Dans cette contribution, le Pr A Mebtoul répond aux arguments d’Ouyahia et insiste sur le fait qu’à l’heure actuelle, l’Algérie n’est pas en situation de «crise financière » mais en état de « crise de gouvernance ». Il faut reformuler le projet de révision de l’article 45 de la loi sur la monnaie et le crédit, souligne-t-il en insistant sur le fait que sans correction majeure de la politique économique, la conjonction de la crise de gouvernance et de la crise financière va nous conduire « droit au FMI ».
La vertu d’un grand dirigeant est sa modestie et l’arrogance le signe de son incompétence. La pire des erreurs pour un responsable n’est pas de se tromper mais de persister dans l’erreur en croyant détenir le monopole de la vérité. Je propose, sur la base d arguments objectifs de rédiger l’article 45 de la loi sur la monnaie et le crédit d’une manière précise car l’actuelle formulation est très vague.
1.-Rappel du contenu de l’ordonnance d’aout 2003 et de l’avant projet de la loi sur la monnaie et le crédit
.La loi sur la monnaie et le crédit a été instaurée par la loi 90-10 du 14 avril 1990, modifiée par l’ordonnance 03-11 du 26 aout 2003 et récemment par l’ordonnance 10-04 du 26 août 2010. Elle ne concerne que l’article 45 dont la mouture de 2003 stipule : « la Banque d’Algérie peut, dans les limites et suivant les conditions fixées par le Conseil de la monnaie et du crédit, intervenir sur le marché monétaire et, notamment, acheter et vendre des effets publics et des effets privés admissibles au réescompte ou aux avances ».
Dans le nouveau ’avant projet, il est stipulé «Art 45 bis : nonobstant toute disposition contraire, la Banque d’Algérie procède, dès l’entrée en vigueur de la présente disposition, à titre exceptionnel et durant une période de cinq années, à l’achat directement auprès du trésor, de titres émis par celui-ci, à l’effet de participer notamment :
– A la couverture des besoins de financement du trésor,
– Au financement de la dette publique interne
– Au financement du Fonds National d’Investissement (FNI).
Ce dispositif est mis en œuvre pour accompagner la réalisation d’un programme de réformes structurelles économiques et budgétaires devant aboutir, au plus tard, à l’issue de la période susvisée, notamment, au rétablissement :
-Des équilibres de la trésorerie de l’État ;
-De l’équilibre de la balance des paiements.
Un mécanisme de suivi de la mise en œuvre de cette disposition, par le trésor et la Banque d’Algérie, est défini par voie réglementaire »
2.-Crise financière et recours à la planche à billets : les arguments d’Ahmed Ouyahia
1.- Tout retour à l’endettement extérieur» pour faire face à la crise actuelle est exclu. «Ce n’est pas dogmatique. Si on choisit d’aller à l’endettement extérieur, on aura besoin de 20 milliards de dollars annuellement pour couvrir un déficit équivalant à 2000 milliards de dinars, avec des retombées d’une telle éventualité sur le pays et sa politique économique et sociale.
2..-Le financement non conventionnel, n’est pas une invention algérienne. Les grandes puissances mondiales le font toujours, à l’image des États-Unis, qui empruntent auprès de la Réserve fédérale, du Japon et de la Banque centrale européenne qui a injecté 2000 milliards d’euros dans les banques des pays de l’Union.
3.-Les fonds qui seront empruntés par le Trésor auprès de la Banque d’Algérie «ne seraient pas source d’inflation, puisqu’ils seront destinés à financer exclusivement l’investissement public. En premier lieu, les fonds qui seront empruntés par le Trésor auprès de la Banque d’Algérie ne sont pas destinés à alimenter la consommation, mais bien à financer l’investissement public. Ce qui ne sera donc pas source d’inflation. En second lieu, le Trésor fait face actuellement à une dette publique qui ne dépasse pas les 20% du Produit intérieur brut (PIB). Il dispose ainsi d’une marge raisonnable d’endettement», en faisant une comparaison avec «un pays européen qui, disposant des finances publiques les plus solides, a aussi une dette publique proche de 70% du PIB». «Il y a même un pays qui a une dette publique dépassant les 100% de son PIB.
