Il y a un an, le prix du baril de pétrole a entamé une longue et forte baisse qui a engendré des conséquences très négatives pour les économies pétrolières comme celle de notre pays. Ainsi, le prix du baril du pétrole Brent qui valait 110 $ fin juin 2014 ne valait que 63 $ fin juin 2015, soit une baisse de plus de 40 %, avec un minimum à 48 $ au mois de janvier et une moyenne de 60 $ pour les six premiers mois de 2015.
Parce que notre pays est fortement dépendant des recettes des hydrocarbures, cette baisse a entraîné des conséquences dramatiques pour l’économie du pays :
– Une forte baisse du dinar : Un $ valait 79,5 DA fin juin 2014, contre 99,5 DA fin juin 2015, soit une baisse de près de 20% de la valeur du dinar. La moyenne des six premiers mois de l’année 2015 de la valeur du $ est de 95,7 DA contre 80,6 DA pour l’année 2014, soit une baisse de 15,7%. Par contre, le dinar est resté relativement stable par rapport à l’euro car la monnaie européenne a aussi beaucoup baissé par rapport à la monnaie américaine.
– Un très fort déficit budgétaire : Selon le site internet du Ministère des Finances, le déficit budgétaire des trois premiers mois de 2015 s’élève à 457,2 mds de dinars. Si le même rythme est maintenu pour toute l’année 2015, le déficit budgétaire annuel serait de 1828,8 mds de dinars. En prenant un taux de change de 1 $ contre 95,7 dinars, soit la moyenne des six premiers mois de 2015, ce déficit vaudrait 19 mds $.Ce déficit, qui sera essentiellement financé par le Fonds de Régulation des Recettes (FRR), représente 41,5% de ce FRR. Nous faisons face à une forte crise budgétaire qui nécessite des actions urgentes.
– Une très forte baisse des dépenses en équipement : Selon le site internet du Ministère des Finances, les dépenses d’équipements des trois premiers mois de 2015 s’élèvent à 457,3 mds de dinars, soit autant que le déficit budgétaire. Une fois annualisées, ces dépenses équivalent à 1829,4 mds de dinars, contre 2493 mds de dinars pour l’année 2014, soit une baisse de 26,6% en nominal et 31,5% en tenant compte de l’inflation (5%). Les dépenses en équipement sont faites en bonne partie en devises. La baisse des dépenses en équipement est plus forte en $ : -41%. On peut donc en conclure que pour le moment la principale action prise par le gouvernement est de réduire les dépenses en équipement.
– Une forte baisse du Fonds de Régulation des Recettes : Fin 2014,le montant du FRR était de 4 408 mds de dinars. La ponction intégrale du déficit budgétaire de 2015, soit 1828,8 mds de dinars réduirait le montant du FRR à 2 579,2 mds de dinars. Au même rythme et si rien n’est fait, le FRR s’épuisera en mai 2017.
– Fort déficit de la balance commerciale :Après de longs mois de flou artistique où les chiffres produits par les Douanes, optimistes et visiblement erronés, étaient en flagrante contradiction avec ceux du Ministère des Finances, les chiffres du mois de mai des deux institutions coïncident et apparaissent du coup plus crédibles : Le montant du déficit commercial pour les cinq premiers mois de 2015 est de 6,4 mds $. Ce déficit devrait être proche de 16 mds $ pour toute l’année 2015.
– Effondrement de la valeur des exportations : Les exportations des cinq premiers mois de l’année 2015 se sont établies à 15,94 mds $ contre 28,31 mds à la même période de 2014, soit une chute de 43,67%. Cette chute est tirée par la baisse du prix des hydrocarbures qui représente l’essentiel de nos exportations. En effet, le prix du baril de Brent (prix de référence du pétrole algérien) valait en moyenne 108,22 $ durant les cinq premiers mois de 2014 contre 59,15 $ pour la même période de 2015, soit une baisse de 45,3%. Les six premiers mois de 2015 ont connu une baisse semblable (44,8%). Tout porte à croire qu’il ne faut pas espérer un rétablissement important des prix du pétrole. Eneffet, la semaine qui vient de s’écouler a été la pire depuis mi-mars en termes de baisse du prix du pétrole. Il faut dire que les nouvelles provenant de l’industrie américaine du schiste ne sont pas bonnes : pour la première fois depuis 29 semaines (soit au lendemain de la réunion de l’OPEP du mois de novembre), le nombre de puits de pétrole américains opérationnel a augmenté, ce qui pourrait suggérer que l’industrie du schiste est en train de s’ajuster. Sans oublier que les pourparlers entre l’Iran et les pays occidentaux suggèrent un retour en force du pétrole perse sur le marché à partir de janvier 2016.
