Peut-on sortir de la crise politique par le haut ? Sous cette question, Othmane Benzaghou, expert en risques financiers, appelle la classe politique mais également les intellectuels et les médias à ne pas oublier l’essentiel: débattre pour formuler des solutions réalistes qui peuvent redonner de l’espoir aux Algériens.
L’Algérie vit en ces temps troubles des moments politiques chargés en symboles véhiculés par certains médias collés à l’actualité, friands de sensationnels, de révélations fracassantes, de purgatoires médiatiques et autres effets de manches permettant de chauffer les chaudrons d’une vie politique qui peine à produire des débats sereins sur l’avenir du pays qui est à un tournant de son histoire.
Cette sérénité nécessaire pour développer des visions d’avenirs fondées sur des analyses étayées et des projections réalistes permettant de redonner de l’espoir aux algériens qui subissent les convulsions d’un système de gouvernance trop marqué par la tectonique des plaques de verticalités accumulant des tensions politiques et produisant, en ces temps géologiques une forte activité sismique, sans savoir si elles présagent de répliques ou de tremblements politiques encore plus mouvementés.
Certes, cette activité sismique marquante est plus susceptible de marquer les esprits qu’un débat serein sur les voies et moyens de tracer l’avenir de ce pays, cherchant à rapprocher les points de vus, jugés parfois stratosphériques, académiques, technocratiques, loin de l’actualité, des enjeux de pouvoir que des préoccupations quotidiennes des algériens et pourraient être considérés ennuyeux pour le « commun des mortels ».
La conscience politique des algériens, ses aspirations, ses défis sont tels qu’ils exigent un débat de qualité, sur des lignes politiques réelles quant à son avenir, que toutes les bonnes volontés ont le devoir de produire, en tentant de se distancier des opérations politiciennes, des lignes de démarcations fictives, caricaturales ou populistes qui interpellent l’affecte des algériens et servent de marqueurs biaisés au lieux d’en susciter la raison.
Tirer les bonnes leçons
Les crises sont consubstantielles de l’évolution des nations et propices à des réformes audacieuses, voir des révolutions. Elles poussent à remettre en cause l’ordre établis et à réfléchir aux voies et moyens réalistes de le changer.
Les nations qui n’ont pas su tirer des enseignements justes de ces moments et développer les bons remèdes sont vouées à revivre des convulsions répétées au risque de régressions qui ne seraient fécondes que quand elles sont capables d’une meilleure conscience collective permettant des modes d’organisation et d’action plus adaptés.
L’histoire de la nation algérienne est remplie d’épisodes de crises majeures, de grandes divergences, produisant parfois des nœuds gordiens, et il est bien difficile et prétentieux pour quiconque d’être capable d’envisager d’autres dynamiques que celles qui ont fait les choix historiques qui ont jonché le parcours de cette nation. Un héritage riche en enseignement qui ne peut se limiter à des considérations culturelles, cultuelles, sociologiques, mais sont aussi de nature profondément politiques.
Elles s’avèrent ainsi d’un précieux enseignement pour envisager les modes d’organisation, les modes de gouvernance capables de produire, d’extraire, à différentes réalités politiques, une modernité, des décisions adaptées et partagées, collées aux exigences de son temps, et aux ressources disponibles et capables de susciter des dynamiques vertueuses et mobiliser sur des actions concrètes répondants à des visions stratégiques.
La politique, le débat politique au sens noble du terme cherche à construire cette modernité, à engager les moyens de produire ces décisions, de mobiliser les ressources adaptées, dans un certain consensus nécessaire à leur mise en musique permettant une réévaluation continue des résultats et des objectifs.
Les modes de gouvernances, le système politique, est dans ce sens plus prépondérant que les qualités personnelles des hommes et des femmes capables de dégager les voies et moyens de tracer l’avenir du pays. Une culture de la gouvernance, qui permet de continuellement adapter ses organisations aux défis du moment, est un long processus qui fait la différence entre les nations capables de modernité et ceux qui stagnent ou régressent.
Les politiques ont ainsi le devoir de rassembler l’ensemble des forces du pays pour les mobiliser sur des objectifs viables et ne sauraient sacrifier sur l’autel du pouvoir, de sa conquête ou de son maintien, telle ou telle frange de la société sur des considérations personnelles, électoralistes, ou d’équilibres de centres d’influence, selon la nature des régimes et ainsi la prépondérance de l’un ou l’autre dans l’exercice du pouvoir.
Le peuple, seule réelle source de légitimité des politiques, ne peut dans ce sens être abreuvé de choix biaisés, de faux semblants, et de débats stériles, sauf à nier la source même de cette légitimité. Il est l’émanation des débats, des femmes et des hommes capables de proposer, de composer, et mettre en actions les décisions d’avenir.
