La chronique hebdomadaire de El Kadi Ihsane sur El Watan revient sur les incidences budgétaires en Algérie du retournement du marché pétrolier de novembre.
Le cycle du marché pétrolier est reparti pour un ajustement sévère à la baisse. Les excédents dans les stocks ne seront pas épongés avant la fin du premier semestre 2019 dans le cas où la réunion ministérielle de l’OPEP de cette fin de semaine décidait de remettre le collet sur la production de brut.
La prévision du budget algérien pour 2019 à 50 dollars le barils est finalement réaliste. Elle signifie que le déficit du solde budgétaire à la fin de l’année prochaine pourrait bien ressembler à celui du prévisionnel, c’est à dire à environ 9% du PIB. C’est le moment de décliner une vérité un sentiment qui affleure dans la vie publique algérienne. La perpétuation en 2019 du contre-choc pétrolier qui a démarré en juin 2014 n’était pas intégrée dans le logiciel de la tambouille électorale pour 2019. C’est même l’inverse qui se dessinait. Plus de revenus, fin des déficits, poursuite du modèle redistributeur à l’identique. C’est la bureaucratie étatique qui mobilise la fiscalité pétrolière et qui décide de son affectation.
Les premiers signes de renoncement à un nouveau modèle de croissance suggéré par la task force auprès du gouvernement Sellal sont apparus dès la fin de l’année 2017. Exemple, pour la première fois, la partie algérienne a commencé à observer la possibilité de transformer le projet BOT du nouveau port centre localisé à Hamdania (Cherchel) en un projet classique d’équipement à la charge du budget de l’Etat.
Le partenaire chinois serait simple maitre d’œuvres, et non plus exploitant après la construction du port. Le report de toutes les décisions annoncées ou pressenties d’ouverture du capital de huit grandes entreprises publiques, notamment une banque, à la bourse d’Alger, d’assouplissement de la règle du 51-49 pour la confiner à un ou deux secteurs précis, ou encore d’engager une réforme du système de subvention universelle ; procèdent de la même psychologie auto-suggestive. Le modèle peut continuer à vivre à l’identique dès que les cours du brut approche les 100 dollars. Or, non seulement le modèle n’est plus viable même avec un pétrole à 100 dollars (crise des volumes disponibles à l’export), mais en plus la conjoncture de la géopolitique Saoudo-américano-russe du dernier trimestre a enfermé les cours sous un plafond de verre de 80 dollars. Une conjonction d’éléments plus prompte à faire tomber les cours sous les 50 dollars qu’à les maintenir au seuil de toit invisible des 70 dollars. Scénario imprévu à Alger où l’on préfère écouter les projections « agréables » plutôt que le think Tank Nabni.
Le projet de loi de finances pour 2019 était fortement critiquable il y a trois semaines au moment de sa présentation, pour son manque de responsabilité face au refus de mieux ajuster recettes et dépenses et surtout pour son énième report des mesures d’ouverture pour la relance de l’investissement productif trop faible en Algérie. En trois semaines de déconfiture des cours du brut, le PLF est devenu un document obsolète, dangereux pour le système et pour les Algériens.
Le coût économique de l’AVC présidentiel
La relance de l’attractivité de l’investissement en Algérie est un des thèmes centraux de la prospective de l’après Bouteflika. Plusieurs leviers. Une législation stimulante, « business friendly ». Mais aussi des régulateurs indépendants sécurisants pour le capital investi. Elémentaire. L’indépendance du juge en devient de fait un enjeu majeur de régulation important dans l’administration du droit du commerce. Aussi important qu’un système financier qui marche. Les deux sont hors service en Algérie. Par ou donc commencer ?
Selon le professeur Abdelhamid Temmar, ministre durant 12 ans dans les différents gouvernements de l’ère Bouteflika, la modernisation du système financier et l’indépendance des juges sont « décisives » dans le rétablissement d’une attractivité forte du territoire algérien pour le capital mondial. La profitabilité du marché, elle, est largement assurée dans de très nombreuses filières de production et de services.