– Baisse des importations en valeur mais quasi-stabilité en volume de fait : Les importations se sont élevées à 22,33 mds $ pour les cinq premiers mois de l’année, contre 24,87 mds pour la même période de 2014, soit une baisse de 10,2%. La moitié des importations provient de la zone Euro. Au cours des cinq premiers mois de l’année 2015, un euro valait en moyenne 1,12 $ contre 1,37 $ pour la même période de 2014, soit une baisse de 18,2%. Ce qui implique que les importations de la zone Euro sont passées de 9,08 mds d’euros en 2014 à 9,97 mds d’euros, soit une hausse (et non pas une baisse) de 9,8%. Par contre les importations payées en $ ont baissé de 10,2%. Si nous prenons les importations en volume de 2014, nous pouvons affirmer que la moitié importée en euro a augmenté de 9,8% alors que la moitié importée en $ a baissé de 10,2%. Ainsi donc, même si nous n’avons pas les chiffres détaillés des douanes, tout porte à penser que certains produits qui étaient importés en 2014 hors de la zone Euro proviennent maintenant de cette zone. Nous pouvons conclure que pour les cinq premiers mois de l’année 2015, le volume des importations est au même niveau que celui de la même période de 2014.
– Fort déficit de la balance de paiement : Il faudra ajouter au déficit de la balance commerciale 4 mds $ de l’opération Djezzy et une douzaine de mds de $ pour les services et les transferts de dividendes des sociétés étrangères. Ce qui donnerait une balance de paiement déficitaire de 30 mds $.Etant donné le montant des réserves de changes (179 mds de $ fin décembre 2014), il n’y a pas beaucoup de soucis à se faire pendant au moins cinq années.
– Inflation : Selon l’Office National des Statistiques (ONS), l’inflation annuelle à mai 2015 était de 4,8%. Elle est clairement en augmentation par rapport aux années 2013 (3,3%) et 2014 (2,9%) mais ne se situe pas trop loin de la moyenne de la période 2001-2014 (4%). Il est important de noter que le poste Produit Frais est pour 40% responsable de cette augmentation : autrement dit, sur les 4,8% d’inflation, 2,3% sont imputables aux produits frais. La baisse du dinar n’explique qu’une petite partie de l’inflation, surtout que l’inflation mondiale est très basse.
Après de longs mois d’une quasi-atonie où une approche sémantique a pris le pas sur un discours de vérité, le gouvernement algérien par la voix du Premier Ministre M. Abdelmalek Sellal a commencé à renvoyer à la population la gravité de la situation, et partant, la nécessité d’ajustements douloureux. Dans son discours du 30 mars dernier, M. Sellal a principalement ciblé les secteurs du commerce extérieur et informel. Ce qui est un bon début. De nombreuses déclarations d’intention, parfois contradictoires, ont suivi que ce soit sur le thème très important des subventions (notamment énergétiques) ou sur les quotas d’importation de voitures et de ciment. D’autres débats connexes ont émergé, en particulier sur la valeur de notre monnaie nationale. Tous ces débats sont nécessaires pour peu qu’ils débouchent à court terme sur une politique économique cohérente et visionnaire, et ne restent pas lettre morte sous les coups de boutoirs des mille et un lobbys, internes et externes, encore très actifs. La détérioration des positions budgétaire et extérieure de l’Algérie est si grave que des actions fermes et bien articulées sont urgemment requises. Nous passons en revue ci-après quelques points centraux des débats ouverts.
Sur la valeur du dinar algérien
Le dinar a beaucoup baissé par rapport au dollar américain depuis juin 2014 puisqu’un dollar valait 79,3 DA le 30 juin 2014 contre 99 DA le 30 juin 2015, soit une baisse de 20%. Cette baisse est partagée par plusieurs économies dépendantes des hydrocarbures et des matières premières : Australie : -19,6% ; Canada : -15,2% ; Norvège : -21,6% ; Russie : -40%. Nous pensons que le dinar algérien est encore surévalué et qu’il devrait baisser encore plus.
En janvier dernier, M. Abderrahmane Benkhelfa, membre du Conseil de la Monnaie et du Crédit (CMC), devenu récemment ministre des finances, s’est longuement exprimé sur la Radio M de Maghreb Emergent sur les problèmes du système financier algérien et sur sa vision des solutions. Concernant le dinar, on peut résumer son intervention par les points suivants :
1- Le dinar est surévalué. Il doit baisser.
