Algérie-OMC : 34 ans de négociations en mode "je t'aime, moi non plus !" - Maghreb Emergent

Algérie-OMC : 34 ans de négociations en mode “je t’aime, moi non plus !”

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Le ministre du Commerce, Kamel Rezig a affirmé jeudi, lors de sa participation aux travaux de la réunion des ministres de l’Union africaine (UA) chargés du commerce avec l’OMC, que l’Algérie allait de l’avant vers l’accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) selon des démarches « bien étudiées », soulignant que cette instance offrait de meilleures opportunités pour la relance de l’économie nationale.

Depuis une dizaines d’années en Algérie, il n’est pas un ministre du Commerce qui ne s’est pas fendu des déclarations les plus tonitruantes au sujet de l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). A l’arrivée, ce dossier a donné naissance à un autre feuilleton économique sans fin.

Et pour cause, l’accession de l’Algérie à la « Mecque » institutionnelle du commerce mondiale est un chantier quasiment en ruines, alors le pays est engagée dans le processus d’intégration au système commercial multilatéral depuis Juin 1987, faisant de lui le plus vieux négociateurà frapper aux portes de l’institution de Bretton Woods. Fin 2018, l’ancien ministre du Commerce, Said Djellab, affirmait que le retard de l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce était lié à des choix économiques stratégiques de l’Etat algérien et non pas à des raisons bureaucratiques, faisant référence aux mesures prises à l’époque par le gouvernement pour soutenir les exportations nationales.

Des études ont montré que cette procédure peut être divisée en deux phases : « La première, qui s’étend de juin 1987 à juillet 1996, peut être qualifiée de dormante, les autorités algériennes s’étant contentées de déposer une demande d’adhésion. De fait, les négociations s’engagent concrètement à partir de la présentation par l’Algérie de son aide-mémoire du commerce extérieur en Juillet 1996 puis de la tenue de la première réunion du Groupe de travail en avril 1998. » Explique Mehdi Abbas, maître de conférences en économie politique à l’Université de Grenoble-Alpes (France). La deuxième, durera plus de treize (13) années, bien qu’elle démontre une implication des autorités algériennes et la manifestation d’un choix d’ouverture, donnant l’impression d’une absence d’avancées notables, et faisant perdre à la procédure de son intérêt.

Selon l’expert, l’Algérie devait dès le départ montrer patte blanche et payer son « ticket d’entrée » à ce club fermé. « L’accession constitue un processus pluridimensionnel porteur de coûts d’ajustement sectoriels et institutionnels que le requérant – terme officiel désignant le pays en accession – doit assumer. C’est à l’aune des effets transformationnels associés au processus qu’est jugée sa réussite ou non. Aussi, ce n’est pas tant la libéralisation qui est recherchée que l’impulsion et la gestion des transformations institutionnelles induites par le processus, celui-ci répondant à des visées
transformatrices internes. » Ecrit-il dans une note de travail publiée par le LEPII, en 2009.

Les avantages et les inconvénients de l’adhésion à l’OMC

Indéniablement, l’Algérie aurait beaucoup à gagner à intégrer l’OMC. parmi les avantages repris par les experts économiques, nous pouvons citer ceux qui servent la compétitivité commerciale, avec l’amélioration des conditions de l’insertion internationale à travers une plus grande rationalisation productive et une meilleure exploitation des avantages comparatifs réels mais surtout potentiels qu’un pays comme l’Algérie est amené à construire, ou d’autres qui sont plus liés à la diplomatie économique avec une intégration au jeu coopératif multilatéral via la participation à l’élaboration des règles du commerce international, une transparence et une meilleure lisibilité des institutions de la politique commerciale.

Par ailleurs, il y a également l’introduction d’une cohérence institutionnelle au niveau national, qui réduit l’influence des intérêts particuliers dans la définition de la politique commerciale, rend celle-ci plus lisible car régulée à travers un système de règles.

S’agissant des inconvénients, il convient de noter les questions liées à la souveraineté économique en matière de règlementation. En effet, Les principes de base de l’OMC sont fortement influencés par une vision libérale des échanges internationaux et au-delà, des modalités de régulation de l’économie. Mais selon certains économistes, Il faut néanmoins tempérer cette vision en constatant que l’OMC recherche plus des règles «loyales» dans le domaine des échanges qu’un véritable «libre échange». Cela se traduit, notamment pour les pays en développement, par la possibilité de garder des protections sous certaines conditions et de ne pas libéraliser tous les secteurs de leur économie.

Le risque majeur serait, donc, de voir l’économie nationale sujette à de potentiels déséquilibres structurels, du fait de sa fragilité. Car les critères de transparence, de concurrence loyale, de lutte contre la bureaucratie et l’informel se doivent d’être respecté scrupuleusement par les pays membres, ce qui sous entend une mutation brusque des systèmes régissant l’économie nationale.