Abdelhamid Temmar qui s’exprimait dans un talk d’experts économiques sur la Radio M (sur le web), n’a aucune réserve pour critiquer le recours au 51-49 et à 11 autres mesures qui ont cassé l’attractivité de l’Algérie dans la loi de finances complémentaire pour 2009. Il était alors au gouvernement et ses critiques exprimées en interne n’avaient pas filtré à l’époque. Il restera solidaire de ce gouvernement de Ahmed Ouyahia plus de deux ans encore, alors même qu’il savait que sa politique était mauvaise pour le développement économique du pays. Rien de nouveau de ce côté, sauf peut-être la question inévitable : pourquoi cette politique figée par le duo Ouyahia-Djoudi à la fin de l’été 2009, tient-elle toujours de feuille de route du gouvernement en 2018 après 4 années de contre-choc pétrolier ? Peut-être simplement parce que l’homme qui l’a validé alors, le président Bouteflika, n’a plus les moyens intellectuels minimaux pour la défaire ? Et cela depuis son accident de santé de 2013.
Abdelaziz Bouteflika en possession de ses moyens aurait-il maintenu l’essentiel des dispositions anti-investissement direct étranger en Algérie en place à ce jour ? Il est permis d’en douter. En 2006, il a fait machine arrière sur la loi Khelil sur l’énergie, adoptée juste l’année d’avant. Vrai que c’était dans un sens plus restrictif pour le capital étranger. Mais il a bougé sur cette question sous l’effet de la conjoncture très haussière du prix du baril. En sens inverse, le contre-choc en vigueur depuis 2014 aurait dû, par pente gravitationnelle, donner lieu à des contre-mesures de relance des IDE en Algérie. Rien. Le sous-investissement étranger en Algérie – à peine 300 millions de dollars par an en moyenne 2014-2017 versus 1, 8 milliard de dollars en 2007-2008 – est un coût économique qu’il faudra un jour mettre sur l’ardoise de la non-présidence Bouteflika de ces dernières années.
La CAN et la cour des comptes
L’Algérie était candidate malheureuse pour l’organisation de la CAN 2017 à la place de la Libye, battue au vote par le Gabon. Une édition de l’évènement sportif le plus couru, promise à l’Afrique du nord a été « chipé » par l’Afrique tropicale. Retournement de l’Histoire, la CAN de juin 2019 a été retiré au Cameroun cette semaine. La CAF, qui a pris cette décision pour impréparation des infrastructures camerounaises, va lancer un nouvel appel à candidatures.
Et la CAN 2019 « promise » à l’Afrique tropicale pourrait revenir, cette fois, à l’Afrique du Nord. Mais ou en Afrique du nord ? Le Maroc et l’Egypte sont déclarés les plus en mesure d’accueillir le tournoi désormais élargi de 16 à 24 pays. Pourquoi pas l’Algérie qui était en lice fin 2015 pour être prête en janvier 2017 ? Parce que les nouveaux stades d’Oran, de Baraki et de Tizi Ouzou ne sont toujours pas livrés. Ils figurent, avec le tronçon d’autoroute Annaba-Frontiere tunisenne, parmi les grands chantiers les plus vieux de l’ère euphorique des infrastructures des années Bouteflika.
Le rapport de la cour des comptes, fuité dans la presse, cette semaine, nous donne quelques indications sur les raisons. Le ministère de la jeunesse et des sports n’est, en fait, pas outillé pour être maitre d’ouvrage et conduire à bien de tels projets. Sa gestion financière et administrative de projets plus modestes, est tout simplement proche du chaos. Dommage, la CAN en Algérie en juin prochain, cela a du sens, dans le climat de sinistrose actuel. L’Algérie incapable d’organiser d’ici juin prochain un tournoi de 24 pays dans huit stades différents proches des standards FIFA et incluant les 3 nouveaux stades ? Bien sûr que oui. Pas l’Algérie de cet attelage moribond.