2- Le marché de change parallèle ne peut plus continuer.
Entre autres solutions, M. Abderrahmane Benkhelfa a proposé :
1- Etablir plusieurs taux de change selon les produits et services.
2- Assécher la demande de devises en augmentant les allocations touristiques, des études et des soins à l’étranger.
Depuis le remaniement ministériel, une dépêche de l’APS datée du 20 mai affirme qu’une source de la Banque d’Algérie (BA) lui a indiqué que :
– La baisse du dinar depuis juin 2014 est due à la baisse du prix du pétrole. C’est une dépréciation et non pas une dévaluation.
– Il n’est pas dans l’intérêt de l’Etat de procéder à une dévaluation du dinar du fait qu’une telle opération aurait alourdi les dépenses publiques, explosé la facture des subventions, et accentué l’inflation importée.
– La BA doit choisir entre réduire les importations et appauvrir les ménages ou laisser les ménages consommer comme ils le font habituellement et tant pis pour les importations.
– Les banques centrales dévaluent leur monnaie dans le but de rendre leurs exportations moins chères et, donc, plus attractives. Or, l’Algérie, qui n’exporte que des hydrocarbures, n’est pas dans ce cas de figure et ne tirerait pas profit d’une dévaluation.
Outre le fait que la communication de la BA détonnerait en cette occasion (depuis quand les banques centrales ont-elles pour fonction de cibler les importations et/ou la consommation des ménages ? Notre pays serait-il une exception dans ce domaine ?), on peut noter la différence entre les deux déclarations : la première, celle de M. Benkhelfa, certes pas encore arrivé aux affaires, est bien plus nette quant à la nécessité de ramener le dinar à sa vraie valeur alors que le responsable de la BA semble s’excuser, au nom de son institution, d’avoir dû actionner la baisse de notre monnaie nationale en jouant assez lourdement sur la distinction dévaluation/dépréciation.
Pourtant, en l’occurrence, la BA n’a pas à s’excuser de faire son travail, et doit assumer cette baisse qu’aucun économiste sérieux ne peut désavouer. Comme institution économique sérieuse et responsable, la BA ne doit pas céder aux campagnes orchestrées par certains lobbys contre la baisse du dinar. De notre point de vue, elle doit même accentuer la baisse, et on serait encore loin d’une dévaluation au sens de la communication ci-dessus de la même banque.
Prix d’équilibre du dinar selon la BA
Le taux de change du dinar contre les devises étrangères est déterminé par la BA en tenant compte de son modèle d’équilibre et de la demande en devises étrangères de l’économie du pays pour le financement des importations des biens et des services. Ce modèle tient compte des fondamentaux de l’économie du pays, en particulier le prix et la production du pétrole, les dépenses publiques, la productivité et le différentiel entre l’inflation du pays avec celles de ses partenaires commerciaux. La BA ne donne pas les détails de son modèle, mais elle communique à travers sa note de conjoncture trimestrielle sur la situation du dinar par rapport à son prix d’équilibre. Ainsi, la BA nous a informés qu’en septembre 2014, le dinar était surévalué de 5,11% par rapport à son niveau d’équilibre. La dernière note de conjoncture (décembre 2014) est moins précise, mais la BA affirme que « le taux de change effectif réel s’est légèrement apprécié en 2014 par rapport à l’année 2013 », alors que le rapport annuel de la BA de l’année 2013 nous informe que le dinar était déjà surévalué de 4%.
Le dinar a beaucoup baissé par rapport au dollar en valeur nominale depuis janvier 2015 (-11,2%), mais c’est aussi le cas de beaucoup de monnaies, incluant l’euro. Il est donc possible voire probable que le dinar soit encore surévalué par rapport au prix d’équilibre du modèle de la BA. Nous attendons avec grand intérêt la note de conjoncture du premier trimestre 2015. Il apparaît déjà certain qu’il y a encore une marge à la baisse du dinar par rapport à sa valeur d’équilibre, la marge de 5% mentionnée par la BA n’étant qu’une borne inférieure à cette marge.
Comparaison de l’évolution du dinar avec la couronne norvégienne et le rouble russe :
Une autre manière d’analyser l’évolution du dinar est de la comparer avec celle des autres devises de pays dont l’économie dépend fortement des hydrocarbures. Les monnaies des pays du golfe sontfixées par rapport au dollar et par conséquent, aucune information ne peut en être tirée de l’expérience de ces pays. Les sanctions économiques que subit l’Iran, la situation économique désastreuse du Venezuela et l’état de guerre de l’Iraq et la Libye excluent ces pays. Nous allons donc nous concentrer sur deux pays européens, la Norvège et la Russie, dont la valeur des monnaies est librement fixée par le marché, même si cette dernière fait aussi l’objet de sanctions économiques qui ont significativement affecté l’évolution de sa monnaie.
