Le ministre des Finances a présenté un document évoquant le rééquilibrage du PIB et l’amélioration de la fiscalité ordinaire à travers l’encouragement de l’investissement, etc. Mais ce document n’a pas encore été rendu public et ne le sera pas visiblement de sitôt.
La « montagne a accouché d’une souris », a-t-on pu lire dans la presse nationale, entre autres commentaires désabusés. La présentation du « nouveau modèle économique de croissance (2016-2019) » par Adelmalek Sellal, à l’occasion de la dernière tripartite, a provoqué une évidente déception chez la plupart des observateurs. Sur Radio M, Abdelkrim Boudraa, porte-parole de Nabni, traduisait mardi dernier ce sentiment de déception très répandu : « On s’attendait à ce que le gouvernement mette en place un plan d’action chiffré, avec une responsabilisation des acteurs, le tout soumis à un calendrier. Cela n’a pas été le cas. ».
Peu de détails et peu de chiffres, en effet, à propos du contenu du nouveau modèle. Tout au plus a-t-on annoncé qu’il a été élaboré par le gouvernement pour faire face à une situation économique « difficile » suite à la chute des prix pétroliers et que « l’objectif principal de ce modèle est d’aboutir à terme à des niveaux soutenables en matière d’équilibres du Trésor et des finances publiques ».
Le « document de la task force en question
En tant que participant à la tripartite, le représentant de Nabni est pourtant un peu moins frustré que la plupart des observateurs extérieurs, qui ont dû se contenter des communiqués officiels et du « texte intégral » de l’allocution du Premier ministre. Il qualifie les annonces faites par le gouvernement lors de la réunion tripartite de « positives », notamment les mesures annoncées par Abderrahmane Benkhalfa , qui n’ont été relayées par aucune source officielle, et qui visent selon Abdelkrim Boudraa à « restituer sa souveraineté au marché, à diversifier l’économie, à encourager les partenariats public-privé, etc. ». « Abderrahmane Benkhalfa a présenté une synthèse d’un document préparé par une task force. Cette synthèse contient des éléments très intéressants, dont le rééquilibrage du PIB et l’amélioration de la fiscalité ordinaire à travers l’encouragement de l’investissement », précise encore Abdelkrim Boudraa qui, toutefois, déplore que ce document n’ait pas encore été rendu public : « Il est la propriété intellectuelle des membres de la task force il doit être publié ; ensuite, au gouvernement de prendre les décisions qui s’imposent », estime le porte- parole de Nabni.
Un « travail d’expert rédigé sur un coin de table » ?
Ce n’est manifestement pas la démarche privilégiée par le gouvernement. Le nouveau modèle économique promis pour le mois d’avril par le Premier ministre se fait attendre. Pourquoi un tel retard ? Pour les mieux disposés à son égard, le gouvernement est en train de « peaufiner sa copie ». « Il ne veut pas se lier les mains par un programme assorti d’objectifs et d’échéances précises », affirment les autres.
L’explication la plus convaincante est, sans doute, ailleurs. Tout se passe comme si l’équipe Sellal semblait s’être rendu compte chemin faisant que, compte tenu de ses ambitions et des bouleversements qu’il est susceptible de provoquer dans la gestion des affaires économiques du pays, un nouveau modèle économique ne peut pas être juste « un travail d’experts rédigé sur un coin de table » selon l’expression heureuse d’un commentateur.
Les partenaires sociaux se font prier
On a donc commencé par retarder l’ « examen du nouveau modèle » jusqu’à la Tripartite du début de semaine qui était censée « endosser » les nouvelles orientations économiques prônées par le gouvernement. Malheureusement, les choses ne se sont pas passées aussi simplement et même la réunion préparatoire à la tripartite programmée à la fin du mois de mai avec les partenaires sociaux n’a pas donné les résultats escomptés.
A l’occasion de la Tripartite, Abdelmalek Sellal s’est donc contenté d’indications générales à propos d’une politique budgétaire désormais « basée sur plus d’efficience de la dépense publique et (qui) doit reposer sur la maîtrise des coûts, le respect des objectifs et un nouveau mode de financement de l’économie, conférant une place importante aux ressources du marché, aux épargnes disponibles et aux financements extérieurs préférentiels ».
Sur le sujet sensible des subventions, le Premier ministre a pris la précaution d’affirmer que « l’impératif de justice sociale constitue une ligne directrice intangible dans l’action de l’exécutif ». Mais c’était pour ajouter aussitôt, et c’est quand même la grande nouveauté, que « cette vision préservera les acquis sociaux mais pour ceux qui en ont besoin ». Il a aussi laissé filtrer quelques rares données chiffrés à propos d’un objectif très consensuel : « les produits hors hydrocarbures vont grimper à 9% du total de nos exportations dès la fin 2016…. . »
Explications d’une source proche du dossier à propos de l’absence d’informations plus précises : « Les experts ont fait leur travail mais le projet n’a pas encore été approuvé par les partenaires sociaux ni adopté officiellement par le gouvernement. » De nouvelles réunions sont donc programmées dans les prochains jours pour préciser la mouture finale du projet qui sera soumis à l’approbation du gouvernement, sans doute dans le cadre d’un Conseil des ministres présidé par le Chef de l’Etat lui-même ….
