L’hyper-dépendance envers les exportations des hydrocarbures mènera l’économie algérienne « droit au mur » si des mesures sérieuses ne sont pas prises.
Le risque d’une crise économique et financière est bien réel pour l’Algérie, a prévenu Mouloud Hedir économiste et ancien fonctionnaire des services économiques de la présidence de la République (1979-1995), appelant les gouvernants à réagir avant que la crise ne les surprenne. « Il faut apprendre à anticiper et ne pas attendre que nous nous heurtions au mur. L’état actuel de l’économie algérienne qui reste hyper dépendante des recettes pétrolières nous dit qu’une crise se profile mais je ne peux pas dire quand », a déclaré Mouloud Hedir lors de la Matinale du réseau CARE (Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise) organisée aujourd’hui sous le thème « l’économie algérienne face au monde : besoin d’une relation plus harmonieuse ». « Nous nous dirigeons à ce qui s’apparente à une crise économique et financière extrêmement sévère », a-t-il encore averti, et d’enchainer sur le fait que cela ne signifie pas que le pays ne doit pas s’y préparer, mais il est surtout question, souligne Hedir, de prendre conscience de cette situation afin d’anticiper les impacts éventuels. L’ancien conseiller du président du FCE (Forum des chefs d’entreprises) de 2009 à 2012 déplore que la leçon de 1985 et la crise du pétrole qui a précipité la chute des prix du pétrole n’ait pas été apprise. « A l’époque, beaucoup de cadres étaient montés au créneau pour dire que la crise était là. Or, un haut responsable de l’époque est sorti pour dire que l’Algérie n’était pas concernée par la crise économique jusqu’au jour où nous l’avons eue (la crise) en pleine figure», rappelle Mouloud Hedir. « Idéalement, il s’agit de préparer l’avenir, des crises nous en aurons c’est certain, cependant le problème qui est le nôtre est lié à la structure de notre économie et au poids du pétrole. C’est-à-dire lorsqu’il y a une abondance de ressources (pétrolières) soudaines avec des prix du pétrole qui montent substantiellement comme cela s’est passé au début des années 2000, cela s’accompagne d’un problème de gaspillage », déplore l’ancien DG du commerce extérieur au ministère du Commerce (1995-2001).
Un retard de 20 ans
L’économiste pose ainsi la problématique de la diversification de l’économie nationale. Celle-ci, estime Mouloud Hedir, demeure le principal problème de l’Algérie depuis 1976. « Depuis cette époque-là, la priorité de nos gouvernements successifs a été de diversifier l’économie et aujourd’hui les résultats sont là : l’Algérie exporte 98% d’hydrocarbures. La situation a même empiré, selon les dires de l’économiste qui appuie son constat avec des chiffres. La production des produits agricoles durant les 18 dernières années (1995-2013), l’Egypte a multiplié par 13 fois ses exportations agroalimentaires (de 445 millions de dollars en 1995 à 4,47 milliards de dollars), le Maroc et la Tunisie par 3 fois, selon les statistiques de l’UNCTAD (Nations unies). Concernant l’exportation des produits manufacturés, le constat est encore plus grave, note Mouloud Hedir. Dans la région du Maghreb et du Moyen orient, l’Algérie est le premier importateur de produits manufacturés, et notre pays exporte moins que la Libye. L’Algérie a ainsi exporté pour 572 millions en 2013 (284 millions en 1995), alors que les exportations libyennes se chiffrent à 998 millions de dollars pour la même période. Les exportations égyptiennes en produits manufacturés se chiffrent à 12,70 milliards de dollars, celles du Maroc à près de 13 milliards et la Tunisie à 12,5 milliards USD. « Ce sont des chiffres dramatiques », juge-t-il. En matière d’exportation des services, l’Algérie a réalisé 4 milliards de dollars en 2013, malgré un potentiel « gigantesque mais inexploité » et qui devrait mettre notre pays au même niveau que l’Egypte (18 milliards USD). « L’Algérie est, dans le bassin méditerranéen, le premier pays qui a une balance de ses services structurellement déficitaire», a indiqué l’invité de CARE. Pour la redresser, M. Hedir préconise de mettre l’accent sur les deux principaux secteurs des services sont que le tourisme et le secteur des transports maritimes. A ce titre, l’économiste a déploré que la compagnie maritime nationale ait « disparu des écrans » et traite moins de 1% du commerce des marchandises.
L’économiste conseille, en conclusion, de renouer avec le débat sur les échanges extérieurs et la relation de notre pays avec le monde ; de même suggère-t-il de rétablir le primat de la politique commerciale extérieure de l’Algérie et sortir de la fixation « maladive » sur le prix « compatible » avec le financement de notre économie. « C’est à l’économie algérienne de s’adapter aux réalités du monde et pas l’inverse », dit-il.