Figure 1 : Prix hebdomadaires du Brent et de plusieurs devises (Dinar algérien, Euro, Couronne norvégienne et Rouble russe) contre le $ entre le 29 juin 2014 et le 28 juin 2015. Prix normalisés à 100 en début de période.
La Figure 1 montre les valeurs hebdomadaires depuis fin juin 2014 à fin juin 2015 du prix du pétrole, et de la valeur contre le dollar américain de plusieurs monnaies, à savoir le dinar algérien, la couronne norvégienne, le rouble russe et l’euro. Pour faciliter la comparaison, tous les prix ont été ramenés à 100 à fin juin 2014. Par exemple, une valeur de 90 pour le dinar indique une baisse de 10% depuis fin juin 2014 du dinar par rapport au dollar.
On peut tirer les principaux points suivants de la Figure 1 :
– Globalement, les variations à la baisse du dinar sont grosso modo semblables à celles de la couronne norvégienne et aussi à l’euro. Par contre, les variations du rouble russe sont beaucoup plus fortes et très corrélées avec celles du pétrole.
– Jusqu’au mois de novembre, le dinar et la couronne norvégienne ont eu les mêmes baisses, alors que le rouble russe a baissé très fortement. A partir de novembre (Semaine 22 sur la Figure), et suite à la réunion de l’OPEP, le prix du pétrole et le rouble russe s’effondrent, la couronne norvégienne baisse fortement mais le dinar diminue nettement moins.
– A partir de mi-janvier (Semaine 30), le pétrole et le rouble se redressent nettement, la couronne norvégienne se stabilise globalement alors que le dinar continue sa baisse pour rattraper celle de la couronne norvégienne. La date de mi-janvier n’est pas anodine ; le 20 janvier, l’ancien Ministre des Finances, M. Mohamed Djellab, avait affirmé « à l’avenir le citoyen paiera ce qu’il doit payer ». D’ailleurs, le représentant de la Banque Mondiale à Alger, M. Emmanuel NoubissieNgankam situe à cette date le possible changement de la donne gouvernementale.
– Cependant au jour d’aujourd’hui, la baisse du dinar reste inférieure à celle de la couronne.
– Pendant tout ce temps, la situation économique dégradée de l’Europe a fait baisser l’euro. Il est remarquable de noter que les baisses de l’euro et du dinar sont fortement corrélés, ce qui est assez informatif sur le modèle qu’utilise la BA.
Sur la période Juin 2014- Juin 2015, les baisses ont été de 43,4% pour le Brent ; 20% pour le dinar algérien ; 21,6% pour la couronne norvégienne ; 40% pour le rouble russe et 18,4% pour l’euro.
Les comparaisons précédentes sont nominales et ne tiennent pas compte de l’inflation des différents pays et zones. Les taux d’inflation à Mai 2015 sont de 4,8% pour l’Algérie ; 2,1% pour la Norvège ; 15,8% pour la Russie ; 0,3% pour la zone Euro et 0% pour les Etats-Unis. En terme réel, ces taux d’inflation impliquent que les baisses réelles sont de 15,2% pour le dinar ; 19,5% pour la couronne ; 24,8% pour le rouble et 18,5% pour l’euro.
Comparons maintenant les variations du dinar, de la couronne et du rouble par rapport à l’euro. La Figure 2 montre les fluctuations hebdomadaires des taux de change contre l’euro de ces trois monnaies sur la même période Juin 2014 – Juin 2015. On peut constater que jusqu’à mi-avril de cette année (Semaine 43), la valeur du dinar par rapport à l’euro est restée au-dessus de celle de juin 2014, au contraire de la couronne norvégienne et du rouble russe. Ensuite, la baisse du dinar a été plus forte que celle de la couronne pendant quatre semaines, mais à nouveau et ce depuis mi-mai (Semaine 47), la baisse du dinar est plus faible que celle de la couronne.
Figure 2 : Valeurs hebdomadaires de devises (Dinar algérien, Couronne norvégienne et Rouble russe) contre l’Euro entre le 29 juin 2014 et le 28 juin 2015. Valeurs normalisées à 100 en début de période.
