L’homme le plus riche d’Algérie, Issad Rebrab, a déclaré la guerre au gouvernement. Mais dans un premier temps, menacé d’arrestation, selon ses propos, il risque de ne pas rentrer en Algérie.
D’habitude très prudent, tout en rondeur, Issad Rebrab s’est lancé, cette semaine, dans une incroyable aventure, qui tranche radicalement avec son attitude de toujours. Erreur de communication ou attitude délibérée, adoptée en raison de menaces précises, les propos prononcés sur une chaine de télévision et les interviews accordées à des sites électroniques font figure de déclaration de guerre au gouvernement. Ils créent une situation inédite en Algérie, où M. Rebrab apparait comme un oligarque en rupture de ban avec les autorités du pays.
L’empire de M. Rebrab a été construit à l’ombre de l’économie d’Etat. S’il pèse trois milliards de dollars de chiffres d’affaires aujourd’hui, c’est parce qu’il a su profiter de toutes les failles du système algérien. Introduit dans les rouages de l’Etat, il a manœuvré de manière très habile, de manière à tirer un profit maximum, tout en se fabriquant une image d’entrepreneur et d’investisseur.
Quand on lui reprochait sa tiédeur politique, M. Rebrab répondait, stoïque : « notre vocation à nous, entrepreneurs, est de vivre dans le sillon des pouvoirs publics ». Dans un pays où l’économie est fortement dépendante du bon vouloir du prince, il vaut mieux avoir des rapports courtois avec les autorités. Une règle d’or que M. Rebrab a strictement respectée, et qui s’est révélée très payante.
Première escarmouche
Le patron de Cevital a maintenu le cap jusqu’à l’été 2014, quand il s’est attaqué frontalement au ministre de l’industrie, Abdessalam Bouchouareb. Celui-ci a vertement répondu. Comment M. Rebrab aurait-il pu monter toutes ses affaires sans le concours des pouvoirs publics, a demandé le ministre. M. Rebrab a accusé le coup, pour revenir à des recettes qui marchaient bien jusque-là : recourir à l’entremise des « amis », des « relations » et des hommes d’influence. Il a l’a lui-même déclaré dans une interview : il a eu recours au patron de l’UGTA Abdelmadjid Sidi-Saïd, au premier ministre Abdelmalek Sellal et au président du FCE Ali Haddad. Réponse négative de M. Bouchouareb.
C’est là que M. Rebrab, jusque-là irréprochable, a commis sa seconde erreur. Il a attaqué le ministre de l’industrie sur un dossier où lui-même était vulnérable. Il voulait obtenir une dérogation pour importer du matériel rénové, ce qui est interdit par la loi. M. Bouchouareb avait alors beau jeu de rejeter la demande, et même de refuser de recevoir M. Rebrab.
Celui-ci, reçu à Paris, à Rome et dans les grandes capitales, n’admettait pas de se faire rembarrer par un « vulgaire » ministre du quatrième mandat. Il décide alors d’attaquer frontalement M. Bouchouareb.
Clash
Dans la foulée, Issaad Rebrab commet sa seconde bourde : il évoque le chef d’état-major de l’armée, le général Gaïd Salah, dans une interview à la chaine El-Magharibia. Il attribue à tort au général Benhadid, actuellement en détention, des propos concernant le général Gaïd Salah. La faute est grave. M. Rebrab avait-il déjà décidé de rompre les ponts avec le pouvoir ? Avait-il déjà pris connaissance de menaces précises qui pèsent sur lui ? En tous les cas, il a changé de ton. Il affirme désormais qu’il a de nouvelles révélations à faire, et déclare au site TSA qu’il ne va peut-être pas rentrer en Algérie, où il serait sous la menace d’une arrestation visant à le faire taire.
Cette affaire jette un froid dans le monde politique et celui des affaires. Car à côté de l’aspect strictement juridique, les déboires de M. Rebrab confirment la vulnérabilité du monde des affaires. Le patron de Cevital lui-même, qui a atteint une certaine envergure, n’a pas réussi à entrer dans un nouveau modèle de gestion, totalement indépendant de l’Etat et de la commande publique. Quant au pouvoir, au sens large, il rappelle à tous ceux qui en ont fait partie, comme le général Benhadid, ou en ont tiré profit, comme M. Rebrab, qu’il est interdit de violer le pacte originel.