Algérie : procès des journalistes Semmar et Boudiab, récit d’une folle journée (Reportage)

Algérie : procès des journalistes Semmar et Boudiab, récit d’une folle journée (Reportage)

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Les avocats démontrent que les deux plaintes déposées par le patron du groupe médiatique Ennahar, Anis Rahmani, et le wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, sont intervenues après le début de la garde à vue des journalistes.

Hier, jeudi 08 novembre 2018, à 6h du matin, plusieurs sms nous parviennent. Une seule question est posée par nos confrères journalistes et par les militants venant de plusieurs wilaya du pays, ” où se trouve exactement le tribunal, où se déroulera le procès des journalistes  Abderahmane Semmar et  Merouane Boudiab ?”. Ils viennent de loin pour soutenir les deux journalistes du site Algérie Part.
Un rassemblement de soutien était prévu à 9h. Comme convenu, les participants au sit-in de solidarité  avec les deux journalistes en détention préventive, commencent à arriver devant le tribunal de Said Hamdine à Alger. Le groupe s’agrandit rapidement, une forte mobilisation est constatée. Des journalistes, des militants, des représentants de partis politiques et des membres de la société civile sont arrivés en force pour défendre les deux journalistes détenus “arbitrairement”. Ils sont  accusés de diffamation, menace et atteinte à la vie privée.  Mais dans la soirée, les plaidoiries de la défense montreront qu’il y a beaucoup de “choses incroyables” à dire dans  leur dossier.
Le rassemblement s’est tenu dans le calme, sans l’intervention des services de sécurité qui présents en force tout autour du tribunal. Toujours dans le calme, des banderoles de soutien aux journalistes sont brandies par les présents. Certains des présents ont pris la parole pour exprimer leur soutien aux détenus.
Les avocats de la défense commencent à arriver l’un après l’autre.  Ils sont  accueillis comme des héros par les participants au sit-in. Les premiers arrivés des avocats, sont l’équipe du Front des forces socialistes  (FFS) qui a pris position en faveur des journalistes. Mieux encore un nombre important des cadres du parti ont participé au rassemblement.

Pour le secrétaire national chargé de la communication du FFS, Jugurtha Abbou, « il est du devoir du parti de ne pas rester silencieux devant une telle situation. Il s’agit d’un acte politique qui a pour but de museler toute voix qui s’élève pour dénoncer ». « C’est le caractère démocratique qui est menacé dans notre pays ». Jil Jadid, parti de Djilali Soufiane, a aussi marqué sa présence.

“Il est de notre devoir de défendre ces journalistes, car ce sont eux qui nous informent en continu. Un pays sans presse libre n’est rien d’autre qu’une dictature », a déclaré  Meriem Saidani, militante du parti.  Des représentants d’Amnisty international, du RAJ (Rassemblement, action jeunesse), de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme et la société civile rencontrés sur place, ont partagé  les mêmes positions. Le grand absent au rassemblement d’hier était le Syndicat national des journalistes  (SNJ).
À l’heure de l’ouverture de l’audience, les policiers ont bloqué l’accès à salle. Seuls les journalistes qui détenaient une autorisation du procureur pouvaient y entrer.  Il a fallu l’intervention des avocats pour autoriser l’accès aux journalistes ayant uniquement une carte de presse. Le reste des présents ont poursuivi leur sit-in à l’entrée du tribunal.
L’attente se prolonge
Le juge annonce le procès pour 13h, les journalistes et les avocats rejoignent le rassemblement.  Entre déclaration à la presse et discussions sur la situation des libertés et de la démocratie en  Algérie, l’ambiance était à la solidarité.  À quelques mètres du tribunal se trouvent un “faste food” et un café. Des groupes de trois à quatre personnes s’y sont déplacés pour faire une pause.  La fatigue commence à gagner les présents exposés au soleil de la mi-journée. On se partageait des bouteilles d’eau fraîche, des sandwichs et des cafés. 13h,  retour à la salle d’audience, le juge explique aux avocats que le procès aura lieu à partir de14h30, soit après la pause.

Enfin, le procès…

Ce n’est que vers 16h que le procès  de Semmar et de Boudiab s’est ouvert.  Les deux journalistes arrivent enfin dans la salle avec un grand sourire. La joie de retrouver leurs confrères, amis et famille était visible sur leurs visages.
Les policiers ont  reçu des instructions fermes pour ce procès. Ni téléphone, ni ordinateur, ni dictaphone ne doivent être utilisés.