Sur la période totale, les baisses nominales ont été de 1,5% pour le dinar; 4% pour la couronne et 24% pour le rouble russe. En tenant compte de l’inflation, la valeur du dinar algérien a en fait augmenté de 3% par rapport à l’euro, alors que la couronne norvégienne a baissé de 2,2% et le rouble russe de 8,5%.
Il est notable de remarquer que personne en Europe, Norvège et Russie ne parle de dévaluation de leur monnaie mais uniquement de baisse à cause de facteurs économiques. Bien au contraire, le Gouverneur de la Banque Centrale de la Norvège s’est publiquement réjoui de la baisse de la couronne norvégienne car elle aide son pays à atténuer les conséquences de la baisse du prix du pétrole. C’est aussi le cas des dirigeants des pays de la zone Euro car la baisse de l’euro aide l’économie de cette zone à redresser la barre par des gains en compétitivité des exportations hors zone Euro. Symétriquement, les Etats-Unis se plaignent de la valeur plus élevée de leur monnaie par rapport à l’euro. En Algérie, des cercles proches de certains lobbys utilisent sciemment le terme « dévaluation » pour des raisons populistes évidentes pour qualifier la baisse économiquement justifiée du dinar, entraînant ainsi la BA dans une communication parascientifique peu reluisante.
Pourtant, on peut affirmer que le dinar a baissé moins que la couronne norvégienne par rapport au dollar et à l’euro de 2% en termes nominaux et de 5 % en termes réels, sachant que l’économie scandinave est très nettement plus diversifiée et efficiente (au sens « plus grande productivité ») que la notre. Sans rentrer dans l’analyse théorique conventionnelle de la dynamique des taux de change (notamment réels), on peut abonder, dans un confort intellectuel certain, dans le sens de la BA : le dinar a évolué dans le bon sens, mais reste encore significativement au dessus de sa valeur d’équilibre.La BA reconnaît elle-même une surévaluation de 5% par rapport à cette valeur, mais de notre point de vue, cette surévaluation est plus probablement une borne inférieure à une marge de baisse immédiate.
La source de la BA que cite la dépêche de l’APS justifie la frilosité de la BA par deux arguments : l’inflation importée et l’insuffisante diversification de notre économie faisant qu’un dinar plus bas ne signifie pas forcément plus d’exportations. Le premier argument est très standard. Comme évoqué au début de cette contribution, rien ne permet de penser que la baisse du dinar et l’inflation importée soient le facteur explicatif principal de la dynamique de l’inflation algérienne ces derniers mois. Nous détaillons notre analyse sur ce point ci-dessous. Sur le deuxième argument, la BA manque singulièrement de vision de long terme. Faut-il habituer les algériens à vivre au dessus de leurs moyens, avec un dinar surévalué, encore longtemps et à continuer à importer à tout bout de champs…sous prétexte qu’ils ne savent pas exporter ? ! Mais quelle est donc la logique de ce raisonnement affreusement short-termist ? Le bon argument ne serait-il pas à prendre à l’envers ? Et l’analyse ne devrait-elle pas plutôt être intertemporelle et bien peser que face à des importations enfin à leur prix réel, les incitations à la production (nationale) seraient bien plus puissantes ? La question n’est même pas du ressort exclusif de la BA comme nous avons indiqué ci-dessus : il est absolument nécessaire que l’autorité politique s’exprime clairement dans ce dossier fondamental et tienne le discours de vérité qui convient en ces circonstances exceptionnelles.
Effets négatifs et effets positifs de la baisse du dinar
Bien sûr, la baisse du dinar a des effets négatifs et des effets positifs. Le principal effet négatif est évidemment l’augmentation des prix des biens importés et payés en $, c’est-à-dire l’inflation. Comme nous l’avons déjà dit, l’inflation mondiale est très faible ; elle est de 0,3% dans la zone Euro ; 0% aux Etats-Unis et 1,2% en Chine. L’indice des prix de la production chinois est en baisse de 4,6% (alors que le Yuan est resté stable par rapport au $). Les matières premières sont en forte baisse, en particulier les produits agricoles que l’Algérie importe beaucoup comme on peut le constater en parcourant l’indice des produits alimentaires suivants : indice global : -22% ; blé : -35% ; maïs : -23% ; riz : -5% ;Sucre : -30%. Ainsi, la baisse du dinar par rapport au $ (20%) est largement compensée par les baisses des produits agricoles. Quant aux biens importés de la zone Euro, soit 50% des importations, les prix sont soit stables puisque l’euro n’a pas varié par rapport au dinar, soit en baisse car les prix européens sont plutôt en baisse. Ces différents paramètres expliquent l’inflation modérée que nous avons au mois de mai 2015.
