Le phare du Cap Ténès, le premier construit en Algérie en 1861, se languit du haut de la montagne calcaire de Sidi Merouane, des jours épiques où le seul langage des vacanciers était celui du poisson, ou du muscat. Virée estivale dans l’ancienne ‘’Cartennae’’.
Aujourd’hui, c’est un tableau noir sur cette côte aux milles souvenirs, de l’époque punique, des phéniciens aux frères Barberousse, et aux derniers jours de Staline, que dresse pour Maghreb Emergent Younes, un natif de la région. »La côte ténésienne est devenue un dépotoir de déchets, les estivants n’ont aucun égard à la nature ou à l’environnement, et les responsables des communes (Beni Haoua, Oued Goussine, Tenes, Sidi Abderhmane, La Marsa) ne font absolument rien pour l’aménagement des plages ou de leur environnement ». Un avis partagé unanimement par les Ténésiens, pour qui »nos plages sont mangés d’année en année par le laisser-aller, les tonnes de détritus laissés par les estivants. » Le constat est encore plus amer en ce qui concerne les infrastructures hôtelières. »Ici sur toute la côte de Ténes, de Damous à La Marsa sur près de 100 km, les infrastructures hôtelières se comptent vraiment sur les doigts d’une seule main. C’est le système –D-, avec tous ses aléas sur l’environnement, dont souvent des départs de feux », explique Younes. Il ajoute: »Seuls un ensemble de logements à Beni Haoua et un complexe hôtelier de thalassothérapie à la sortie de ce village sont l’exception à la règle dans notre daira ». Bien sur, des projets pour les vacanciers, il y en a dans cette daira, notamment à la sortie du village de Oued Leksob, près de la baie de Mainiss, mais qui n’ont pas encore vu le jour, et seuls les centres de vacances des entreprises publiques, deux ou trois, offrent un semblant de vie estivale locale.
Du pain sur la planche pour le nouveau ministre
»Le manque chronique d’hôtels, de pensions et de campings est un grand handicap pour le tourisme à Ténès », estime notre guide, pour qui le développement de cette région souffre de cette carence. »Ce n’est pas normal qu’à 20 heures, tout est fermé à Ténes, tu ne peux ni prendre un café, ni une glace, encore moins une grillade ou un repas », peste de son côté un estivant. »C’est dire combien le tourisme est délaissé dans notre région », déplore Younes, qui voudrait bien voir »Ténès accueillir plus d’estivants avec des structures d’accueil dignes ».
»Le nouveau ministre du Tourisme a vraiment du pain sur la planche dans cette région, qui, paradoxalement, est la moins peuplée du pays, en été comme en hiver, avec ses criques, ses plages de sable fin ornées de palmiers, quasiment désertes entre les villages de Dramla, à l’ouest de Ténes, et jusqu’à El Guelta, aux confins de la wilaya de Chlef » vers Mostaganem, affirme encore Younes, cadre dans une entreprise locale.
Le Langage des poissons et du muscat
Et pourtant, pour les vacanciers chanceux, qui ont trouvé où se loger chez l’habitant, c’est un moment de purs délices des sens, avec la montagne de Sidi Merouane où nait »oulid Lebled », le vent d’est, qui donne cette agréable fraîcheur marine les soirs d’été. Mais, à Ténès, le langage courant de la ville est bel et bien celui du poisson dans toutes ses variétés. En fait, il n’y a peut-être pas un autre endroit sur toute la côte algérienne, qui peut se targuer d’avoir le meilleur rouget de roche, la belle dorade argentée ou des dentis introuvables ailleurs dans les ports du pays. Le littoral ténésien, avec ses fonds rocheux et ses grands fonds, offre en fait une riche flore et un habitat marin idéal pour les grandes espèces de poissons endémiques de la côte ténésienne, comme la saupe, le gros mulet, le rouget de roche, la dorade, toutes les variétés de sars, l’ombrine, le denti, qui font le bonheur des pêcheurs à la ligne et les amateurs de chasse sous-marine. Mais, »ici, les amateurs de pêche sous marine aiment bien se mesurer au mérou, le roi de ces contrées marines, et, plus encore, la chasse aux dentis, ces redoutables prédateurs, très difficiles à tirer », commente Younes.
L’été est là
Mais, les effluves marines et les odeurs de poissons grillés ne font pas l’été. »Chez nous, on sent vraiment l’été, avec une douceur du climat et une mer pas très agitée, avec les premiers arrivages de muscat », raconte Younes. Le muscat est la variété la plus courante et la plus prisée des raisins cultivés dans la baie de Ténes. Cette variété de raisins, endémique à la région, mais qui est en train de disparaître d’année en année faute d’entretien, a la particularité de rassembler le meilleur de la forêt et de la mer, les plantations étant juste entre mer et pinèdes. Et lorsque les premières grappes de muscat sont en vente sur la placette du marché couvert de la ville, cela signifie tout simplement que »l’été est là », affirme Younes, notre »ange gardien » pour ce reportage sur cette antique cité punique, phénicienne, romaine, byzantine, vieille de plus de 3000 ans. C’est dans cette ville d’où seraient partis les thaumaturges pour affronter le prophète Moïse selon une légende locale, où le plus jeune des trois frères Barberousse, »Issa », et le plus méconnu des historiens, qui a vécu dans l’ombre de ses grands frères (Arroudj et Kheireddine) a été tué. C’est également cette Cartennae (ou Cart Ennas selon la légende) que Léon l’Africain (Hassan El Ouazzane), avait visitée et a raconté la richesse de ses produits agricoles, son miel et son climat doux.
»Ici, c’est toujours la beauté sauvage du site, depuis des millénaires. Si tu veux passer des vacances à l’ancienne, installe-toi dans une des baies de la région, comme à Traghnia, plante ta tente près de la pinède, et profite des plaisirs de la mer. Du camping sauvage comme à la belle époque, tout près de la mer et de la forêt », nous conseille ce natif de l’antique Cartennae. Car, en matière de sites, Ténès, avec ses 40.000 habitants à l’année et ses »émigrés » qui reviennent au pays chaque été, et font marcher le »buziness » local comme celui des devises, dispose d’atouts considérables qui tardent à être mis en valeur. Là haut, au dessus du phare de Ténès, sur les derniers contreforts de la montagne de Sidi Merouane, l’antique sémaphore (1903) donne son bulletin »météo »: rien à l’horizon.