Les principaux enjeux du nouveau modèle
Très réticentes à livrer des informations précises dans ce contexte particulier , nos sources évoquent néanmoins quelques objectifs généraux. Pour ses promoteurs, le nouveau modèle économique va donner de la visibilité à l’action du gouvernement et « éclairer l’avenir » de l’économie algérienne en soulignant les enjeux principaux auxquels elle est confrontée.
Le premier, et certainement le plus urgent, est de rétablir des équilibres financiers et budgétaires qui étaient déjà fragiles avant la chute du baril et que la crise des marchés pétroliers a plongés dans des déficits abyssaux.
Pour l’instant, la politique économique mise en œuvre par le gouvernement s’est principalement traduite par…la consommation de nos réserves financières. Les dernières prévisions livrées par le FMI dans ce domaine n’ont rien de rassurant. Des déficits budgétaires supérieurs à 15% du PIB jusqu’en 2017, des déficits de la balance des paiements supérieurs à 30 milliards de dollars au moins pour les deux prochaines années, des réserves de change en chute libre et réduites à un peu plus de 90 milliards de dollars fin 2017…
Du baril à 100 dollars au baril à 50 dollars
Comment dans ces conditions assurer la « soutenabilité » de nos finances internes et externes ? En gros, comment passer d’un baril à plus de 100 dollars à un prix du baril compris entre 50 et 60 dollars au cours des prochaines années ? Pour résoudre cette équation compliquée, le nouveau modèle économique proposera, selon nos informations, un « cadrage économique sur trois ans et sur cinq ans qui annoncera une trajectoire budgétaire étalée dans le temps dans le but d’afficher une vision qui dépasse le très court terme et pour répartir dans le temps les efforts d’ajustement ».
Ce ne sera pas simple. « Il faudra sans doute réduire sensiblement les importations, geler les rémunérations et les transferts mais aussi différer beaucoup de projets d’infrastructures. L’urgence dans ce dernier domaine devrait être en revanche de compléter et de valoriser les investissements réalisés depuis plus d’une décennie ».
Haro sur les subventions
Un autre sujet tiendra une place de choix dans le nouveau modèle économique. Il s’agit de la réforme des subventions. Le diagnostic sur le système de subventions est aujourd’hui généralement partagé. Il absorbe une part croissante des ressources de la collectivité (près de 30% du PIB) dans un contexte, qui semble durable, de réduction des ressources de l’Etat. Il favorise la surconsommation et le gaspillage des produits concernés. Il arrose, enfin, à travers un vaste réseau de contrebande, un bassin géographique important au-delà des frontières du pays.
Selon nos sources, l’idée qui sous-tend la réforme en préparation est qu’« on peut faire mieux avec moins de ressources financières en élaborant un système de transferts monétaires directs en direction des couches les plus défavorisées ». Elles ajoutent que le gouvernement a commencé « à mettre en place une carte des ménages défavorisés afin de passer d’un système de subventions généralisées à des subventions ciblées ». Cette démarche sera conjuguée à « un relèvement progressif des prix et des tarifs d’un certain nombre de produits et de services actuellement fortement subventionnés notamment dans le domaine des carburants et de l’énergie ».
Cap sur les énergies renouvelables
Dans un pays ou les hydrocarbures représentent encore 40% du PIB, le secteur pétrolier ne peut pas rester à l’écart de la définition d’un nouveau modèle économique. Dans ce domaine, la tâche des concepteurs du nouveau modèle a certainement été facilitée par les orientations d’un célèbre « conseil restreint » sur l’énergie réuni en février dernier. Il pose la problématique de la transition énergétique en traçant des priorités classiques comme «la poursuite et l’intensification de la prospection des ressources en gaz naturel » ou encore « le respect des plannings d’amélioration des capacités de production des gisements en cours d’exploitation ». Mais la nouveauté est surtout constituée par l’accent mis sur la dynamisation du programme de développement des énergies renouvelables et les efforts de rationalisation de la consommation d’énergie. « Des sujets sur lesquels on a beaucoup insisté », affirment nos sources.
« Carte blanche » aux managers des entreprises publiques
Le climat des affaires et la gestion des entreprises publiques sont également au menu du modèle économique. A propos du premier, on compte beaucoup sur un nouveau code des investissements « beaucoup plus ouvert et libéral » actuellement en discussion au parlement. Son adoption, qui a pris beaucoup de retard, doit finalement coïncider avec la présentation du nouveau modèle économique avec le but recherché de renforcer son effet d’annonce.
Dans un contexte où le remplacement des dirigeants d’entreprises publiques alimente régulièrement la Une des médias nationaux, la « réforme du mode de gouvernance des entreprises d’Etat » doit également, nous dit-on, faire l’objet de mesures audacieuses qui se traduiront par une «carte blanche» donnée aux managers.
Beaucoup de bonnes intentions, donc, dans ce recensement (non exhaustif) des objectifs annoncés par un nouveau modèle économique « en phase » avec beaucoup des recommandations formulées par la plupart des économistes nationaux au cours des dernières années. Il lui reste encore à franchir l’épreuve de son adoption définitive par l’exécutif et celle, qui s’avèrera certainement beaucoup plus délicate, de sa mise en œuvre sur le terrain.