Un autre effet négatif est l’augmentation des prix de l’investissement public puisqu’il faut importer la matière première et aussi l’expertise étrangère. Mais la baisse du dinar rend les entreprises algériennes plus compétitives pour la réalisation des projets d’infrastructures et donc des effets positifs devraient apparaître.
Le principal effet positif de la baisse du dinar est sur les finances publiques. Comme les exportations des hydrocarbures ont baissé de 43,67% entre les cinq premiers mois de 2015 et de 2014, le montant en $ des recettes fiscales pétrolières a aussi baissé de 43,67%.Mais les recettes fiscales sont de fait comptabilisées en dinars et l’Etat paye ses dépenses internes en dinar, en particulier les salaires et les retraites des fonctionnaires. Or, la forte baisse du dinar par rapport au $ atténue la baisse des recettes fiscales pétrolières en dinars ; cette baisse est 31,5% et non pas 43,67%.
De la même manière, les recettes ordinaires liées aux importations profitent de la baisse du dinar. Ainsi, même si le montant en $ des importations des cinq premiers mois de l’année 2015 a baissé de 10,2% par rapport à la même période de l’année 2014, ce montant en dinars a en fait augmenté de 9,1%. Ainsi, les recettes liées aux importations (TVA, droits de douanes) ont augmenté de 9,1%.
Nous insistons pour dire que contrairement à ce que prétendent certains, ces gains fiscaux engendrés par la baisse du dinar sont des gains réels pour le Trésor et que ceci aide à amortir le choc de la baisse du prix du pétrole.
Il est aussi important de noter que les variations du dinar ne devraient pas être sans conséquence sur le montant du FRR. En effet, l’argent du FRR n’a pas été transformé en dinar ; il est déposé par le Trésor au niveau de la BA ; cet argent fait partie des réserves de changes que gère la BA ; le Trésor fait évidemment sa comptabilité en dinars. Mais quand le dinar baisse, la contrepartie en dinar des réserves de changes devrait augmenter. Autrement dit, nous pensons que le montant du FRR devrait être supérieur à 4 408 mds de dinars. Ainsi, en supposant que les réserves de change étaient réparties à hauteur de 60 % en $ et le reste en d’autres monnaies (euro, livre sterling et yen), le montant du FRR devrait être augmenté de 313 mds de dinars, ce qui donnerait un montant global de 4721 mds de dinars. Le même raisonnement devrait être appliqué à la contrepartie en devises de la masse monétaire.
Sur le redressement des finances publiques
Le discours gouvernemental sur la prise en compte du contre-choc pétrolier dans l’élaboration des lois de finance a été suivi par plus de polémiques sur la place publique par médias interposés que de décisions effectives. Nous reprenons ci-dessous quelques points de discussion actuels.
Réduire les subventions
Dans une contribution datée du 15 janvier dernier[1], nous avons souligné le caractère anti-économique et anti-social de nombre des subventions actuelles, en particulier celles en faveur de la consommation des produits énergétiques. Le montant ahurissant de ces dernière subventions (qui sont essentiellement implicites, c’est-à-dire non incluses dans le budget de l’État), et ce quelque soient la méthode de calcul et les hypothèses de travail adoptées, rend inéluctable une remise à plat profonde, dans une période où la position budgétaire de notre pays est extrêmement délicate, et à court terme intenable. Nous renvoyons le lecteur à la note publiée en ligne pour bien visualiser l’énormité de ce problème à tout point de vue.
Le Supplément Economie du quotidien El-Watan a publié le 8 juin dernier les résultats d’une enquête confidentielle du Ministères des Finances (que nous aimerions lire) basée sur l’enquête de l’ONS de la consommation des ménages de l’année 2011. Un chiffre suffit pour expliquer la gabegie et le caractère anti-social des subventions à l’algérienne : la moitié la moins aisée de la population reçoit 28% des subventions totales; le reste, soit 72% va chez la moitié la plus aisée.
