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Algérie

Algérie – Les sept raisons du dérapage du dinar sur le marché parallèle (contribution)

Par Maghreb Émergent
décembre 16, 2016
Algérie – Les sept raisons du dérapage du dinar sur le marché parallèle (contribution)

Comment expliquer qu’un euro se cote sur le marché parallèle en ce mois du décembre 2016, environ 186 dinars pour un euro et 168 dinars pour un dollar, un important écart avec le marché officiel 118 dinars pour un euro et 111 dinars pour un dollar ?

Ne s’oriente-on pas vers 200 dinars un euro avec inévitablement un impact inflationniste du fait que les prix s’alignent souvent sur ceux du marché parallèle, accentué par la baisse des recettes des hydrocarbures? Cela ne renvoie t-il pas au niveau de production et de productivité, aux mesures bureaucratiques qui ont accru la méfiance vis à vis de la monnaie nationale ? Les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques, accentué par la baisse des recettes des hydrocarbures.

1.L’évolution du taux de change officiel a évolué ainsi de 2001 au 12 décembre 2016 : 2001- 77,29 dinars un dollar, 2005- 73,35 dinars un dollar, 2008- 64,58 dinars un dollar, 2010- 74,39 dinar un dollar, 2015 -100,46 dinars un dollar. Le 12 décembre 2016, la cotation du dinar approche 111 dinars un dollar et 118/119 dinars un euro au cours officiel, un écart de 57% en référence au marché parallèle et un dérapage d’environ 60% par rapport aux années 2010. C’est que la valeur du dinar, fonction de la confiance et d’une économie productive. L’économie algérienne étant une économie fondamentalement rentière, cela contredit les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation en principe devrait dynamiser les exportations. On constate paradoxalement que lorsque le cours du dollar baisse et le cours de l’euro hausse, la banque d’Algérie fait glisser le dinar (évitant de parler de dévaluation) pour des raisons politiques à la fois le dinar par rapport tant au dollar que vis-à-vis de l’euro alors que le dinar dans une véritable économie de marché devait s’apprécier par rapport à la monnaie dévaluée. Pourquoi cet artifice comptable ? La raison essentielle est qu’en dévaluant le dinar par rapport au dollar, nous aurons une augmentation artificielle de la fiscalité des hydrocarbures qui fluctue, en fonction des cours, entre 60/70% du total fondement d’une économie rentière. Car les recettes des hydrocarbures sont reconverties en dinars, passant par exemple de 70 dinars à 105 dinars un dollar actuellement. Il en est de même pour les importations libellées en monnaies étrangères, les taxes douanières se calculant sur la partie en dinars. L’inflation étant la résultante, cela renforce la défiance vis à vis du dinar algérien où le cours officiel administré se trouve déconnecté par rapport au cours du marché parallèle qui traduit le cours du marché. D’une manière générale, les investisseurs tant étrangers que locaux se méfient d’une monnaie administrée faible. En fait, l’essence de cette situation réside dans les dysfonctionnements des différentes structures de l’Etat du fait de l’interventionnisme excessif de l’Etat qui fausse les règles du marché ce qui contraint les ménages et opérateurs à contourner les lois et les règlements. Ainsi lorsque les autorités publiques taxent (fiscalité excessive) et réglementent à outrance ou en déclarant illégal les activités du libre marché, il biaise les relations normales entre acheteurs et vendeurs. En réaction, les acheteurs et vendeurs cherchent naturellement les moyens de contourner les embûches imposées par les gouvernements