Le professeur Abderrahmane Mebtoul soutient, dans ce sillage, que l’adhésion de l’Algérie à l’OMC lui imposera l’ouverture des frontières et la spécialisation accrue suscitée par la mondialisation. En effet, tant les accords avec l’Union européenne que ceux de l’OMC, prévoient de développer les échanges en mettant en place les conditions de la libéralisation progressive des échanges de biens, de services et de capitaux. Il s’ensuit que l’Algérie devra procéder au démantèlement des droits de douanes et taxes pour les produits industriels et manufacturés sur une période de transition.

D’autre part, « le risque souvent invoqué par certains tient essentiellement au fait que cette adhésion impactera négativement les opérateurs économiques nationaux. Il existe mais ne peut en lui-même justifier un refus d’adhésion puisque tous les pays membres de cette organisation ont eu à confronter cette situation et l’ont rapidement surmonté. Les pays de l’ex bloc de l’Est qui ont tous rejoints cette organisation en sont un exemple frappant. Voici des pays qui, plus que Algérie, avaient une économie fermée régie par les règles propres au système communistes, ont réussi sans grande difficulté à basculer dans une économie de marché. » Explique Me Brahimi, avocat et juriste spécialisé dans les questions économiques.

Selon lui, l’abaissement des obstacles au commerce permettra l’amplification des échanges donc l’amélioration des revenus des particuliers. Mais en contrepartie, « la suppression des subventions aura sans aucun doute un impact négatif sur la consommation des ménages puisqu’elle induira automatiquement l’augmentation des prix des denrées subventionnées », nuance-t-il. Et d’ajouter : « cet effet sera compensé par une augmentation des revenus de ces mêmes ménages et par la baisses des autres produits ».

Il existe, par ailleurs, des considération extra-économiques qui visent à protéger les intérêts des oligarques adeptes du monopole des marchés et du phénomène du « tout import ». Me Brahimi suggère, à cet effet, que « la position de Algérie quant à son accession à l’OMC qui s’apparente de plus en plus  à un refus qui ne veut pas dire son nom, s’explique par des mobiles beaucoup plus politiques qu’économiques. » 

Le Processus d’accession de l’Algérie à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) depuis 2014

C’est au travers de longues années de négociations menées en mode « je t’aime, moi non plus ! » que l’Algérie arrivait, en 2017, au 13ème round des négociations multilatérales. Jusque-là, elle avait répondu à plus de 1900 questions liées essentiellement à son système économique. Elle a aussi tenu plus de 120 réunions bilatérales avec une vingtaine de pays, qui ont été couronnées par six (06) accords bilatéraux avec Cuba, Brésil, Uruguay, Suisse, Venezuela et l’Argentine.

Le Groupe de travail de l’accession de l’Algérie a été établi le 17 Juin 1987. Il s’est réuni pour la douzième fois en mars 2014. Le Groupe de travail est présidé par l’Ambassadeur José Luís Cancela Gomez (Uruguay). Sur le site de l’OMC, l’Algérie a le statut de « pays observateur ».

En Avril 2019, la 6ème réunion du groupe informel de gouvernements accédants s’est tenu au niveau des chefs de délégation, sous la présidence de l’Ambassadeur Yuri Ambrazevich, avec la participation de l’Algérie aux côtés de onze (10) autres pays.

Au mois de Mai de la même année, dans le cadre de son cycle annuel de sensibilisation, le secrétariat a fait une présentation au Groupe africain des Membres de l’OMC, cordonné à l’époque par le Bénin, et qui a été informé de l’avancement des 22 processus d’accession en cours.

Les nouveaux atouts de l’Algérie selon Kamel Rezig

La déclaration de Rezig sonne donc le grand retour de l’Algérie à la table des négociations, avec de nouveaux atouts à faire valoir à l’OMC, notamment via « l’initiation d’une série de réformes profondes à même de promouvoir le commerce extérieur et l’intégration dans la chaine de valeurs régionale et mondiale ».

Le ministre a cité, entre autres réformes, la révision de la rège 49-51 régissant l’investissement étranger en Algérie, maintenue pour certaines secteurs stratégiques, et « ses répercussions positives sur l’attractivité des investissements directs étrangers (IDE) et l’augmentation du volume des échanges commerciaux ».

« La poursuite par l’Algérie de ses efforts visant à aller de l’avant vers l’accession à l’OMC suivant des démarches bien étudiées, au regard des opportunités offertes par cette instance en vue de la relance de l’économie nationale à travers l’initiation d’une série de réformes profondes à même de promouvoir le commerce extérieur et l’intégration dans la chaine de valeurs régionale et mondiale ». A-t-il insisté.

A noter que la réunion des ministres de l’Union africaine (UA) chargés du commerce avec l’OMC, a évoqué les préparatifs de la 12è réunion ministérielle virtuelle de l’OMC, prévue du 30 novembre au 03 décembre 2021 à Genève, a précisé le communiqué.

En 2016, l’OMC représentait 97% du commerce mondial et 85% de la population mondiale dont la majorité des pays OPEP et les fondateurs du socialisme la Chine et l’URSS. A fin juillet 2016, l’organisation comptait 164 pays membres et 20 pays observateurs dont l’Algérie.

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