Le caractère régressif extrême de ces subventions étant avéré, l’idée de réserver les produits énergétiques subventionnés aux catégories sociales les moins favorisées (par exemple via un système de cartes réservées à ces catégories) est frappée au coin du bon sens. Nous avions plutôt plaidé pour une réduction graduelle des subventions, et une redistribution aux plus démunis des recettes dégagées pouvant cibler des biens et programmes d’investissement hors secteur énergétique (comme les programmes pour le logement social par exemple). Il nous a semblé que cette dernière solution soulevait moins de problèmes techniques (comme de définir précisément les catégories autorisées à consommer de l’énergie subventionnée). En tout état de cause, le plus important dans la conjoncture actuelle est d’agir d’urgence pour dégonfler la facture énergétique déraisonnable qui grève le budget de l’Etat et qui profite à la contrebande. Le gouvernement doit avoir le courage politique de trancher dans les plus brefs délais et de choisir la formule qui mettrait fin à cette grave anomalie, il y va de sa crédibilité et de sa réputation.
Deux critiques sont formulées par les opposants au système de cartes. La première est que l’administration algérienne n’est pas prête pour implémenter ce système de cartes. Ce système n’est pas nouveau. L’Egypte l’a mis en place il y a une année pour le pain avec grand succès. Il est mis en place progressivement et région par région ; certains utilisent du papier en attendant d’obtenir les cartes. Mais le succès de l’opération est énorme : les égyptiens ne font plus la queue pour acheter du pain ; la qualité du pain s’est améliorée (les boulangers se font à nouveau concurrence !) ; le gâchis de pain a diminué (la consommation a baissé de 20%). Et l’opération a fait gagner des points de popularité au président égyptien. L’administration algérienne est aussi capable que celle de l’Egypte et elle a beaucoup plus de moyens pour réussir.
L’autre argument est lié à la corruption. C’est un fait, la corruption gangrène l’administration algérienne. C’est le cas aussi de l’administration égyptienne. Rappelons les classements de Transparency International pour la perception de la corruption : L’Algérie est 100ème alors que l’Egypte est 95ème sur 175 pays.
Combattre l’informel
Dans son discours remarqué du 30 mars dernier, le premier ministre Sellal a explicitement ciblé le secteur informel. Il est temps, en effet, de s’attaquer à un véritable fléau qui pèse lourdement sur le budget de l’Etat. Mais au lieu d’un véritable plan bien articulé et complet visant réellement à combattre le secteur informel, la principale initiative qui semble avoir émergé est l’amnistie fiscale (moyennant une pénalité à taux plutôt réduit). C’est très insuffisant compte tenu des objectifs affichés. Il y a des de nombreuses raisons de penser qu’axer une politique anti-informel sur l’amnistie fiscale ne peut réussir dans un pays comme le notre si l’objectif poursuivi est un démantèlement significatif et durable de ce secteur. Sans rentrer trop dans la littérature économique abondante sur ce sujet, il est en effet difficile de penser qu’une amnistie ponctuelle comme celle prétendument préparée par le gouvernement puisse avoir un impact à long terme sur la taille du secteur informel en Algérie, elle pourrait même avoir à terme un effet contraire car elle déculpabiliserait ceux qui jusqu’alors étaient pleinement dans la légalité, qui seraient alors tentés,voire incités à « tricher ». Un résultat bien connu dans la littérature de finances publiques est qu’une amnistie n’a d’effet durable que si elle est accompagnée de l’engagement de l’Etat à augmenter ses efforts (au sens large) pour identifier et punir les comportements illégaux, et si cet engagement est crédible. Autrement dit, une amnistie ne peut avoir d’effet significatif à long terme que si les institutions du pays sont de bonne qualité et perçues comme telles par les citoyens. Si par exemple, ces institutions ne sont pas montrées irréprochables dans un passé proche à lutter et à sévir contre la corruption, il y a fort à parier qu’une amnistie ne sera au mieux qu’une péripétie : elle pourra rapporter plus ou moins d’argent dans les caisses de l’Etat (et les fortunes sont vraiment diverses sur ce plan comme on peut s’en rendre compte en comparant les expériences nombreuses des pays européens depuis les années 80) mais elle n’est pas de taille à régler le problème crucial (de la taille) du secteur informel en Algérie. Pour cela, il faudrait un vrai plan d’action, et non pas un gadget fiscal. L’expérience de pays comme la Slovaquie pourrait bien plus nous inspirer à cet égard que l’Italie de Berlusconi.
Une autre initiative effective depuis début juillet est l’obligation de paiement par chèque et transferts bancaires de certaines opérations. C’est une excellente initiative qui va dynamiser le système bancaire. Sans surprises, cette initiative a soulevé des oppositions, l’argument principal étant qu’il n’y a pas assez de succursales bancaires dans le pays. Justement, le nombre par tête d’habitant de succursales bancaires en Algérie est faible car beaucoup de transactions se font en liquides et en dehors du système bancaire. Ce nombre est en fait endogène à l’économie. Les banques ont maintenant beaucoup plus d’incitations à ouvrir des succursales, surtout que les dépôts provenant des hydrocarbures sont en fortes baisses.
