Le débat sur le projet de loi de finances pour l’année 2016 a donné lieu à des interventions très hautes en couleur : « abandon de la souveraineté nationale », « agression sauvage et fatale contre le pouvoir d’achat des algériens » et même trahison pure et simple de la révolution étaient au menu ….
Responsables de parti et parlementaires, ont ouvertement critiqué pendant trois jours le projet de loi de finances 2016 qui a été élaboré, pour la première fois depuis de nombreuses années, dans un contexte de crise économique. Les députés ont tout d’abord sévèrement critiqué les déclarations de M. Benkhalfa , l’accusant de s’être attribué des prérogatives qui sont du ressort exclusif du Parlement, qui n’a pas encore adopté ce projet de loi. «Tant que le projet de loi de finances n’est pas approuvé par les deux Chambres, le ministre des Finances n’a pas le droit d’annoncer des augmentations de prix du carburant ou autres», ont dénoncé des députés du Parti des travailleurs (PT) et du Mouvement pour la société et la paix (MSP). Abderrazak Makri, patron du MSP, considère, quant à lui, que ce texte de loi est «dangereux» parce qu’ « il livre le pays aux hommes d’affaires avec une bénédiction étrangère ». Il révèle que même les députés de la majorité (FLN, RND) contestent ce projet mais, discipline oblige, ne peuvent pas aller à l’encontre de leur direction… «Il y a une prise en otage de l’Etat», déplore M. Makri. Des députés de différentes tendances se sont insurgés également contre les articles 2, 14, 26, 34, 53, 59, 59, 66, 71… qui confirment, selon eux, la «mainmise du milieu des affaires» sur le projet de loi de finances en vue de «s’emparer de l’Etat», en raison de la part belle qu’il leur offre, notamment en termes de cession de terrains, ainsi que « de la possibilité d’entrer dans les capitaux d’entreprises représentant la souveraineté nationale que sont par exemple Sonatrach et Sonelgaz, pour prendre leur contrôle par la suite ». Mais la palme de l’outrance revient, une fois de plus et indiscutablement, à la secrétaire générale du PT, Mme Louisa Hanoune, qui s’est élevée contre ce texte de loi qu’elle qualifie d’«offensive sauvage et fatale pour le pouvoir d’achat» des Algériens. Plus que cela, elle estime que certaines des mesures du PLF 2016 consacrent le «recul de la souveraineté nationale» et la «constitutionnalisation de la prédation locale et étrangère» érigée en «système». «A travers cette loi, on prépare la rupture entre le peuple et l’Etat. Si le projet passe, ce serait une trahison à la Révolution !» s’est exclamée Mme Hanoune.
Benkhalfa livre des chiffres inédits
Dans cette ambiance survoltée, le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, a reconnu l’existence de « risques à moyen et long termes sur les équilibres budgétaires ». L’inquiétude du ministre est motivée par des indicateurs macroéconomiques qui devraient se dégrader en globalité durant l’année 2016. C’est ainsi qu’en évoquant le cadrage macroéconomique du PLF 2016, le ministre des Finances parle de la baisse des revenus issus de l’exportation d’hydrocarbures. Ces derniers devraient ainsi s’établir à 26,4 milliards de dollars en 2016, contre une prévision de clôture de 33,8 milliards de dollars en 2015. Le premier argentier du pays a également évoqué le niveau des réserves de change qui risquent de passer de 151 milliards de dollars en 2015 à 121 milliards à fin 2016. Un niveau qui représente 23 mois d’importations. Des chiffres qui ne semblent pas entamer pour autant l’optimisme du ministre des Finances, qui estime que « ce niveau de réserves est plus important que ce dont disposent de nombreux pays. «Encore faut-il préserver ces réserves et ne pas alimenter les importations», a ajouté prudemment M. Benkhalfa. Autre chiffre inédit annoncé par le ministre des finances, le gouvernement table sur un déficit budgétaire de 12% en 2016.
Les subventions à 26 % du PIB selon la Commission des finances
Plus pondérée que les « députés de base » la commission des finances et du budget de l’APN a précisé que l’épargne cumulée au sein du FRR devrait passer de 3081,9 milliards de dinars à fin 2015 à 1797,4 milliards de dinars en 2016, perdant ainsi près de la moitié de ses dotations. Toujours selon le rapport de la commission des finances, le montant des transferts sociaux budgétisés a atteint 1840,5 milliards de dinars dans le cadre du PLF 2016, en hausse de 7,5% par rapport à la LFC 2015. De même qu’il estime le montant des subventions indirectes à 2560 milliards de dinars, dont plus la moitié au profit de l’énergie. Globalement, les subventions budgétisées et implicites représentent 26,4 % du PIB.
De nouvelles taxes et redevances
Les principales nouveautés annoncées par le projet de loi de finances pour 2016 concernent notamment une hausse des prix des produits énergétiques et des carburants. Il prévoit l’application d’un taux de TVA de 17% sur le gasoil la consommation de gaz dépassant les 10 000 thermies par an, ainsi que sur celle d’électricité dépassant les 1000 KWh/an. Une nouvelle taxe sur les produits pétroliers sera également appliquée aussi bien sur l’essence que le gasoil. Sur un autre volet, le texte propose dans ses dispositions domaniales de réaménager les autorisations de la pêche du corail par les navires corailleurs en instituant une redevance annuelle de 100.000 DA pour l’obtention de cette autorisation. Il instaure en outre un réaménagement de la redevance de l’usage à titre onéreux du domaine public hydraulique pour l’exploitation commerciale des eaux minérales naturelles et des eaux de sources.
L’aménagement des zones industrielles ouvert au privé
Concernant l’investissement, le PLF 2016 propose des mesures incitatives pour encourager les investissements, notamment productifs et ceux relevant des industries naissantes. Ces dispositions portent essentiellement sur la facilitation de l’accès au foncier économique et au financement ainsi que la simplification de procédures fiscales. Selon le projet de loi, la création, l’aménagement et la gestion des zones d’activités et zones industrielles seront autorisés pour les opérateurs privés. Il est également proposé de supprimer l’obligation de réinvestissement de la part des bénéfices correspondant aux avantages accordés dans le cadre des dispositifs de soutien à l’investissement. Le projet de loi propose, en outre, de limiter à 3% au maximum le taux de la bonification par le Trésor public des crédits bancaires accordés aux investissements autres que ceux relevant des dispositifs Ansej, Cnac et Angem ou ceux réalisés dans des régions spécifiques (Sud et Hauts Plateaux). Le PLF 2016 prévoit enfin la clôture à fin 2017 de six comptes d’affectation spéciaux du trésor (CAS), précisant que tout compte clôturé serait affecté au budget de l’Etat. Le débat parlementaire devrait s’achever mardi après midi et être suivi par une « réponse »du ministre des finances, alors que le vote de la loi est prévu lundi prochain.