Trois minuscules paragraphes consacrés à l’agriculture dans le document sur le «nouveau modèle économique» du gouvernement algérien. Victime du tout pétrole, l’agriculture semble oubliée dans les projets officiels de sortie de la dépendance à l’or noir. L’expert Aissa Manseur est choqué et dit dans cette contribution pourquoi les choses ne vont pas dans l’agriculture.
Le nouveau modèle de croissance économique a été enfin dévoilé à travers un document de 21 pages été publié sur le site du ministère des finances. Ce document donne la nouvelle approche économique du pays, énumère les objectifs ciblés à atteindre sur la période 2016-2030 et fait des recommandations. Trois phases de croissance sont retenues : Le décollage (2016 – 2019), la transition (2020 – 2025) et la stabilisation ou de convergence (2026-2030).
L’agriculture qui demeure le parent pauvre par excellence de ce modèle n’a été citée et d’une façon timide que très rarement. Elle a eu droit à 3 minuscules paragraphes dans les pages 11, 13 et 17.
Le document insinue dans la page 11 ‘’ Une modernisation du secteur agricole permettant d’atteindre l’objectif de sécurité alimentaire et de réaliser son potentiel de diversification des exportations’’.
Comment ? Par quelle stratégie ? Par quelles actions concrètes ? Le document n’en a pas soufflé le moindre mot ! Comment peut-on compter alors sur l’agriculture pour être l’alternative aux hydrocarbures ?
Sur terrain on ne voit pas des actions extraordinaires se réaliser dans le secteur. On ne sent pas cette mutation qui peut vraiment placer l’agriculture comme ‘’pilier’’ de l’économie nationale, L’agriculture baigne toujours dans d’innombrables problèmes qui freinent et entravent son développement et par conséquent ne pourra jamais jouer le rôle qui lui est assigné. Un secteur qui a été délaissé, marginalisé pendant des décennies ne peut surgir soudainement pour aider à ‘’oxygéner ‘’ la machine économique asphyxiée par la chute des prix du Brent.
Dans l’état actuel des choses peut-on propulser l’agriculture sur le devant de la scène économique nationale ? Cela relève de l’utopie, du moins dans le court et le moyen terme car notre agriculture ne suit pas une cadence de croissance régulière qui lui permettrait de jouer les premiers rôles.
Le développement de l’agriculture est un processus continu, perpétuel, et il doit subir les mutations qui s’imposent aux moments opportuns Il repose sur des outils préliminaires et élémentaires qui doivent être revus et corrigés et d’autres à développer, afin de préparer le terrain à une croissance exponentielle et significative du secteur.
Quatre grands maux de l’agriculture
* Le foncier agricole demeure une entrave majeure au développement de l’agriculture en Algérie. Son règlement suppose une volonté politique et une rigueur législative, des terrains cédés à des particuliers pour fin d’investissement, dans la steppe et les régions du sud, depuis 1983 dans le cadre de l’accession a la propriété foncière agricole (APFA) qui n’ont jamais été mis en valeur mais ils n’ont pas été restitués par l’Etat. La légèreté avec laquelle ce dossier a été géré a contribué à l’instauration du statu quo qui prévaut actuellement dans le secteur agricole
* Le système bancaire archaïque actuel ne pourra jamais accompagner le développement de l’agriculture de par sa lourdeur et ses entraves bureaucratiques. On note également l’absence ’’inquiétante’’ d’une banque spéciale pour le financement de l’agriculture. Actuellement ce secteur est traité par les banques commerciales comme les autres secteurs. Elles lui ’’infligent’’ les mêmes conditions draconiennes d’octroi de crédit, alors que l’agriculture est un secteur sensible, stratégique qui doit être traité en tant que tel.
* Les statistiques agricoles actuelles ne reposent sur aucune base scientifique et sont réalisées de façon aléatoire. Les chiffres avancés ne reflètent pas la réalité du terrain. Ce sont des chiffres erronés qui ne peuvent jamais être pris en considération pour une quelconque prise de décision ou élaboration de programme de développement du secteur
Le développement du système des statistiques devrait permettre à l’ensemble des acteurs (pouvoirs publics, chercheurs, opérateurs) de disposer d’une information fiable, actualisée et exhaustive et surtout sans aucun pensée politique pour servir d’outil d’ajustement de programme et de correction de carence.
* La recherche agronomique est en veille. Les instituts techniques dont bénéficient presque toutes les filières agricoles sont des organismes administratifs par excellence. Techniquement stériles, ils n’ont pu jouer le rôle qui leurs est assigné. Il est nécessaire de créer une synergie entre ces organismes pour aboutir au but ultime de développer l’agriculture. Il est indispensable, auparavant de redynamiser ces institutions, les renforcer en effectif spécialisé et en équipements nécessaires.
Il est également primordial de lancer un vaste programme de formation et de mise à niveau aux techniques modernes de gestion des exploitations agricoles et L’initiation d’une politique de formation professionnelle aux métiers agricoles.
5 milliards de dollars d’importation de blés et de poudre de lait!
L’agriculture ne pourra pas être une alternative aux hydrocarbures à court et moyen terme. Notre agriculture peine encore à assurer l’autosuffisance en produits stratégiques notamment le blé dur, le blé tendre et la poudre de lait. On consacre annuellement plus de 5 milliards de dollars à l’importation de ces produits qu’on n’arrive pas à améliorer la production malgré les efforts consentis dans ce sens.