Combattre le lobby des importateurs
Suite au discours de M. Sellal en mars dernier, le gouvernement a beaucoup communiqué sur le secteur extérieur, et notamment sur la limitation des importations, objectif crucial s’il en est. Dans notre contribution du 15 janvier, nous avions souligné la gravité du cas algérien à cet égard, et avons évoqué un « effet de voracité » (au sens de la littérature économique) en pleine action en notant l’existence de certaines dispositions fiscales favorables aux importateurs. Les nouvelles orientations du gouvernement sont prometteuses mais elles devraient se concrétiser de façon plus ferme sur le terrain. Ainsi, le feuilleton sur les quotas d’importation de voitures est en passe d’être désespérant.
En 2014, l’Algérie avait importé 439 637 véhicules pour un montant de 6,34 milliards de dollars, soit plus de 9% des importations globales du pays, selon les chiffres officiels. Alors que les quotidiens et sites d’information nationaux avaient fait état de longs mois durant de mesures strictes de contrôle des activités des concessionnaires et de mesures également sévères visant à limiter les importations de véhicules, on annonce il y a quelques jours une limitation plutôt clémente à 400 000 véhicules pour 2016 ! En effet, la baisse du dinar suffira à atteindre un tel objectif !
Cette inconstance traduit finalement encore une fois l’absence d’un plan global et bien articulé décrivant les lignes directrices d’un programme réel de limitation des importations et en soulignant les logiques économiques et/ou politiques sous-jacentes. Un tel plan doit évidemment être en adéquation avec les besoins de croissance économique de notre pays et le développement d’une production nationale de qualité, seul moyen de diversifier durablement l’économie algérienne : la limitation des importations ne saurait donc faire obstruction à l’entrée de biens de capital à haute valeur technologique contribuant crucialement à la mise à niveau de nos industries par exemple. De même, la limitation ne peut aller contre la santé des citoyens et la consommation de subsistance des plus démunis. Mais une politique de limitation des importations n’a de sens que si elle est globale, explicitement fondéesur le plan sectoriel et quantitativement significative ; elle ne peut se contenter de mettre à l’index un ou deux sous-secteurs pour le symbole, sans que cela ne soit suivi d’ailleurs de mesures quantitativement significatives. La crédibilité du gouvernement dans sa lutte supposée contre les lobbys d’importateurs est à ce prix.
Conclusion
Les positions budgétaire et extérieure de notre pays sont très délicates actuellement, et risquent de s’aggraver dans le court terme à un rythme accéléré si les déclarations d’intention du gouvernement ne sont suivies que de quelques mesurettes isolées, formes finales de mesures initiales courageuses édulcorées par les pressions des différents lobbys en action. Les orientations actuelles du gouvernement Sellal sont indubitablement prometteuses: loin de l’optimisme étonnant de décembre 2014 où seulement quelques ajustement à la marge étaient semble-t-il requis pour contenir la crise, elles ébauchent clairement quelques combats à mener. Il est indispensable que ces orientations se concrétisent par de véritables plans d’action globaux, étalés dans le temps, explicitement fondés et quantitativement significatifs pour espérer avoir un impact à long terme. En attendant, il est urgent d’aller au bout des premières actions annoncées contre les barons du secteur informel et les lobbys des importateurs: ne pas céder ni sur le fond ni sur la forme constituerait un acte fondateur d’une nouvelle politique gouvernementale ambitieuse, et produirait un gain notable en crédibilité pour le gouvernement, un gain précieux pour la suite des événements. Il en est de même pour la réduction des subventions et la fixation de la valeur du dinar: le discours de vérité doit primer. Il est temps de s’attaquer de front à l’anomalie des subventions implicites et il est temps aussi que le dinar soit fixée à sa valeur d’équilibre économique, qui ne doit refléter que les fondamentaux de notre économie, et rien d’autre.
RaoufBoucekkine, Professeur d’Economie et Directeur Scientifique, Aix-Marseille School of Economics([email protected])
RafikBouklia-Hassane, Professeur d’Economie, Université d’Oran 2 ([email protected])
NourMeddahi, Professeur d’Economie, Toulouse School of Economics ([email protected])
[1] Le document est posté à http://gremaq.univ-tlse1.fr/perso/meddahi/BM_Version_Finale_15janv2015.pdf