La perception de l’endettement externe a radicalement changé en une année. Le ministre des Finances estime qu’il « n’est pas une maladie » et plusieurs économistes rappellent qu’il est un instrument banal de financement de l’économie pourvu qu’il ne serve pas à importer des produits finis ou à combler le déficit de la balance des paiements ou du budget.
Totalement exclu il y a deux ans, considéré comme une éventualité hautement improbable il y a un an à peine, l’endettement extérieur pour financer l’économie algérienne apparaît aujourd’hui comme inévitable. Avec la chute des revenus extérieurs du pays, la fonte des réserves de change et les perspectives pessimistes sur l’évolution des prix du pétrole, le ministère des Finances se prépare sans illusions à cette échéance.
Le gouvernement présentait naguère l’absence d’endettement comme une des prouesses du président Abdelaziz Bouteflika, qui avait décidé de rembourser la dette algérienne par anticipation. Aujourd’hui, il apparaît que le désendettement était un non-choix : le pays disposait d’un surplus de devises, il ne savait pas quoi en faire, il a remboursé ses dettes. N’importe quel bon gestionnaire aurait investi cet argent et remboursé avec les richesses générées, tout en dégageant des bénéfices.
Le virage pour la réhabilitation de l’endettement a été amorcé par le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, qui a déclaré, au début du mois, que « la dette n’est pas une maladie ». Il reconnaissait alors implicitement que le discours sur l’endettement était creux. Pour lui, il faut se demander ce qu’il faut faire pour favoriser la croissance : si cela inclut l’endettement, il faut le faire.
« Bannir le financement extérieur est un non sens »
D’autres voix, plus crédibles, ont ensuite repris cet argumentaire. Badreddine Nouioua, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, a ainsi écrit cette semaine que « le recours au financement extérieur est une nécessité » et que « le bannir ou le présenter comme un épouvantail est un non-sens ». Pour lui, « le financement extérieur n’est ni mauvais ni dangereux. C’est sa mauvaise utilisation qui le rend dangereux ».
M. Nouioua a prononcé un long plaidoyer pour l’endettement extérieur s’il doit « financer des investissements utiles, qui contribueront à améliorer les conditions de vie des citoyens, à créer des richesses et des emplois, à dégager des ressources pour rembourser la dette et renforcer l’économie nationale ». Par contre, si l’emprunt est « destiné à importer des produits courants » ou à « financer le déficit de la balance des paiements et celui du budget », il « ne laissera aucun impact sur l’économie », et doit, en conséquence, être évité.
Face à l’attitude hésitante du gouvernement, M. Nouioua affirme que « les tergiversations peuvent continuer tant que le niveau des réserves de change est encore élevé. Les responsables peuvent même déclarer, comme ils le font, que le pays n’a pas besoin » de faire appel à l’endettement externe. Pourtant, poursuit-il, « les investissements des entreprises publiques, tels ceux de Sonelgaz et Sonatrach, ne peuvent être réalisés sans crédits extérieurs ».
« Il faut des emprunts adaptés »
M. Nouioua appelle à privilégier certains emprunts, plus adaptés. Pour les équipements collectifs et sociaux, il appelle à recourir « aux organismes multilatéraux », comme la Banque africaine de développement, la Banque islamique de développement, le Fonds arabe pour le développement économique et social, etc. Pour les projets strictement économiques, associer la Banque Mondiale lui semble opportun, car la BIRD est « plus rigoureuse sur les conditions et les opportunités ». Il invite implicitement à éviter les projets mal conçus, générateurs de gaspillages et de corruption, ainsi que les projets non prioritaires.
D’autres économistes soulignent les vertus « informatives » de l’endettement. Trois d’entre eux, Raouf Boucekine, Elies Chitour et Nour Meddahi, n’hésitent pas, dans une étude publiée le 19 mars dernier par Maghreb Emergent, à parler de « la dette comme signal de qualité d’un projet ».
« Bien négocier les conditions d’endettement »
Banalisant le recours à l’endettement, ils soulignent que « l’endettement externe est un outil parmi d’autres pour financer l’économie du pays », et ils appellent à « ne surtout pas (le) rendre seul coupable de ce qui s’est passé » en Algérie à la fin des années 1980, lorsque la dette avait explosé, entraînant des difficultés économiques qui ont débouché sur les évènements d’octobre 1988.
Raouf Boucekine, Elies Chitour et Nour Meddahi appellent eux aussi à faire preuve de la plus grande prudence lorsqu’il y a recours à l’endettement extérieur. Celui-ci doit, selon eux, « financer uniquement les projets dont les revenus futurs pourront rembourser plus tard la dette ». De plus, ajoutent-il, il faut éviter l’endettement « de court terme, car les revenus mettront du temps à être générés. Il faut une maturité minimale de cinq ans ». Enfin, ils appellent même à offrir une garantie de l’Etat aux « entreprises qui ont des revenus en devises », celles-ci étant « plus à même de rembourser leur dette car elles ne seront pas exposées au risque de change ».