La Banque d’Algérie a autorisé la domiciliation des opérations d’importations de produits destinés à la revente en l’état. Ce revirement intervient moins d’une semaine après la suspension décidée par le ministre du commerce Abdelmadjid Tebboune.
Nouveau coup de théâtre dans le commerce extérieur : les banques ont été de nouveau autorisées, dimanche, à enregistrer des opérations d’importation, quatre jours seulement après l’embargo décidé par le ministre (intérimaire) du commerce, M. Abdelmadjid Tebboune, qui voulait soumettre l’ensemble des importations de produits finis au régime des licences.
Ce nouveau revirement du gouvernement sur la question sensible des importations confirme la cacophonie qui domine au sein de l’exécutif, incapable de dégager une ligne de conduite et de la faire respecter, tout comme il révèle les luttes d’intérêts auxquelles sont soumis les centres de décision économiques.
Selon des informations concordantes recueillies dimanche, la Banque d’Algérie a instruit les banques concernées à domicilier de nouveau les opérations d’importation, procédure suspendue depuis mardi dernier. Ce revirement a été décidé après une réunion interministérielle tenue à cet effet jeudi, à la veille du week-end.
Une source proche du dossier a laissé entendre que la réunion de jeudi n’a pas débouché sur une décision claire, mais qu’un arbitrage a été rendu « au plus haut niveau » durant le week-end en faveur d’une reprise des activités d’importation, car contingenter tous les produits constitue « une opération impossible à gérer ».
Teboune, partisan résolu du tout-Etat
Pourtant, le ministre du commerce, M. Teboune, partisan de la gestion administrée à l’ancienne, s’était largement engagé dans cette démarche. Des formulaires avaient été mis en ligne sur le site du ministère du commerce et mis à la disposition des importateurs dans les administrations locales pour les inviter à se porter candidat à l’importation de tel ou tel produit.
La décision avait soulevé un tollé dans les milieux économiques, mettant en doute le sérieux de la démarche. M. Teboune avait pourtant soigneusement préparé le terrain. Il avait critiqué l’importation de produits inutiles, de mauvaise qualité, se moquant des centaines de millions de dollars dépensés pour importer de la mayonnaise, du ketchup et des bananes.
Ce dernier produit a d’ailleurs été le premier à être soumis aux licences d’importation, après les véhicules automobiles. Cinq importateurs avaient ainsi obtenu un monopole de fait sur un produit symbolique.
M. Teboune a promis que les importations seraient réservés désormais à des opérateurs crédibles, des professionnels ayant de l’expérience et ayant réalisé des investissements dans leur domaine d’activité. Mais il avait été férocement raillé, notamment sur les réseaux sociaux, et par ceux qui l’ont accusé de vouloir favoriser les proches du pouvoir.
Un scandale en chasse un autre
Le système des licences a été introduit par l’ancien ministre du commerce, Bakhti Belaïb, décédé il y a trois mois. Les véhicules automobiles, dont les importations avaient explosé, y ont été soumis dès 2016. La facture a baissé de manière drastique (encore -35% durant les deux premiers mois de 2017), mais le marché a été fortement déstabilisé. Les prix ont doublé en deux ans.
Un autre scandale s’est greffé sur cette gestion calamiteuse. Des constructeurs automobiles ont été encouragés à monter des véhicules sur place, bénéficiant de nombreux privilèges, avec l’objectif affiché de remplacer les véhicules importés. De nombreuses unités de montage ont alors proliféré, ou sont sur le point de commencer la production.
Mais cette semaine, il s’est avéré que l’un d’eux, le milliardaire Tahkout, concessionnaire de la marque Hyundai, ne faisait en fait qu’assembler des véhicules reçus en deux ou trois kits. « En guise de montage, il ne fait que monter les roues sur un véhicule déjà prêt », se moque un économiste sur sa page Facebook.
Le gouvernement a annoncé dimanche qu’une commission d’enquête se rendrait dans l’usine de Tiaret de M. Tahkout pour vérifier la conformité des installations avec les engagements de l’homme d’affaires, qui se targue de remplir les conditions fixant à un minimum de 40% d’intégration au bout de cinq ans.
Ce scandale touche de plein fouet M. Abdessalam Bouchouareb, ministre de l’industrie, considéré comme l’un des hommes les plus influents au sein du gouvernement de M. Sellal.
Climat incertain
Par ailleurs, ce nouveau revirement dans le dossier des importations jette une lumière crue sur les luttes entre les réseaux d’importation, très puissants, en mesure d’influer sur la décision économique, et l’administration, contrainte de gérer les difficultés financières mais largement connectée avec les milieux d’affaires.
Ordres et contre-ordres montrent l’absence d’un cap chez un gouvernement dont le ministre du commerce a affirmé qu’il est possible de rogner 15 milliards de dollars sur les importations. Selon lui, surfacturations et gaspillages atteignent ce montant faramineux, alors que son prédécesseur était allé encore plus loin en parlant de 18 milliards de dollars de sorties « illicites » de devises.
En tout état de cause, le gouvernement a perdu tout crédit sur ce dossier, alors que la situation politique du pays est très incertaine. Les élections législatives se tiendront en mai prochain, sur un fond précaire : une baisse drastique des revenus extérieurs du pays, des déficits qu’on ne peut maitriser, et un président de la République extrêmement diminué, qui ne semble plus en mesure d’imposer un cap, ni de procéder aux arbitrages requis.