La céréaliculture tributaire des précipitations avec un rendement moyen ne dépassant pas les 10 qx /ha, une surface de 3,5 millions d’ha est emblavée annuellement, la production totale n’a pas dépassé les 33 millions de qx la saison écoulée, l’importation des céréales a atteint 13,5 millions de tonnes d’une valeur qui avoisine les 3 milliards de dollars !
Les quantités de poudre de lait importées annuellement avoisinent les 400 000 tonnes avec une facture de 02 milliards de dollars.Notre agriculture enregistre une très faible performance dans la production de ces produits stratégiques dont la consommation est soutenue par une forte dépense publique.
Les autres produits notamment maraichers, arboricoles et oléicoles ne connaissent pas, non plus un essor. On arrive à peine à satisfaire la demande du marché intérieur. En l’absence de l’industrie de transformation, le surplus de ces productions fini dans les poubelles en dépit de toutes les conséquences fâcheuses encourues par l’agriculteur. Dans l’état actuel des choses, notre agriculture peut-elle relever le défi pour réduire la dépendance alimentaire de l’étranger et générer une production ‘’ concurrentielle ‘’ exportable ?
L’Algérie exporte 3% de sa production de dattes, la Tunisie exporte 42,5%
Plusieurs produits agricoles notamment de terroir peuvent être exportés, mais l’absence d’une stratégie freine leur promotion à l’international. Faute de labellisation et de certification nos produits ne peuvent prétendre à pénétrer les marchés extérieurs et conquérir des parts de marché.
Produire quoi exporter, trouver à qui exporter et savoir comment exporter, ce sont ces trois équations à résoudre pour pouvoir s’initier à l’exportation et promouvoir nos produits à l’international. Parmi les produits qui essayent de se frayer un chemin à l’international, les dattes mais les quantités exportées sont en deçà de ce qu’elles pourraient être. (L’Algérie produit 1 million de tonnes et exporter 30 000t, soit 3%).
Comment se fait –il qu’on produit beaucoup plus que la Tunisie alors que les exportations de ce pays sont beaucoup plus importantes au point de détenir 22% du marché mondial (la Tunisie produit 246 000t et exporte 100 000 t soit 42.5%) !
Après avoir assuré une certaine autosuffisance en produits maraichers, plusieurs denrées peuvent faire l’objet d’exportation, le respect de l’itinéraire technique et la production en quantité suffisante et en qualité irréprochable sont des préalables à satisfaire. L’intervention de l’état dans le processus de l’exportation est inévitable et son accompagnement est primordial et décisif.
De l’amont agricole à l’aval industriel tel est le slogan qui doit être mis en œuvre par des actions concrètes sur le terrain. L’option des agropoles est très réussie, c’est l’un des moyen le plus adéquats quant à l’organisation des filières agricoles, c’est tout le processus qui est pris en charge : la production, la commercialisation et la transformation. Il ne suffit pas de produire mais il faut également trouver des débouchés pour la production, satisfaire le marché local, faire tourner l’industrie de transformation et exporter.
L’agriculture victime du ’’ tout pétrole ‘’
Notre agriculture a été victime des recettes d’exportation des hydrocarbures, le prix du pétrole a enregistré des années durant une hausse significative et l’Algérie a vécu des périodes d’embellie financière. Les recettes de l’or noir couvraient largement les dépenses relatives à l’importation des produits alimentaires.
L’importation massive des produits de large consommation en plus des subventions à la consommation, a exercé un effet négatif sur le développement de la production agricole du pays. Ce n’est qu’au début des années 80, après la chute des recettes d’exportation, conséquence de la chute des prix du pétrole, que l’on s’est rendu compte du marasme dans lequel se trouve le secteur agricole.
Des réformes et des restructurations du secteur à peine entamée que les prix du pétrole ont connu une ascension fulgurante. Une nouvelle fois, l’embellie financière nous séduit et nous trompe. Le programme de développement de l’agriculture initié dans les années 2000 a été plus une distribution aléatoire et anarchique de la rente qu’un programme de développement et de croissance de l’agriculture.
La façon avec laquelle le programme a été appliqué sur terrain corrobore cette thèse. Une occasion en or s’est présentée et elle été ratée : l’agriculture n’a connu aucune évolution significative en dépit des budgets faramineux qui lui sont alloués. La modernisation du secteur à laquelle fait allusion le nouveau modèle de croissance économique suppose une stratégie et également des hommes qui traduisent les idées en actions concrètes sur le terrain.
Des hommes qui veillent au respect des textes réglementaires, veillent au contrôle et au suivi des programmes à mettre en œuvre. Le ‘’fardeau’’ de la sécurité alimentaire ne peut en aucun cas être porté seulement par l’agriculture qui est un acteur parmi d’autres qui doivent œuvrer ensemble pour atteindre cet objectif. Il est plus judicieux d’associer l’agriculture à l’autosuffisance alimentaire. L’Agriculture comme alternative aux hydrocarbures ! Ce n’est qu’un slogan creux, jusqu’à preuve du contraire !
*Expert en agriculture
Le titre et les intertitres sont de la rédaction