Après Renault, c’est Hyundai et Volkswagen qui se sont lancés dans la construction d’usine de montage automobile en Algérie ; en attendant un probable accord avec Peugeot. La négociation de parts de marché contre des investissements qui était au principe de la création du statut de concessionnaire automobile dès le début des années 90 semble se concrétiser sous nos yeux et s’accélérer au cours des derniers mois avec une rapidité surprenante, à la faveur du volontarisme de l’exécutif algérien.
C’est, très symboliquement, lors de l’inauguration de la « Foire de la production nationale d’Alger », le 21 décembre dernier que Abdelmalek Sellal a demandé aux responsables de Renault Algérie « de doubler la production et de la diversifier pour répondre à la demande nationale » M .Sellal a invité le constructeur à produire « plus de modèles en Algérie ». Pour bien faire passer le message, le premier ministre a également annoncé une réduction des quotas d’importation de véhicules durant les prochaines années.
Un marché en plein bouleversement
Le marché automobile algérien a connu au cours des dernières années des évolutions à donner le vertige à n’importe quel observateur. L’année 2012 avait établi le record historique de 605 000 véhicules importés et une facture d’importation de plus de 8 milliards de dollars.L’Algérie, annonçait triomphalement beaucoup de commentateurs nationaux, est devenue « le premier marché automobile d’Afrique » devant l’Afrique du Sud. Les premiers signes d’une baisse de la température et d’un tassement très net du marché sont apparus au début de l’année 2014. Cette année là, l’Association des concessionnaires, très inquiète, annonçait déjà des ventes en baisse de près de 30% à 420.000 unités pour une facture de 5,7 milliards de dollars. Ce n’était qu’un début. Le nombre des véhicules importés en 2015 chutera lourdement pour atteindre 265.000 unités tandis que l’ardoise pour l’Algérie est tombée à 3 milliards de dollars.
Un contingent réduit à 98.000 véhicules importés en 2016
Une évolution accélérée qui pourtant n’a pas été jugée encore suffisante par les pouvoirs publics qui ont décidé en janvier 2016 d’imposer des quotas d’importation administrés. Le contingent global des véhicules avait été fixé initialement à 152.000 unités pour l’année 2016 avant d’être réduit à 83.000 unités pour une valeur de moins d’un milliard de dollars. A la suite des recours déposés par certains concessionnaires, il a été porté finalement à 98.374 unités. Au total donc, entre le « pic » historique de 2012 et une année 2016 qui aura été celle des « vaches maigres », les importations de véhicules auront connu une baisse vertigineuse et ont été divisées par 6.
Soumis à une forte pression durant l’année 2016, les concessionnaires tentent de regagner un peu du terrain perdu et de se prémunir des critiques à venir, notamment celles relatives aux prix. Pour 2017, ils annoncent d’ores et déjà une augmentation des prix, laquelle viendra s’ajouter au renchérissement important déjà enregistré depuis une année.
Le président de l’Association des concessionnaires, Sofiane Hasnaoui a annoncé en novembre dernier qu’il faudra s’attendre à une augmentation des prix des véhicules automobiles de 15 à 20% en 2017. Cette hausse est le résultat conjugué de plusieurs facteurs : glissement du dinar, baisse de l’activité et nécessité de redéploiement induite par le bouleversement du marché. M. Hasnaoui a également indiqué que les concessionnaires ont été contraints de réduire de moitié les postes d’emploi, et que cette baisse atteindra 75% en 2017. Selon lui, le chiffre d’affaires des concessionnaires devrait baisser de 85% en 2016, et les importations se limiter à 600 millions de dollars, ce qui représenterait environ 10% du record atteint en 2012.
Des constructeurs qui « font la queue pour investir en Algérie » ?
Il ne faut sans doute pas chercher beaucoup plus loin que dans cet effondrement des importations , accéléré par la mise en place d’une gestion administrative, les raisons de l’engouement soudain de nombreux constructeurs automobiles pour la création d’unités de production en Algérie. La décision de Renault prise voici 2 ans semble avoir ouvert une brèche dans l’attitude des constructeurs vis-à-vis du marché algérien. A la dernière Foire de la production nationale d’Alger, un responsable de Renault a répondu au premier ministre que la production de l’usine d’Oued Tlelat « atteindra 60 000 véhicules en 2017 ». « Nous allons étudier la production d’autres modèles à l’avenir », a-t-il également promis. Pour conserver leur place sur un marché algérien qui tend à se fermer aux importations, les constructeurs européens semblent donc en voie de se décider à faire le pas qui était réclamé depuis plusieurs décennies par les pouvoirs publics et à commencer à installer des usines de montage en Algérie. Commentant cette évolution, un ancien chef du gouvernement, M. Ahmed Ouyahia approuvait en décembre, devant les militants du RND, le recours aux licences d’importation qui ont amené, selon lui, les grandes firmes automobiles « à faire la queue pour investir en Algérie ».