Le débat politique, quand il est fertile, par essence contradictoire, serait celui qui peut permettre de dégager les moyens adaptés à engager tel ou tel dynamique issus de modèles de développements, proposés et compilés par des forces politiques qui sauront aiguiser ces modèles aux réalités du terrains, aux dynamiques des capacités et des besoins, par l’action politique réaliste et clairvoyante, et une lucidité sans faille face aux contextes internes et externes.
Sans cette confrontation aux réalités, sans capacités de sanction, sans possibilités de corriger, d’affiner, sans capacités de dégager des convergences, on fait et défait sans cohérences dans une alternance fictive permettant de palier dans l’urgence à des abcès devenus purulents, les politiques menées par les uns ou par les autres.
Force est de constater que les forces politiques, censés être l’émanation de ces débats, de ces modèles de développements, des convergences qui peuvent en sortir sont plus préoccupées par des considérations politiciennes, d’ambitions personnelles, de survie politique sur des considérations historiques, idéologiques, identitaires et tout autre différentiation, accentuées jusqu’à la caricature, mais souvent incapables de dégager des contrats politiques sur des modèles de développement cohérents, pragmatiques, et des moyens réalistes de les mettre en place.
On focalise notre attention sur X ou Y qui va pouvoir prendre ou garder le pouvoir, avec une comptabilité de garnisons qui se regardent tantôt en chiens de faïence, tantôt en recomposition dans les stratosphères, dans un réflexe de chapelles politiques et de pouvoir construits sur des bases clientélistes, et non sur des visions et des modèles de développement qui s’affrontent et s’affinent. Au fond, comme on l’entend trop souvent, depuis le congrès de Tripoli, on est tous d’accord sur le programme, le pouvoir c’est une autre affaire.
Une lutte de pouvoir sourde, enrobée de postures politiciennes, qui nient la politique comme instrument d’émergence de contrats politiques entre toutes les composantes de la nation, mais sont réservés à une composition savante d’acteurs agréés, obsédés par les enjeux de sécurité et de pouvoir, ses prébendes et ses dividendes, polarisés par des personnalités et forces qui poussent les luttes de pouvoir jusqu’à la caricature et produisent des convulsions politiques qui entravent les choix stratégiques, des contrats politiques pérennes sur les modèles de développement.
Pour une culture du contrat politique
Ces divergences poussées à leurs paroxysmes en appellent à des réflexes autoritaires, suscités dans l’inconscient socio-culturel comme seul moyen de pérennité face à l’anarchie qui serait le produit de débats politiques incapables de contrats politiques.
Sans apprentissage nécessaire de la culture du contrat politique entre forces politiques représentatives de la société, représentant des projets de développement, et une conjugaison de femmes et d’hommes politiques forgés aux débats, à l’exigence de résultats sous contrainte d’alternance, nous somme livrés à des postures politiciennes les plus démonstratives, d’alternance de forme, ponctués de campagnes de moralisation qui suggèrent la nécessité d’ordre dans cette entropie réelle poussée à la caricature qui permet de justifier le réflexe autoritaire.
Cet ordre instable, car assujettit à des secousses périodiques, à des redressements brutaux, qu’on nous affirme être un garant de sécurité et de stabilité, condition sine qua none, il est vrai, de tout développement est reproduit par un système politique qui refuse à engager les instruments d’une stabilité d’une tout autre forme, qui permet de dégager des consensus, des contrats politiques pérennes, capables de survivre aux pouvoirs personnalisés, pour garantir et affiner avec lucidité et clairvoyance les modèles de développement.
Ce consensus ne peut être fondé sur une base exclusivement sociale, économique, comme si la politique et d’une essence autrement sacrée, mais est profondément et fondamentalement politique. Des initiatives louables ont été entreprises par différents acteurs politiques pour remettre le débat politique au centre des enjeux, de rendre à la politique ses lettres de noblesse, permettant l’émergence d’un paysage politique sur des bases de projets et de contrats sur des réformes profondes dont le pays a besoin, dans cette phase historique et cruciale.
D’autres initiatives citoyennes, représentations sociales et autres expertises exigent une mobilisation dans le plein exercice de la citoyenneté, afin d’engager des dynamiques citoyennes et responsables capables d’insuffler le débat organisé, qu’une élite de pouvoir veut cantonner au lieu d’en faire un formidable gisement d’énergies qui pourraient se polariser sur les meilleurs moyens de développement sur les vrais enjeux d’avenir.
L’Algérie a vécu des épisodes historiques remarquables, des sacrifices incommensurables, et d’autres rendez-vous ratés avec l’histoire. Personne n’a le droit d’insulter l’avenir, mais il serait bien dommageable d’en rater encore d’autres, tant les ressources, matérielles et immatérielles ont été, le moins que l’on puisse dire, mal mobilisées, et qu’elles s’annoncent plus rares pour les générations à venir.
(¤) Expert en risques financiers