dollars. Au total, la balance de paiement du pays bénéficiera chaque année de 2,25 milliards de dollars.
Il y aussi le projet de grand complexe touristique qui est bloqué pour des histoires de conflits entre ceux qui sont supposés être les vrais propriétaires du terrain où il doit être implanté et ceux qui le sont effectivement. Qu’en est-il en vérité ?
Ce projet est censé générer 4000 emplois directs, mais aussi des centaines d’autres indirects dans le secteur du tourisme. Son blocage est d’une autre nature. Cevital a acheté en 2014 le terrain en question en bonne et due forme à la famille Tamzali qui le possédait depuis bien longtemps (1950). Du jour au lendemain, des individus d’une autre famille, dont on peut facilement deviner les motivations, se sont présentés comme les propriétaires du terrain et ont fait opposition au projet ! L’affaire est actuellement en justice.
Les projets de Cevital sont bloqués quasi systématiquement et pas seulement à Béjaia. L’usine de trituration des graines oléagineuses et le complexe touristique de Béjaia, l’affaire NCA Rouiba, Michelin, El Khabar, en sont la parfaite illustration. Pensez-vous qu’il ya une vraie volonté de détruire Cevital ? Si oui, pourquoi ?
Je dirais plutôt qu’il y a une volonté de bloquer Cevital. Et comme vous, j’aimerais bien comprendre pourquoi ! Voici quelques indicateurs économiques sur le trafic portuaire généré par Cevital, meilleur client du port de Bejaia. Les statistiques en notre disposition indiquent que le volume généré par le groupe Cevital est le suivant : Importations conteneurisées, 10% du volume réalisé par le Port de Bejaia (via BMT) ; Exportations conteneurisées, 90% du volume réalisé par le Port de Bejaia (via BMT) ; volume tous types confondus import/export (conteneurs, vrac solide, vrac liquide, conventionnel, …) hors hydrocarbures, plus de 45%. Le bon sens voudrait que le DG du port et le gouvernement encourage la vocation agroalimentaire du port et de toute la Wilaya, mais force est de constater qu’il y a comme une volonté de détruire cette filière à Bejaia. Les Algériens doivent savoir que grâce à Cevital qui tourne avec un effectif 100% algérien, l’Algérie dispose de la plus grande raffinerie de sucre au monde, et de la plus grande raffinerie d’huile en Afrique et en Europe. C’est une fierté pour nous et un gage d’espoir pour notre jeunesse.
Pour ce qui est des projets que vous venez de citer, je ne les connais pas tous dans le détail. Permettez-moi juste de rappeler que le projet d’El Maghra dans la daïra de Tichy n’est pas, comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer tout à l’heure, bloqué par la justice. A propos de justice, je constate que Cevital a respecté la décision qui a été rendue dans le dossier El Khabar.
Votre mobilisation et votre travail pédagogique en direction de l’opinion a réussi à poser les termes d’un vrai débat sur la situation économique du pays, l’environnement dans lequel évoluent les hommes d’affaires algériens et les blocages qu’ils subissent de la part de tenants du système rentier. Quel bilan faites-vous de votre mobilisation en faveur du déblocage des projets de Cevital ?
Depuis notre structuration en comités de soutiens puis en coordination nationale, nous n’avons pas cessé de dénoncer ce crime économique, par tous les moyens (Communiqués, déclarations, rassemblements, marches..). Wali, ministres, premiers ministres ont tous été interpellés. Ils se sont tous refugié dans un silence assourdissant. Seul le premier responsable de l’EPB s’est manifesté par un dépôt de plainte, pour « diffamation », contre ma propre personne en ma qualité de porte-parole de la coordination des comités de soutien. Notre coordination s’est adressée dernièrement par le biais d’une lettre ouverte au président de la république en sa qualité de premier magistrat du pays pour lui demander de faire respecter la règle de droit et mettre fin à l’arbitraire et à l’abus. Nous attendons de lui un signal fort de soutien au secteur productif, surtout en cette période de baisse des recettes des hydrocarbures.
L’opinion publique nationale a été sensibilisée et elle est acquise à notre cause. Partout où nous sommes allés les citoyens que nous rencontrons nous expriment leurs soutiens et nous prient de ne pas baisser les bras et de continuer la lutte. Les termes du débat, autour du développement économique local, régional et national, que nous avons réussi à poser sont partagés par tous. Le droit au travail, la liberté d’entreprendre, le déblocage des projets d’investissements font désormais partie intégrante des préoccupations des citoyens et des principaux échanges entre eux.