Hyundai et Volkswagen, après Renault
Une formulation provocante qui ne semble pourtant pas si loin de la réalité. Le premier véhicule de la marque Hyundai est sorti le samedi 29 octobre 2016 des chaines de montage de l’usine de véhicules Tahkout Manufacturing Company de Tiaret. Le véhicule a-t-on annoncé sera commercialisé avec une garantie de 5 ans pour un prix 30% à 35% moins cher que les modèles actuellement en vente sur le marché. L’usine produira dans une première phase pas moins de 30.000 véhicules /an pour élever sa capacité à 100.000 unités par an en 5 ans. Ce projet, inscrit dans le cadre d’un partenariat entre ce groupe privé et le constructeur coréen Hyundai vise un taux d’intégration atteignant les 40% dans les cinq années qui suivront la mise en production de l’usine.
L’implantation de l’usine Hyundai à Tiaret intervient après celles de Renault à Oran et peu avant celle de Volkswagen à Relizane , une autre ville du Nord Ouest du pays qui est en passe de devenir un pôle de développement pour l’industrie automobile algérienne. Une délégation du groupe Volkswagen a en effet signé en novembre 2016 un protocole d’accord pour la réalisation d’une usine de fabrication de véhicules en Algérie. Le groupe Sovac, représentant officiel de Volkswagen en Algérie, a entamé en septembre dernier les travaux de construction de l’usine de Relizane. La première voiture sortira avant la fin du premier semestre 2017. Selon Sovac, la nouvelle usine nécessitera un investissement de 170 millions d’euros. Elle aura une capacité de 10 000 unités par an dès le lancement de la production et de 100 000 unités à l’horizon 2022.
En Attendant Peugeot
Les constructeurs français qui occupent une position traditionnellement dominante sur le marché automobile algérien ne veulent pas être en reste. Dans le sillage du grand concurrent, Peugeot avait prévu de s’engager en avril 2016 pour commencer à produire 3 modèles de voitures en Algérie dès 2017. Le pacte d’actionnaires associant Peugeot à deux partenaires privés algériens qui devait être signé à l’occasion visite en Algérie du Premier ministre français au printemps dernier a été reporté en raison, dit –on, de divergences sur les objectifs en matière de taux d’intégration. Selon nos sources les négociations ont bien avancé et un accord devrait être conclu dans les prochains mois.
La liste des projets en cours ne s’arrête pas là et, parmi plusieurs autres candidats, le géant japonais Toyota veut également réaliser une usine de montage des véhicules en Algérie. C’est l’ambassadeur du Japon en Algérie qui l’a confirmé officiellement en expliquant que Toyota veut implanter dans notre pays sa filiale Hino Motors, spécialisée dans la construction des camions et des bus.
Un demi million de véhicules produits en Algérie en 2020 ?
L’addition des objectifs annoncés par les différents constructeurs conduit à envisager une production locale de près de 500.000 véhicules d’ici la fin de la décennie. Un objectif qui ne semble pas démesuré ni hors de portée pour l’ex PDG de la SNVI M Mokhtar Chahboub qui rappelait en décembre sur Radio M qu’ « un pays comme l’Iran produit actuellement 1,5millions de véhicules ». Mokhtar Chahboub ,40 ans de métier dont 14 passés à la tête de la SNVI, estime en réalité que les vrais enjeux pour l’avenir sont d’ « amener les constructeurs , à l’image de ce qui se fait actuellement au Maroc, à se faire accompagner par leurs équipementiers qui constitueront eux même en Algérie leurs réseaux de sous-traitants ».Un débat qui renvoie en réalité au problème essentiel de l’implication progressive des sous traitants algériens dans l’industrie de montage nationale. Pour Mokhtar Chahboub, l’Algérie dispose d’industriels qui peuvent participer à ce processus d’intégration dans l’industrie automobile « pour peu que les partenaires étrangers les assistent et contribuent loyalement aux mises à niveau nécessaires ».
La contrainte financière risque de s’inviter au débat
Dans les années qui viennent , le marché automobile algérien devrait continuer à connaître des bouleversements importants.Ce sera d’abord des importations de véhicules astreintes à des normes plus strictes par des concessionnaires en nombre réduit et dont la quantité va être pilotée étroitement par les pouvoirs publics qui imposeront très certainement, ainsi que vient de le confirmer le premier ministre , des contingents en réduction constante en en faisant une arme de négociation. Parallèlement, on devrait assister assez rapidement à la montée en puissance d’une production locale censée se substituer progressivement aux importations et même dégager des excédents à l’exportation vers les marchés régionaux.
Cette stratégie globale était évoquée et recommandée par beaucoup d’analystes depuis le début des années 90. Elle se met en place sous nos yeux depuis environ 2 années et il faut certainement en créditer le gouvernement actuel qui en a fait une de ses priorités. Elle pourrait cependant être contrariée dans les prochaines années par les fortes contraintes financières que ne manqueront pas de créer non seulement les importations de véhicules réalisées par les concessionnaires mais surtout, désormais, les importations des intrants destinés au montage réalisé par les constructeurs installés en Algérie. A quoi il faudra ajouter des importations de pièces de rechange en quantité et en valeur déjà croissante pour entretenir un parc de véhicules qui a dépassé 6 millions d’unités. Au total c’est une facture qui s’annonce donc très salée et qui risque d’être surveillée comme le lait sur le feu par les pouvoirs publics algériens en ces temps de crise financière.