2- Les raisons de la dévaluation du dinar sur le marché parallèle

– Premièrement, l’écart s’explique par la diminution de l’offre du fait que la crise mondiale, combinée avec le décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l’épargne de l’émigration. Cette baisse de l’offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne locale qui font transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie. La reconversion de l’argent de la corruption, jouant sur la distorsion du taux de change en référence à l’officiel (vous me facturez 150 dinars un dollar au lieu d’une marchandise achetée 100 avec la complicité d’opérateurs étrangers, opérations plus faciles et plus rapides dans le commerce) montre clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l’épargne de l’émigration permettant des chats d’immobiliers qui expliquent la flambée des prix notamment dans les grandes agglomérations.
– Deuxièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis) du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire. Mais ce sont les agences de voyages qui à défaut de bénéficier du droit au change recourent elles aussi aux devises du marché noir étant importateurs de services. Majoritairement elles exportent des devises au lieu d’en importer comme le voudrait la logique touristique comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie.
-Troisièmement, la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40/50% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d’une minorité rentière) et 65% des segments des différents marchés; fruits/légumes, de la viande rouge/blanche, marché du poisson, et à travers l’importation utilisant des petits revendeurs. Car existe une intermédiation financière informelle loin des circuits étatiques. Au niveau de cette sphère qui est le produit de la bureaucratie, tout se traite en cash favorisant des liens dialectiques avec certains segments rentiers favorisant l’évasion fiscale et la corruption que l’on ne combat pas par des actions bureaucratiques.
-Quatrièmement, l’écart s’explique par le passage du Remdoc au Credoc crédit documentaire, expliquant les mesures d’assouplissement, en 2013 qui a largement pénalisé les petites et moyennes entreprises représentant plus de 90% du tissu industriel en déclin (5% dans le PIB). Nombreux sont les PME/PMI pour éviter les ruptures d’approvisionnement recourent au marché parallèle de devises. Le gouvernement a certes relevé par le passé à 4 millions de dinars, mais cela reste insuffisant, expliquant les mesures d’assouplissement prévues dans la loi de finances 2017.
– Cinquièmement, beaucoup d’opérateurs étrangers mais également nationaux utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque algérien a droit à 7200 euros par voyage transféré, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant.
– Sixièmement, l’écart s’explique par la faiblesse de la production et la productivité, l’injection de monnaie sans contreparties productives engendrant le niveau de l’inflation et donc la dépréciation du dinar. Selon un rapport de l’OCDE, la productivité du travail de l’Algérie est une des plus faibles au niveau du bassin méditerranéen. Le tissu industriel que certains voudraient redynamiser, sans vision stratégique, selon l’ancienne vision mécanique, sans tenir compte des nouvelles mutations technologiques et managériales mondiales est une erreur stratégique que l’Algérie risque de payer très cher à moyen terme. L’industrie représentant moins de 5% du PIB et sur ces 5%, plus de 95% sont des PMI/PME non concurrentielles, des surcouts dévalorisant indirectement la valeur du dinar. A cela s’ajoute la non proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance moyen n’ayant pas dépassé 3%, est source d’inflation et explique la détérioration de la cotation du dinar (déséquilibre offre/demande que l’on supplée par une importation massive) sur le marché libre par rapport aux devises que la banque d’Algérie soutient artificiellement grâce aux recettes d’hydrocarbures. Si les réserves de change tendaient vers zéro, l’euro sur le marché libre s’échangerait à plus de 300 dinars et le change officiel fluctuerait entre 200/250 dinars un euro, d’où l’importance d’un endettement extérieur ciblé, concernant uniquement les activités productives, afin d’éviter un épuisement des réserves de change qui tiennent la valeur du dinar à plus de 70%.
-Septièmement, pour se prémunir contre l’inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. De nombreux Algériens profitent en effet de la crise de l’immobilier, notamment en Espagne, pour acquérir appartements et villas dans la péninsule ibérique, en France et certains aux USA et en Amérique latine sans compter les paradis fiscaux. C’est un choix de sécurité dans un pays où l’évolution des prix pétroliers est décisive. Face à l’incertitude politique, et la psychose créée par les scandales financiers, beaucoup de responsables vendent leurs biens pour acheter des biens à l’étranger. Egalement beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, à la baisse depuis l’année 2O13, achètent les devises sur le marché informel.( voir étude du professeur Abderrahmane Mebtoul « Sphère informelle au Maghreb et comment l’intégrer à la sphère réelle » Institut Français des Relations Internationales – IFRI- (Paris- Bruxelles décembre 2013–60 pages).

3- En résumé, il ne faut plus se faire d’illusions, le cours entre 80/100 dollars le baril étant terminé d’où l’importance d’asseoir une économie diversifiée dans le cadre des valeurs internationales et de réorienter en urgence toute la politique socio-économique si l’on veut éviter un é puisement des réserves de change, une dévaluation importante du dinar avec une hyperinflation (voyons le cas vénézuélien, grand pays pétrolier première réserve mondiale plus de 300% de taux d’inflation par an) et aller droit au FMI horizon 2019/2020. Les distorsions entre le marché officiel et le marché informel traduit la faiblesse d’un tissu productif local, la rente des hydrocarbures donnant une cotation officielle du dinar artificielle. Une analyse objective de l’inflation qui a des répercussions sur la valeur réelle du dinar, suppose de saisir les liens dialectiques entre le développement, la répartition du revenu et du modèle de consommation par couches sociales. Les subventions et la distorsion du taux de change entre le cours officiel et celui du marché parallèle avec les pays voisins sont les explications fondamentales des surfacturations et de la fuite des produits hors des frontières. Les mesures administratives ne peuvent qu’être ponctuelles sinon il faudrait une armée de contrôleurs. La solution réside en une nouvelle gouvernance, de nouveaux mécanismes de régulation, la production locale dans des segments à valeur ajoutée au sein de filières internationalisées, donc des entreprises performantes (coûts –qualité). Cela nécessite de s’insérer au sein de grands ensembles dont les espaces africains et euro-méditerranéens qui sont les espaces naturels de l’Algérie grâce à un co-partenariat gagnant/gagnant (balance devises partagée, accumulation du transfert technologique et managérial local), la ressource humaine étant le pivot essentiel de la coopération. Ce sont les conditions pour améliorer la cotation du dinar, les taxes douanières et les subventions qui doivent être ciblées étant transitoires.

*Professeur des Universités, expert international
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