Des hommes politiques, toutes tendances et sensibilités confondus, des syndicalistes, des intellectuels de haut rang ont salué notre combat et ont apporté leur soutien. Des soutiens précieux qui nous honorent, nous confortent dans nos convictions et nous donnent de nouvelles forces pour aller de l’avant et continuer notre combat jusqu’à ce que les obstacles dressés devant le groupe Cevital et les opérateurs économiques soient levés.
Quelles sont vos priorités dans les semaines et les mois qui viennent ?
Par notre mobilisation, nous avons l’ambition de construire un consensus national autour du soutien aux travailleurs de Cevital et au déblocage des investissements du plus grand investisseur du continent. Il s’agit dans un premier temps de gagner la bataille de l’opinion national par un travail d’explication et de sensibilisation continu et constant et de créer ensuite le rapport de force nécessaire pour imposer le déblocage des investissements de Cevital et la sauvegarde de ses emplois. Ce rapport de force national se construit partout et principalement dans la rue. Il se fera en gagnant l’adhésion du peuple algérien à la dynamique de soutien aux travailleurs de Cevital, par une solidarité nationale et internationale (les Algériens de l’étranger) pour faire reculer les prédateurs et les lobbys criminels qui agissent dans l’ombre pour briser Cevital et notre région. Nous souhaitons créer une solidarité nationale autour des questions relatives au droit d’investir et de créer de l’emploi. Cette solidarité dépasse tous les clivages et va renforcer l’unité nationale.
Les plus hautes autorités du pays, par leur silence sur le dossier de Cevital, qui est vécu comme un silence coupable et qui risque de devenir complice des lobbys destructeurs de l’investissement productif, doivent réagir vite et de manière ferme pour débloquer les projets de Cevital et rendre sa place à ce groupe, qui fait la fierté de notre pays à l’étranger. Leur silence ne fera qu’accentuer le sentiment de ségrégation, de régionalisme et de favoritisme économique qui prévaut dans notre région. Nous connaissons les chiffres sur la répartition de la richesse dans notre pays et je peux vous dire que c’est la porte grande ouverte au sentiment d’exclusion de notre région de la collectivité nationale. Que voulez- vous que les citoyens de Béjaia pensent quand ils constatent que les seuls investissements économiquement visibles et politiquement lisibles dans notre wilaya sont orientés vers des infrastructures dédiées à la répression : une base de la gendarmerie, une école des cadets, une prison et un asile psychiatrique à Oued Ghir. Que doit-on conclure quand tous les citoyens de Bejaia constatent que trois mille milliards de centimes de projets structurants sont gelés. Oui, nos gouvernants et décideurs sont plus que jamais interpellés pour assumer leurs responsabilités devant l’histoire, il est clair que c’est à partir de la gestion actuelle de cette affaire de Cevital que déprendra la crédibilité de la politique économique du gouvernement. La Kabylie regarde, l’Algérie regarde et le monde aussi.
En ce qui nous concerne, nous allons mobiliser toutes nos forces pour créer ce rapport de force favorable à la construction de cette solidarité nationale de soutien aux travailleurs de Cevital, solidarité qui sera le ciment nécessaire à une Unité Nationale sincère et juste envers tous les Algériens sans exclusion. Quand j’apprends que de hauts décideurs de la politique économique du pays reprochent à de quelques rares investisseurs audacieux de vouloir investir en Kabylie, je ne peux qu’être scandalisé et inquiet pour l’avenir de mon pays. Les Kabyles ont assez d’être désignés comme une menace permanente à l’unité nationale bien au contraire ils souhaitent vivre dans une Algérie unie par ses hommes et femmes, son histoire, sa richesse et dans le respect de sa diversité culturelle, linguistique, sociologique, politique et économique.
Devant la gravité de cette situation, le Président de la République doit agir vite et de manière ferme pour mettre un terme aux abus outrageants dont se rend régulièrement coupable le DG du port de Béjaia. Abus à la fois dangereux pour la stabilité et la sécurité alimentaire de notre pays et très préjudiciable pour l’image de l’Algérie à l’étranger. Pour terminer, je lance un appel à tous les Algériens, à tous les travailleurs tous secteurs confondus, à tous les industriels et investisseurs, à tous les commerçants, à tous les acteurs politiques et associatifs à tous les artistes et surtout à tous les étudiants et à tous les chômeurs à investir massivement nos comités de soutien pour défendre l’emploi et l’investissement et à crier, avec nous haut et fort: Non au sabotage de Cevital et de l’Algérie.