4.-Concernant l’effondrement du dinar, ce dernier baisse en valeur avec la baisse des réserves de change, la valeur du dinar ayant reculé de 25 à 30% ces dernières années.
5.-En conclusion, selon le premier ministre le recours au financement non conventionnel sur une période de 5 ans «permettra à l’Algérie de s’assurer la sauvegarde de son indépendance financière et la poursuite des réformes à une cadence qui ne lui engendrera pas des problèmes importants». La mise en œuvre de cette démarche, permettra aussi d’éviter «une importante augmentation des taxes dans le cadre du projet de loi de finances 2018,
3.-Quelques précisions et recommandations
-La modification de la loi sur la monnaie et le crédit n’est pas une opération technique mais a des incidences sociales politiques et sécuritaires. Sans le retour à la confiance, de profondes réformes structurelles, et à une vision stratégique, la modification du seul article 45 de la loi sur la monnaie et le crédit, n’aura aucun impact sur le développement futur du pays, reportant dans le temps les problèmes fondamentaux.
-La modification de l’article 45 permet à la Banque d’Algérie de financer directement le trésor en levant le verrou de l’émission monétaire.
-Pour le cas Algérie, Il faut distinguer le financement de la partie dinars et de la partie devises ou le financement non conventionnel concerne la partie dinar.
– La dérive inflationniste à la vénézuélienne par la planche à billets (solution de facilité) sans contreparties productives, obligera les banques primaires à relever leurs taux d’intérêts au moins de deux points supérieurs au taux d’inflation pour éviter la faillite, ce qui va pénaliser le secteur productif.
-Sans maîtrise, elle va réaliser une épargne forcée au détriment des revenus fixes qui verront inéluctablement la réduction de leur pouvoir d’achat, prenant ainsi la forme d’un impôt indirect.
– Pour convaincre, il faut comparer ce qui est comparable. Il faut relever que les pays développés cités par Ouyahia ont un potentiel productif important, une forte canalisation de l’épargne des citoyens, une sphère informelle marginale, une bourse des valeurs performantes et une monnaie internationale convertible. Rien de comparable pour l’Algérie.
– Il faut donc se référer, afin de ne pas renouveler leurs expériences négatives, au Venezuela et au Nigeria, pays rentiers comme l’Algérie, au cas des dirigeants communistes roumains qui avec zéro dette extérieure ont laissé une économie en ruine.
– Il faut donc préciser dans l’article 45 pour le financement non conventionnel la nature sectorielle de la destination de ce financement, le ratio de l’émission monétaire, année par année, avec des quantifications précises, selon différents scénarios, en références à la trajectoire budgétaire et aux indicateurs macro économiques et macro-sociaux du pays, des cinq prochaines années.
C’est une démarche qui relève de la sécurité nationale qui commande la mise en place d’une comité de contrôle indépendant auprès du président de la république qui sera chargé du suivi afin d’éviter toute dérive inflationniste. Il faut éviter de fonder une politique économique sur des modèles économétriques appliqués aux pays développés déconnectés des réalités nationales, comme c’est le cas de certains experts , qui avaient pronostiqué en 2014 le retour d‘un cours du pétrole à plus de 80 dollars.
L’Algérie a un répit de seulement trois ans pour changer de cap et éviter de vives tensions sociales 2018/2020. Même si le niveau des réserves de change a baissé, l’Algérie en ce mois de septembre 2017, ne connait pas encore de crise financière mais une crise de gouvernance. Le vrai risque est qu’en l’absence d’une correction de la politique économique actuelle – notamment industrielle dont le résultat est mitigé- est que l’on aille droit vers le FMI à horizon 2019/2020 avec la conjugaison d’une crise financière et d’un crise de gouvernance. Ce qu’aucun patriote ne souhaite.
(*)Professeur des universités, expert international
(NB) Le titre est de la rédaction