Les avocats attaquent…

Semmar et Boudiab étaient défendus par une trentaine d’avocats. Ces derniers mais aussi ceux des plaignants ont commencé, l’un après l’autre,  à faire leurs plaidoiries. Les accusés sont interrogés et écoutés. Le temps passe.  Il est déjà  20h et plaidoiries ne sont qu’à leur moitié.  Celles de la défense ont révélé des vérités “fracassantes”.
Les avocats démontrent que les deux plaintes déposées par le patron du groupe médiatique Ennahar, Anis Rahmani, et le wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, sont intervenues après le début de la garde à vue des journalistes. “Le 23 octobre dernier, à 11h, Semmar est convoqué par la gendarmerie, et est placé en garde à vue. Et ce n’est qu’à 17h  qu’on vient déposer plainte contre lui”, a lâché Me Assoul. Pire encore,  les avocats  ont démontré que Merouane Boudiab n’est pas du tout cité dans les plaintes de Zoukh et Rahmani.
Aucune plainte n’a été, jusqu’au moment du procès, déposée contre lui.” Il a donc passé  deux semaines à la prison d’El Harrach pour rien” regrettent les avocats. Les charges contre Semmar sont en gros d’avoir repris dans un papier les propos de la militante politique, Amira Bouraoui  qui a attaqué  Anis  Rahmani. Il avait tout mis entre guillemets. ” J’ai repris les dires d’une personnalité publique identifiée. Et j’ai tout mis entre guillemets.  Je n’ai fait que mon travail de journaliste qui est de reprendre fidèlement l’information”, a répondu Abderahmane Semmar. “Et je n’ai reçu aucun démenti de la part d’Ennahar ni du Wali” a-t-il ajouté.
Les avocats  ont aussi démontré que les plaintes pour diffamation ne sont pas recevables car c’est la wilaya qui a déposé plainte au nom de Zoukh et la chaîne Ennahar au nom de Rahmani.
En outre, la défense a martelé que la détention des deux journalistes  est  “politique”. “Dans le dossier de Semmar, il apparaît que la gendarmerie lui reproche de conserver un poème contre le 5e mandat du président Abdelaziz Bouteflika” a plaidé Me  Gazem  yacine.
Le juge a demandé à maintes reprises aux avocats de ne pas parler de politique lors des plaidoiries.  Sauf que  la défense a insisté sur le fait que le dossier lui-même était politique.
Pour Me Abdelghani Badi, le dossier n’a rien  de juridique. ” Je suis là pour faire de la politique et je ne peux pas faire autrement car le dossier de Semmar n’a rien de juridique”, a-t-il dit.
Me Zoubida Assoul quant à elle a dit : ” on ne peut pas convoquer un journaliste par téléphone, nous ne sommes pas  dans un système stalinien “.

Pour les avocats Noureddine Ahmine et Nabila Smail, les deux jeunes journalistes ont révélé une affaire de corruption. ” Semmar a fait un travail d’investigation et le parquet devait ouvrir une enquête et non l’emprisonner”, a plaidé  Me Ahmine. Son confrère Mokrane Aït Larbi a souligné lors de sa plaidoirie qu’il était content de voir des jeunes qui lui rappelle sa jeunesse en disant “anerez wela neknu” un dicton kabyle qui veut dire, je préfère me sacrifier que de me soumettre. Il s’est notamment interrogé sur l’absence de Rahmani et de Zoukh. “Est-ce que le tribunal et dédié seulement aux petits, aux faibles et aux pauvres ? ” s’est-il interrogé.
À 22h passées de quelques minutes et après une journée chargée d’émotions, et une soirée de plaidoiries impressionnantes,  le moment du verdict est arrivé. Les présents ont retenu leur souffle attendant la décision du juge. Abderahmane et Merouane relaxés avec nécessité d’un complément d’enquête pour l’affaire qui les concerne.

L’information a immédiatement fait le tour des réseaux sociaux. S’en est suivie une séance photo avec les avocats. Pour certains, il s’agissait de se rendre en vitesse à la prison d’El Harrach  pour accueillir les deux journalistes, désormais libres.

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