La semaine hebdomadaire d’El Kadi Ihsane sur El Watan s’est emparée d’un fait d’actualité pour montrer que le nouveau modèle de croissance n’est pas prêt de se déployer en Algérie.
La semaine de la publication du document portant nouveau modèle de croissance du gouvernement Sellal une actualité inopportune a surgi. Elle concerne le secteur le plus emblématique de ce devrait être une nouvelle politique de croissance basée sur la diversification des revenus extérieurs de l’Algérie : le tourisme.
Et ce sont deux péripéties, là aussi hasard de calendrier géo-localisé, qui se sont déroulées à Sétif, qui viennent sèchement rappeler qu’il n’y a pas l’ombre de l’esquisse d’un nouveau modèle de croissance en avril 2017, bientôt trois ans après le retournement du marché pétrolier en juin 2014.
A Sétif le sixième groupe mondial de l’hôtellerie, Accor, a inauguré l’autre samedi, ses deux enseignes Novotel et Ibis, sur le modèle de son déploiement en Algérie depuis plusieurs années.
Djillali Mehri, le partenaire algérien de Accor, cofondé par son ami Gérard Pélisson, a profité de cet événement pour étayer ses propos tenus à El Oued quelques jours plus tôt à l’occasion de l’inauguration protocolaire de son complexe de luxe La Gazelle: «il faut que l’Etat se retire de l’investissement dans le secteur hôtelier en Algérie ».
La revendication a pu paraître anachronique tant l’opinion nationale s’est accoutumée à l’idée que cette question est réglée depuis les années 1990 début des années 2000, et la salve des grandes privatisations consécutives à la crise des finances publiques et à celle de la dette extérieure. Et bien non.
L’argent public s’est remis à couler à flot sur l’activité hôtelière dès que les excédents budgétaires ont été de retour. Et même avant d’ailleurs avec la construction dans l’urgence événementielle sur fonds publics de grands hôtels, reversés à la gestion de grandes enseignes internationales comme à Club des Pins (Sheraton), à Tlemcen et Constantine (Mariott) pour les évènements capitales de la culture arabe et islamique.
«De quoi se plaint donc le richissime Djillali Mehri ?» pourrait rétorquer le bon sens populaire. D’une distorsion de concurrence au prix d’une dépense publique lourde qui affaiblit l’investissement privé autant que l’investissement public lui même.
En l’absence d’une politique d’attractivité des touristes étrangers, une bulle des capacités d’accueil est déjà entrain de se former dans quelques villes, Oran et Constantine par exemple, du fait de l’absence d’un plan d’équipement coordonné ajusté à une ambition d’ouverture de l’Algérie au tourisme.
En réalité l’Etat est redevenu, sans crier gare, un acteur plein et entier de l’activité hôtelière dans le pays. Un peu comme s’il avait cessé de privatiser les briqueteries et qu’il s’était lancé dans la rénovation des anciennes et le lancement de nouvelles.
C’est la seconde péripétie sétifienne de la semaine. Le propriétaire de l’ancien hôtel public de la ville, El Hidhab, Madani Moumi, a lancé une vidéo d’alerte sur Facebook pour prévenir de l’imminence d’une annulation de la cession de l’hôtel 11 années après la transaction. « L’EGT Est veut reprendre l’hôtel » prévient-il.
Un conflit commercial a opposé très tôt le repreneur privé et le vendeur après la cession de 2006 « mais tout le monde sait que nous étions entrain de régler ce contentieux. Il y a eu un apaisement ces quatre dernières années et nous avons repris les investissements de remise à niveau.
El Hidhab est un joyau aujourd’hui qui gagne de l’argent. Pourquoi l’Etat l’a-t-il privatisé pour vouloir le reprendre maintenant tout en refusant le paiement de la tranche restée en suspens après une décision de justice ? ».
A Constantine, l’EGT Est compte remettre à la chaine Mariott le management des hôtels publics Panorama et le Cirta. La distorsion évoquée par Djillali Mehri ? La rénovation préalable des hôtels de l’EGT Est se fait sur fonds publics. C’est le cas de tous les hôtels publics.
Logiciel ? Rénover et réaliser des hôtels publics
L’action du gouvernement dans le domaine de l’hôtellerie en 2017 est bien la meilleure illustration de la persistance du modèle rentier de croissance et, du même coup, la preuve que le nouveau modèle demeure un slogan.
Un homme incarne parfaitement cette prédominance de la vision « dépense budgétaire » appliquée à un business liée à l’entreprise privée dans la quasi totalité de son périmètre dans le monde. Il s’agit justement du ministre en charge du tourisme, Abdelouahab Nouri.
Son logiciel principal de la politique du tourisme ? La rénovation du parc des hôtels publics. 68 d’entre eux sont en cours de rénovation pour un budget initial de 31 milliards de dinars. C’est supérieur aux 20 milliards de dinars attendus de la majoration de la taxe intérieure de consommation (la TIC) dans la loi de finances 2017.
Le nouveau modèle de croissance aurait remis sur le marché cet actif public déstructuré que demeure le parc hôtelier de l’Etat dans sa plus grande partie. Il en aurait fait une source de revenus immédiate par les recettes de ventes et une autre, pérenne, par la nouvelle assiette fiscale que l’activité, léguée au privé, va générer.
Au lieu de quoi Abdelouahab Nouri, wali de carrière et de pensée économique, cherche à faire des réalisations. Là ou il devrait créer un marché pour que Accor déploie plus vite son programme de 24 hôtels sur dix ans- il en sera, fin 2017, à seulement 9 hôtels en douze ans d’engagement- pour que d’autres grands groupes s’engagent en Algérie sur un agenda clair d’augmentation des dépenses des ménages en tourisme. Et d’ouverture du pays aux étrangers.
L’ancien modèle et son gardien du temple
Le nouveau modèle de croissance suppose une reprise de la réduction du périmètre marchand de l’Etat là où existe la concurrence. Il nécessite une part de dérégulation, afin d’accroitre l’attractivité des capitaux et une part d’audace pour briser les résistances des positions acquises.
Dans le tourisme, deuxième source potentielle de revenus en devises pour l’Algérie les vingt prochaines années (avant de devenir la première), cela implique, entre autres, la reprise de la privatisation du parc hôtelier public et l’accélération des investissements privés, l’évolution vers l’Open Sky partiel pour rendre la visite de l’Algérie non prohibitive comme elle l’est actuellement, la simplification radicale de l’attribution du visa, l’un des plus compliqués à obtenir au monde.
Abdelouahab Nouri ne diffuse pas le sentiment qu’il est prêt à prendre des risques politiques pour faire avancer la part du tourisme dans le PIB algérien. Il donne même l’impression inverse. Celle de vouloir servir l’ancien modèle, en fait l’actuel, et son grand gardien du temple, le président Abdelaziz Bouteflika.
Tous les anciens amis du président l’avouent aujourd’hui. Bouteflika redoute la richesse et l’ouverture si elles impliquent une plus grande autonomie des acteurs et de la société. Il n’y aura donc que des faux semblants. Et des paradoxes terminaux (chers à Milan Kundera). Le groupe Accor d’un côté et l’EGT Est qui renationalise de l’autre. Dans la même ville.